dimanche 27 janvier 2013

Du temps de cerveau pour ... une nouvelle

Georges était fatigué, peut-être plus que d'habitude car le froid gelait petit à petit ses neurones. Il faisait nuit, la nuit tombe tôt et brutalement en hiver, comme un rideau de fer en cas d'incendie dans un théâtre. On se rapprochait doucement de l'heure fatidique où il devait envoyer son texte à l'internetimprimeur pour qu'il soit daté du jour, et pas du lendemain comme le journal du soir.

Il n'avait pas de texte. Il était las et là où les auteurs n'aiment pas être, au pied du mur des lettres. Alors, prenant son courage à deux doigts, il choisit au hasard trois mots dans le Hobbit. Histoire de lui donner un thème pour une nouvelle. Courte comme celles qu'il adore de Fredric Brown, le roi des nouvelles à chute. Courte comme une chanson de Tolkien ricochant sur le grand fleuve de ses romans.

 Et il se mit à écrire, autour d'entendre, d'opposé et d'épée.

Ces trois mots finalement résumaient assez bien le Hobbit et tout un tas de romans de cape et d'épée. Même Star Wars pouvait être résumé ainsi si l'on acceptait de parler d'épée Laser au lieu de sabre en néon, ce que tout le monde faisait.

La première nouvelle qu'il écrivit fut courte. "Dans la nuit noire, il entendit un bruit à gauche et dégaina son épée à une telle vitesse qu'il fut entraîné du côté opposé et tomba dans le fossé".

Trop courte évidemment et sans intérêt. En plus Georges était un non violent et n'aimait pas les scènes de combat, même dans le noir, lorsque ni l'auteur ni le lecteur ne peuvent rien voir. Le problème était le mot "épée" évidemment. Pourquoi avait-il choisi le Hobbit, plein d'épées elfiques ou non ? Il aurait dû choisir un roman de Marguerite Duras, mais il n'en avait pas... Il chercha donc un moyen de parler d'épée sans violence. Il y a avait bien l'espadon, le poisson épée, mais une version Moby Dick ne l'intéressait pas non plus. Il avait mangé de la sole au dîner et elle n'était pas bien fameuse... Pas comme une de ces merveilleuses soles meunières que lui cuisinait sa mère... Nostalgie...

Il regarda l'horloge. L'heure fatidique approchait. Son patron n'allait pas apprécier, c'était déjà la troisième fois ce mois-ci. Il sentait au-dessus de sa tête la colère à venir comme une épée de Damoclès, menaçante et immanente. Attendez ! Une épée de Damoclès, c'est parfait ! C'est une épée mais elle n'est pas violente, puisqu'elle ne bouge pas et que sa seule présence suffit à imposer sa force. Il sauta de joie, ravi d'avoir trouver un angle.

Une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête du héros, un héros qui entend des voix et un choix terrible à faire entre deux directions opposées, toutes deux terribles et cataclysmiques. Un suspense haletant. Une montée en puissance inexorable au fur et à mesure des paragraphes, en même temps que l'épée se descelle délicatement du mur. Tout était en place, même les voix qu'il entendaient, celles de deux femmes vers qui il penchait et qui s'excluaient mutuellement. Dans sa tête les images d'une grande fresque commençaient à se dérouler, avec des héroïnes à ne plus savoir qu'en faire, des seconds rôles destinés uniquement à valoriser le héros, c'est à dire lui. Il la plaçait dans le passé, cette aventure épique, quelque part entre le XXIII° et le XXIV° siècle, au moment des ténèbres et des grandes lueurs.

La plume écrivait ses pensées, sans avoir besoin de les entendre ni qu'il la tienne. Les images se créaient sur le papier glacé de son écran personnel. Le texte était prêt. Il appuya sur le bouton d'envoi.

Le bouton était coincé. Bizarre qu'à notre époque, on doive encore pousser un bouton pour envoyer un texte. Il appuya plus fort. Rien ne se passait. Il se leva pour aller chercher son stylo-épée, buta contre le fauteuil et s'étala du côté opposé. On entendit son cri, alors qu'il tombait de sa plateforme au-dessus de la jungle. Puis on n'entendit plus que le bruit de la nuit. L'heure était passée.

1 commentaire:

  1. Rohmm, pfuhhh... Rohmm, pfuhhh... Z Zzz Zzzz... Rohmm, pfuhhh... Le terrible bruit de la nuit.

    RépondreSupprimer