dimanche 16 juin 2013

Du temps de cerveau pour ... une nouvelle cinque

Ulysse se réveille en sursaut.

Toujours le même cauchemar dont il ne souvient pas, sauf de la toute fin lorsqu'un gigantesque ver le mange comme une sardine déguisée en Elvis, gobé d'un coup. Il se lève, groggy comme tous les matins, et comme son illustre prédécesseur après dix ans d'errance et de cauchemars depuis sa guerre contre les Troyens.

Ulysse vit dans une cage de verre, comme tous ses concitoyens. Il ne peut avoir de vie privée et impossible d'être anonyme. Tout ici est surveillé, déchiqueté et traité quelque part entre ici et la Maison Blanche. A tout moment, même lorsqu'il a des relations sexuelles, bien rares en ce moment, avec Jasmine ou Iris, la police peut arriver pour vérifier son identité et pour tester leur capacité de force rapide.

Ulysse ne s'y habitue pas. Il a depuis longtemps décidé de ne pas s'y habituer, mais il a peu d'armes et d'outils pour combattre cette écoute permanente. Pourtant, jour après jour, il réussit à franchir quelques échelons sur l'échelle de la liberté. Il est toujours propre et à jour. La liste de ses pseudonymes est suffisamment longue pour lui permettre de résister à tous les contrôles. Stéphanie, avec qui il aimerait bien avoir des relations en ce moment, l'appelle affectueusement l'homme caméléon. Lui, il l'appelle sa lampe d'Aladin mais elle refuse (encore ?) de se laisser frotter...

Le dictionnaire des gens, stocké dans la cave des Archives du Texas est son objectif ultime. Il voudrait tant le détruire par le feu, la chimie, le nucléaire ou simplement par l'amour des autres. Aujourd'hui, il sait qu'il a une chance d'y arriver. Hier aussi, et avant-hier également, mais il les a ratées.

Aujourd'hui, il sait qu'il réussira. Finalement son rêve lui a fourni le mot de passe qui lui manquait.

Ulysse s'habille et se prépare un petit déjeuner. Autour de son parallélépipède, très peu d'autre espaces sont allumés. Il est encore tôt. Stéphanie dort et son espace de vie est encore sombre. C'est à peine s'il peut distinguer son reflet dans la vitre du Colonel, son voisin immédiat et le chef d'îlot de sa banlieue suburbaine H7N2, une des tentacules de la grande métropole américaine qui couvre tout le continent.

Son plan est simple et efficace. Il prépare son petit-déjeuner. Du flétan fumé, de l'artichaut et des fleurs de maïs sur une quiche. En parallèle 15kg de nitrate cachés dans des cuisses de grenouilles. Il a déjà essayé avec du boeuf ou du porc, mais à notre époque les cuisses de grenouilles sont plus grosses et moins chères. Ulysse esquisse quelques pas de Salsa et allume le four en chantonnant un air d'Elvis. Puis il attend l'arrivée de la police qui ne manquera pas de venir arrêter un citoyen aussi indélicat et qui préfère manger ces produits tout juste bons à mettre à la poubelle au lieu d'aller au marché d'Etat acheter du bon steak de gorille comme tout le monde.

Il a laissé sur la table le livre "1984" interdit depuis des décennies et qu'il a obtenu par contrebande. Posséder ce livre est plus grave que de ne pas regarder le porno obligatoire du soir sur l'écran virtuel de son miroir grâce auquel il peut participer au film. Ulysse attend. Cela fait maintenant 3 minutes qu'il a mis la quiche au four et toujours aucun signe de la police. Aucune lumière non plus chez le Colonel, à part le voyant rouge de son fax qui clignote dans une veille paresseuse. La police perd en efficacité, on dirait...

Quatre minutes et toujours rien. Ulysse commence à réaliser sa chance. Le four sonne et lui annonce que sa quiche est prête. Il la sort et la regarde. Dessus est apparu le chiffre 7. Il règle alors les cuisses de grenouilles sur 7 heures, et les laisse tomber dans le vide-ordures. Le vide-ordures fait entendre son bruit blanc habituel pendant quelques secondes. Puis tout est fini.

Ulysse revient à sa table et mange sa quiche. Ses yeux sont le tour de ses maigres possessions. Il n'y a rien qui ait de la valeur à l'argus des citoyens. En buvant son café, il regarde les lumières s'allumer tout autour de lui. Bientôt 7 heures. Seule la cellule de vie du Colonel est éteinte. Ulysse réalise alors que le Colonel est absent. Sa cellule est vide. C'est la première fois. Ulysse sent vibrer au fond de lui une espérance immense.

A 7 heures tapantes, un nouvel occupant apparait progressivement. C'est un nouveau Colonel, pareil à l'autre à part son matricule et une forme légèrement différente de sa mandibule inférieure. Le nouveau Colonel regarde le fax et se tourne vers Ulysse. Au loin, une explosion retentit. Ulysse se détourne et ouvre son vide-ordures pour y jeter son assiette sale. Le bruit blanc est devenu un bruit rose et une douce lumière apparait au fond. Alors, Ulysse saute dedans et glisse, glisse, glisse jusqu'à une prairie illimitée d'herbe verte. Il est seul et sourit. Puis d'autres apparaissent, tombés d'un autre monde. Ils se regardent, se sourient. Tous sont nus, même les ex-policiers. Stéphanie aussi est tombée au milieu d'un champ de marguerites. Il s'avance vers elle.

Elle lui tend la main. Il la touche.

Le ciel est bleu et la liste des mots interdits qui était de toute éternité gravée dans leurs coeurs s'efface pour laisser la place à la vie.




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