dimanche 7 juillet 2013

Du temps de cerveau pour ... Une nouvelle octogone

Charles regarde le sol. Une impression de saleté l'envahit. Tout est gris brun, par endroit presque kaki. La poussière est partout. L'été est sec, le printemps l'était aussi. La terre est fendillée. Cette petite partie de la planète a chaud et soif. Elle le fait savoir à tous ceux qui savent regarder, observer et pas simplement survoler les apparences.

Il fait très chaud et le vent est trop léger pour rafraîchir Charles. Il voit quelques fourmis minuscules, écrasées comme lui par une chaleur puissante. Même les arbres semblent penchés. Charles non plus n'aime pas la chaleur mais au moins il sait qu'elle lui est nécessaire. Sans chaleur, Charles n'est rien. Rien qu'un être rampant comme ces fourmis. Et Charles ne peut envisager une seconde de devenir normal. Il sait que son destin est au-dessus des autres, qu'il est un homme exceptionnel. Il sait qu'il est observé, épié. Il sait que les médias adorent le pister, lui voler des photos comme des mouches paparazzi. Il sait que les titres des journaux sont gigantesques à chacun de ses exploits.

Pourtant Charles n'est pas heureux. Il n'a pas encore réussi à imaginer le prochain exploit. Il craint en permanence que sa popularité baisse et qu'il soit relégué en page faits divers ou pire. Le métier de héros est très exigeant et pour rester au sommet de son art, Charles doit toujours créer de nouvelles situations. Jusque là il a toujours réussi. Il a toujours émerveillé les foules. Mais depuis son dernier exploit dans le Grand Canyon, rien ne lui est venu et les journalistes le harcèlent pour savoir.

Hier, il n'a été harcelé par personne. Même les journalistes affectés spécialement à lui n'ont pas appelé. C'est un signe certain qu'on commence à l'oublier. C'est insupportable. Charles n'a pas bien dormi. Alors il a annoncé dans la nuit qu'il tenterait aujourd'hui un nouvel exploit de Charles, le seul, l'unique Charles ! Comme prévu, au petit matin, les médias bruissaient de rumeurs sur son futur exploit et des retrospectives tournaient en boucle sur toutes les chaînes de télé. Au point zéro, celui qu'il avait indiqué, ses aides avaient installé le nécessaire et à 13 heures tapantes, il s'était élancé.

Il est maintenant 19 heures exactement, et il n'a toujours pas trouvé son exploit. Sa gourde de whisky est vide mais ses idées ne sont pas plus claires. Il fait chaud comme dans un pustule et le ciel commence à s'assombrir.

Les fourmis le regardent. Elles sont un peu plus nombreuses que tout-à-l'heure. Il les regarde puis regarde le ciel et tout d'un coup pense à un clystère. Oui ! C'est ça ! Un énorme clystère ! Comment transformer un geste médical peu ragoûtant en exploit mythique. Il cherche autour de lui et s'aperçoit qu'il a tout ce qui lui est nécessaire. Son inconscient savait-il avant lui ce qu'il devait tenter aujourd'hui ? Ses aides le connaissent-ils mieux que lui ? Autant Charles est prêt à accepter l'idée de son inconscient, autant il a du mal à accepter que ses aides, des êtres évidemment inférieurs, puissent influencer ou prévoir ses exploits. Mais il balaie ces idées démoralisantes. Il est Charles, le vrai.

Requinqué, Charles s'attache et prend dans ses mains un sac de poussière d'étoiles qu'il a toujours près de lui. Les fourmis ont disparu avec la nuit qui tombe, en tous cas il ne les voit plus. À la place, apparaissent les lucioles innombrables qu'il adore. On approche de l'heure de son exploit, et du journal télévisé en direct soit si en passant.

Alors Charles saute, dans sa combinaison de lumière. Il ouvre son sac d'étoiles et une comète se dessine dans le ciel. L'élastique qui le retient se tend et la comète remonte avec lui. Sa montgolfière vibre, comme une poire à lavement répandant son fluide magique dans la capitale. Charles est heureux. Il entend la clameur des applaudissements des fourmis. Un doux mouvement le balance. Il flotte dans l'air et le bonheur. Et la pluie tombe, enfin. Charles a encore gagné. Charles, le charmeur de pluie et des foules.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire