dimanche 23 février 2014

Du temps de cerveau pour ... une nouvelle 22 v'la les flics

Jules était un malin, en tous cas plus malin que les flics qui le coursaient.

Il avait bien été une ou deux fois proche de la catastrophe, mais il avait une bonne étoile et s'en était toujours tiré. Jules était un pro. Il changeait tout le temps de quartier et d'arnaque. Il consignait tout dans un petit carnet pour ne pas faire d'erreur, comme la femme d'un ambassadeur qui note tout ce qui a été servi à chaque invité de marque, afin de ne pas resservir deux fois le même plat. Son petit carnet contenait aussi ses trucs et astuces, avec des remarques glanées au fur et à mesure pour améliorer sa rentabilité.

Par exemple, il était très fier de l'arnaque à la cigarette qui lui permettait de gagner au moins trois paquets par jour et donc d'en revendre deux. Il lui restait un certain nombre de bars-tabac à visiter et un certain nombre de déguisements à utiliser. Ce qu'il y avait de bien avec les fumeurs en manque, c'est qu'ils ne regardaient pas vraiment les personnes comme lui. Il n'avait jamais eu de problème avec cette arnaque.

Mais ce matin, Jules avait eu une idée. C'était souvent le matin que de nouvelles arnaques lui venaient à l'esprit. Toutes n'étaient pas bonnes mais celle-ci lui parut excellente. Le seul problème serait de trouver l'accessoire qui lui manquait. Un petit problème pour Jules qui ne manquait pas de ressources. En plus c'était un mardi et il avait dormi dans le Jardin des Tuileries.

Jules se rendit donc au Louvre par son entrée secrète. C'était jour de fermeture au public, mais le Louvre était plein de gens quand même : des employés, des groupes de VIP. Il avait pris un déguisement de balayeur dans les vestiaires et il se promenait à la recherche de l'objet rêvé. Il ne se promenait pas dans les galeries publiques, mais dans les réserves, cette galaxie de pièces où étaient entassés les objets les plus divers que personne ne sortait jamais. Il arriva dans la bonne salle et choisit son objet parmi des dizaines : un objet ni trop neuf ni trop vieux. Ensuite Jules l'emballa tranquillement dans deux sacs poubelles et ressortit du musée par où il était venu. D'ici un ou deux mois, il reviendrait le remettre ni vu ni connu à sa place, car cette arnaque ne durerait pas longtemps à son avis.

Jules choisit ensuite avec soin son emplacement, loin du Musée, au coin d'une petite place. Il y avait juste en face de son emplacement un bar. Jules installa tout, puis s'assit à la terrasse pour surveiller et piloter, et surtout observer les passants.

Une jolie fille arriva, son panier plein après le marché et regarda avec stupeur l'emplacement : Il y avait une petite pancarte avec écrit dessus : "Je ne peux plus sortir, merci de laisser un billet pour que j'aille chez le réparateur". Derrière était assise une superbe armure complète, avec heaume, ni trop neuve ni trop rouillée. De son poste d'observation, Jules vit la fille s'arrêter. Dans le petit micro qu'il avait branché dans l'armure il l'entendit dire "Mais c'est quoi ce truc ?", puis "Il y a quelqu'un là-dedans ?"... Jules répondit dans son petit micro de gorge par un râle qui pouvait vouloir dire "Aidez-moi mademoiselle". Jules était un arnaqueur bien équipé ! L'électronique n'avait pas de secret pour lui. Le bras droit de l'armure bougea un peu grâce au servo-moteur qu'il y avait installé. La fille recula un peu mais sortit quelques pièces de sa poche et les posa dans la coupelle en métal devant l'armure, en fait une genouillère en rab que Jules avait prise à cet effet au Musée.

Jules se félicita de cette première passante. Les suivants furent tout aussi intéressants et la recette s'annonçait bonne. De temps en temps, Jules allait vider la coupelle quand il n'y avait personne. C'était vraiment une belle journée et paresser à une terrasse de café pendant que votre armure faisait la manche, pardon, demandait la charité, était vraiment une très bonne idée. Evidemment, de temps en temps, il fallait éloigner un chien ou un moutard qui venaient intrigués voir cet objet bizarre. Il suffisait à Jules de lancer un petit cri ou de bouger le bras pour les éloigner.

Les pigeons, c'était un autre problème, auquel il n'avait pas pensé. Mais après tout, quelques pigeons en plus ne faisaient pas de mal. Pour le moment il n'avait pas reçu de crotte de pigeon.

Il vit soudain revenir la jolie fille du matin. Elle alla directement vers l'armure et sortit de son panier quelques outils et une petite bouteille de ce qui ne pouvait être que du dégrippant. Jules s'inquiéta soudainement et se décida à marcher vers l'armure, comme s'il était un passant normal. La fille parlait mais aucune réponse ne venait de l'armure. Au moment où Jules arriva, elle disait "Vous dormez ? Je vais vous aider alors, j'ai déjà travaillé dans un atelier et je sais couper le métal..."

Jules l'interrompit à ce moment et lui dit "Excusez-moi, mademoiselle. Je suis de la brigade d'aide aux SDF et je vais m'en occuper. C'est très gentil à vous, mais il doit être en piteux état là-dessous."

La (très) joie fille regarda Jules avec surprise. Jules ne cilla pas. Il était habillé en citadin normal avec un blouson passe-partout. La jolie fille sembla hésiter, mais Jules dégageait une certaine autorité. Elle bredouilla quelques mots incompréhensibles et se pencha pour récupérer ses outils. A ce moment précis, l'armure leva le bras et dit d'une voix claire : "Merci Monsieur, mais je crois que je n'ai pas besoin de vos services. Mademoiselle ici présente m'a l'air tout-à-fait qualifiée !"

La fille parut surprise mais eut un grand sourire. Jules ouvrit la bouche et ne put dire un mot. Il tâta vite ses poches et regarda la terrasse pour voir qui lui jouait ce tour. Il avait certainement oublié ses appareils électroniques à sa table ! Mais il n'y avait personne à la terrasse et ses appareils étaient dans sa poche, éteints. Jules regarda l'armure. Jules ne comprenait pas. Il avait dû être piraté et quelqu'un se moquait de lui.

Lorsque l'armure se leva et donna son bras à la fille émerveillée, Jules faillit s'étrangler. Lorsque l'armure lui dit en partant avec elle : "Gardez la monnaie mon bon", Jules s'évanouit vraiment.

Il parait que l'armure et la fille vivent ensemble maintenant. Jules, lui, s'est reconverti en gardien des réserves du Musée. Il espère pouvoir discuter avec l'armure quand elle viendra rencontrer ses anciens copains. Mais elle n'est jamais revenue et Jules a brûlé son petit carnet.



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