samedi 15 mars 2014

Yes ICANN

Nouvelle fondamentale tombée hier sur l'avenir de l'Internet, à propos de l'ICANN. Tentatives d'explications à plusieurs niveaux ci-dessous. En résumé, tout sera différent mais pas tout de suite.
On a déjà parlé de l'ICANN ici, en juin 2012, et lisez cet ancien article si vous voulez savoir ce qu'est ce machin.

Pour ceux qui savent ce que veut dire ICANN, IANA, DNS et UIT :

Le gouvernement américain a donc annoncé qu'il demandait formellement à l'ICANN de mettre en place une nouvelle gouvernance mondiale autour du root, de l'IANA et bien sûr de l'ICANN. Le contrat actuel courait jusqu'à septembre 2015 et ne sera pas renouvelé. L'ICANN cherche déjà des locaux à l'étranger, on parle de Genève où plusieurs organisations internationales sont présentes, comme l'ONU, l'UIT ou l'OMPI. Le nouveau patron de l'ICANN, venu du Sud, y est très favorable et les nombreux contacts qu'il développe un peu partout vont tous dans ce sens, dans les démocraties comme l'Europe, le Brésil ou l'Inde, comme dans d'autres pays tels la Russie ou la Chine.

C'est évidemment aussi un effet secondaire de l'affaire Snowden dont on parle régulièrement ici. Les actions menées à partir du sol américain (l'ICANN est basée à côté de Los Angeles) sont sous la tutelle du "Department of Commerce" et la NSA peut facilement les surveiller.

Le fameux modèle "multi stakeholders", associant de multiples parties prenantes, qui est à la base de l'ICANN a toujours été en conflit avec le modèle US pur ou avec le modèle étatique des Nations Unies et de leur dérivé en matière de télécommunications, l'UIT. La bataille faisait rage depuis la création de l'ICANN, il y a seulement 15 ans... L'Internet est si jeune !

Le débat va donc se déplacer sur le terrain du "comment on fait maintenant ?"... Parmi ceux qui savent, les sachants, il y a plusieurs tendances : une gouvernance technique et neutre par le bas et loin de la politique (hum, il y a là aussi des divergences entre fournisseurs de tuyaux, fournisseurs de contenus, grandes compagnies qui développent des éco-systèmes...), une gouvernance sous couvert de l'ONU et des Etats avec le problème des Etats qui feront ce qu'ils veulent chez eux dans une sorte d'Internet national comme en Chine, une gouvernance réduite au strict minimum et pour ainsi dire pas de gouvernance du tout.

Il y a le temps, mais tout le monde veut aller vite. Entre le patron de Facebook qui dit qu'Obama détruit l'Internet (c'est-à-dire son produit à lui et son exploitation de nos données personnelles), les non-démocraties qui attendent ça pour définir un internet chez eux isolé des méchants critiques, les techniciens et développeurs qui passent leur temps à installer des sécurités et à les contourner, et les simples citoyens qui n'y comprennent rien, il y a des positions irréconciliables. Si le gendarme USA se retire, que restera-t-il sinon un pouvoir déplacé vers 1) chaque Etat 2) les grandes sociétés... américaines.

Pour ceux qui ne savent pas de quoi je parle mais qui ont la puce à l'oreille avec ce sujet :

Tout ça c'est du jargon de spécialiste ? Oui, mais les effets sur nous sont très forts à terme, même si on ne le voit pas facilement. Vous savez certainement déjà que certains sites sont impossibles à consulter : est-ce parce qu'ils sont en panne ou piratés ? Est-ce un problème chez votre fournisseur d'accès (YouTube chez Free auparavant par exemple) ? Est-ce le bon site (un détournement vers un simulacre du site de votre banque pour vous piquer login et mot de passe) ? Ou est-ce parce que votre gouvernement vous interdit cet accès et vous reroute même vers un faux site édulcoré ?

Pour utiliser Internet, il faut lui faire un minimum de confiance. Pas trop non plus, hein, restons vigilants. Mais pas de méfiance absolue non plus, sinon il faut rester en dehors de toute connexion (et encore, les militaires savent traiter ces cas là). La confiance est longue à construire et facile à détruire. De quel niveau de confiance jouira le prochain ICANN dans une structure différente ?

Vous savez par exemple que l'ICANN a ouvert depuis un an et demi les noms de domaine et que petit à petit commencent à apparaitre de nouvelles extensions de premier niveau - autres que les .com .fr .org par exemple qui existaient avant - même si celles-ci ne sont pas encore vraiment visibles.

Il y a quelques semaines, par exemple, la Ville de Paris a signé sont contrat avec l'ICANN pour la gestion du futur domaine .paris ! Une centaine de pionniers ont été choisis par copinage par un jury pour devenir les ambassadeurs de ce nouvel espace (ceux qui aiment Paris) et tout le monde devrait pouvoir acheter un domaine en .paris vers l'automne 2014. Liste des pionniers ici. Rien de bien excitant pour le moment et plutôt de l'institutionnel, mais bon, on verra ensuite... Comptez sur moi pour déposer un ou plusieurs noms de domaines ;)

Dans cet exemple, on voit bien que tout dépend de qui contrôle l'affectation des noms de domaines. L'ICANN a toujours eu une vision ultra libérale, premier arrivé, premier servi. Pour des domaines en .com ou en .fr c'est pas grave, il faut juste bien gérer les problèmes de droits et de marques déposées. Mais pour de futurs domaines comme .university ou .doctor ou .sucks (si,si) il peut y avoir de gros problèmes de confiance suivant la personne qui décide si vous y avez droit ou pas. Quid d'une fausse université, d'un faux docteur ou d'une diffamation du genre monsieurmachin.pue ? Pour Paris cela sera pareil, qui va décider ? Le problème posé par l'ICANN, c'est celui-ci en beaucoup plus grand. C'est tout.

Pour ceux qui s'en foutent, quelques considérations quand même : 

N'utilisez pas l'Internet aveuglément en croyant que lorsque vous cliquez sur un lien vous allez à l'endroit qui est décrit. Aujourd'hui vous savez être prudents, je l'espère, pour des sites de commerce en ligne ou bancaires ou pour des sites avec login et mot de passe. Demain, devrez-vous l'être pour des sites et des applications plus standards ? Intéressez-vous à ce sujet. Les USA ont fait la preuve avec la NSA qu'ils espionnaient le monde entier. Mais les autres, votre gouvernement, ceux qui restent muets, sont-ils mieux ?

Comment faire pour qu'ils soient contrôlés par nous, et pas le contraire ?
La bataille de l'ICANN est de ce niveau là.

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