dimanche 25 mai 2014

Du temps de cerveau pour… une nouvelle Tante sainte

L’inspecteur Scott n’était pas très doué. Il avait de lointaines relations familiales avec un homme important et c’est pourquoi il faisait toujours partie de l’effectif de la police. Mais on le laissait passer le plus clair de son temps dans un bureau poussiéreux et les seules enquêtes qui lui étaient confiées n’avaient aucune importance. Il y en avait de moins en moins d’ailleurs et Scotty qui se trouvait très bien dans son petit bureau n’en demandait pas plus. Il approchait de l’âge de la retraite et passait ses journées à étudier le jardinage et à entretenir ses plantes, car il avait au moins la chance d’avoir une fenêtre bien exposée au bureau et deux chez lui.

Tous les week-ends, il allait dans sa maison de campagne et il passait son temps à mettre en pratique ce qu’il avait étudié pendant la semaine. Une vie bien remplie. Et personne pour l’embêter car c’était un célibataire endurci. Qui aurait voulu de lui d’ailleurs ?…

Il se promenait aussi dans les champs autour de sa maison de campagne. C’était une région agricole et il connaissait tous les fermiers alentours. Quand il finissait sa promenade, il était en général légèrement ivre car il ne savait pas refuser un petit verre.

Ce dimanche-là, pendant qu’il sirotait un petit alcool local au pied d’un tracteur, il découvrit en discutant avec ce fermier que la région bruissait de rumeurs inquiètes. Le dimanche d'avant, deux fermiers avaient disparu. Aucun signe d’eux. Ils étaient en train de labourer et comme ils n’étaient pas revenus le soir, on les avait cherchés. Leurs tracteurs étaient en plein champ, comme s’ils s’étaient arrêtés juste un instant, mais ils avaient simplement disparu là. L’un des deux tracteurs avait même encore le moteur qui tournait.

Scotty ne se sentait pas une âme de grand détective international qui se précipite sur toute affaire autour de lui, mais cela se passait dans sa région et il ne pouvait pas laisser tomber ses voisins. Tout le monde savait qu’il était inspecteur et il devait entretenir le mythe, au moins un peu. Il promit donc de voir ce qu’il pourrait faire, reprit un verre et rentra pensif chez lui. Il était trop tard pour cette semaine, il devait repartir à la ville, mais il se promit d’enquêter dès le samedi suivant.

La semaine passa vite. Scotty avait moins le goût des plantes et il réfléchissait à la manière de mener son enquête. Il eut même le temps de vérifier auprès du commissariat de campagne que, oui, deux fermiers avaient disparu il y a deux semaines et un autre dimanche dernier, et qu’ils n’avaient aucune piste. Mais ils se feraient un plaisir de le rencontrer le samedi suivant. Evidemment il n’en parla pas à ses collègues qui auraient haussé les sourcils et se seraient moqué de lui, ou pire, lui auraient donné du travail officiel !

Le samedi suivant, Scotty était donc dans les champs avec un brigadier moustachu. Celui-ci lui montra l’emplacement où avaient été retrouvés les trois tracteurs. Il rencontra également les épouses des fermiers et les voisins mais personne ne put rien lui dire de concluant. Il remarqua cependant que les trois parcelles où avaient disparu les fermiers étaient séparées par une parcelle un peu plus grande et que ces quatre parcelles bordaient la ferme la plus grande de la région. Scotty, réfléchit intensément, en sirotant une petite prune maison et se dit qu’il devait y avoir un rapport. Soit le fermier de la parcelle intermédiaire était coupable, soit le propriétaire de la grande ferme. Il pouvait imaginer plein de mobiles, de la jalousie à l’appât du gain en passant par des vieilles querelles de voisinage. Si le fermier du milieu n’était pas coupable, alors il était par contre menacé d’être la prochaine victime. De toutes façons, passer un peu de temps à l’air libre pour observer la situation ne pouvait pas faire de mal.

Le dimanche matin, tôt, Scotty prit donc un panier repas, une couverture, un livre de jardinage et une paire de jumelles, puis il alla se percher dans un arbre qui lui donnait une vue parfaite sur les champs de la ferme du milieu. Le fermier était justement en train de labourer et il en aurait certainement pour toute la journée. Scotty s’installa confortablement sur une grosse branche et se mit à surveiller le tracteur et son conducteur. A vue de nez, ils étaient les deux seuls être vivants visibles à des kilomètres.

Scotty ne vit rien de toute la matinée. Il déjeuna tranquillement sur sa branche, tandis que le fermier déjeunait à côté de son tracteur. Il l’observa piquer une petite sieste et eut bien envie d’en faire autant mais il n’osait pas, de peur de rater quelque chose. Mais rien ne se passait, alors il se laissa aller quelques minutes.

Il se réveilla en sursaut.

Il mit quelques secondes à comprendre ce qui l’avait réveillé. Le bruit du moteur du tracteur. Il fut rassuré de constater que le fermier était toujours là. Mais ils n’étaient plus seuls. Il y avait maintenant au milieu du champ une petite cabane, comme une petite cabane à outils. Juste la place pour quelqu’un de se tenir debout en fait, pas plus. Et le fermier avait évidemment vu la cabane puisqu’il se dirigeait vers elle. Scotty regarda avidement dans ses jumelles. Il était parfaitement placé. Ni trop près ni trop loin et il pouvait voir les deux à la fois. Le fermier avait l’air intrigué et furieux que quelqu’un soit venu installer ça dans son champ pendant sa petite sieste.

Le fermier approcha son tracteur à une dizaine de mètres et coupa le moteur. On n’entendait plus aucun bruit. Même les mouches et les oiseaux semblaient silencieux. Le fermier s’avança d’un pas hésitant vers la cabane.

A ce moment on entendit un chant de femme, très pur et très clair. Une chanson sans paroles. Et chacun des deux hommes, le fermier dans son champ et Scotty dans son arbre, virent sortir de la cabane par un tout petit hublot qu’ils n’avaient pas remarqué, un bras nu puis un autre qui tenait une éponge.  Et pendant que le chant se poursuivait, ils virent l’éponge laver la peau claire d’un bras puis de l’autre. C’était un spectacle inattendu à cet endroit. On aurait cru se trouver sur la scène d’un music-hall dans un numéro de charme. On entendait le bruit de l’eau, on sentait un parfum sucré et la chanson continuait. C’était un spectacle fascinant. Scotty faillit descendre mais il vit le fermier secouer rapidement la tête et avancer vers la cabane. Il le vit ouvrir la porte et entrer. La porte se referma.

Scotty était vissé à ses jumelles mais plus rien ne se passa. La chanson s’était arrêtée et aucun bruit ne filtrait. Rien ne bougeait plus. Scotty était pâle. Etait-ce un piège ? Etait-ce comme cela que les autres fermiers avaient disparu ? Mais pourtant rien n’avait été retrouvé près de leurs tracteurs. Aucun signe d’une quelconque cabane, d’eau ou de quoi que ce soit de bizarre. Et d’ailleurs, comment cette cabane s’était-elle retrouvée là? Il n’y avait aucune trace du véhicule qui l’avait apportée.

Scotty descendit de sa branche. Il voulait aller voir cette cabane. C’était plus un réflexe de curieux invétéré que de héros. Il ne quitta pas la cabane des yeux un seul instant, sauf quand il dut passer derrière l’arbre. Et ensuite la cabane n’était plus là. Il n’y avait plus rien sur le sol.

Il leva les yeux car il avait vu quelque chose du coin de l’oeil, et il eut tout juste le temps de voir un point noir monter dans le ciel puis disparaître derrière un nuage. Rien d’autre. Et évidemment aussi, dès qu’il arriva près du tracteur il ne put trouver aucun signe. Il ne pouvait pourtant avoir eu une hallucination, car le fermier avait disparu.

Scotty rentra pensivement chez lui, puis à la ville. Il ne parla jamais à personne de cette aventure et se dépêcha de vendre sa maison de campagne. Il préférait rester à la ville. Là au moins il aurait plus de chances d’échapper aux pêcheurs du ciel. Il ne mangea plus jamais de poisson non plus.





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