dimanche 24 août 2014

Du temps de cerveau pour... Une nouvelle gare à Sète

Edmond en avait marre du métier de vendeur itinérant. Il le pratiquait depuis tant d'années qu'il connaissait pratiquement toute la France, ses hôtels, ses bordels, ses bars paumés pour VRP sans ambition.

Il avait vendu de tout, mais principalement de l'inutile. Des produits fabriqués uniquement pour être vendus à des clients crédules. Et cher. Car un produit pas cher était unanimement considéré comme sans valeur. L'astuce était de le faire payer en plusieurs fois avec des clauses de crédit en tout petit. En fait Edmond vendait du crédit.

Edmond connaissait toutes les techniques de vente classiques et même celles qui frisaient l'arnaque. Du pied-dans-la-porte au piège-abscons en passant par le toucher-de-bras, Edmond était devenu un expert. Il avait même été interviewé par des chercheurs qui en avaient fait un livre.

Edmond était fatigué. Il savait que cette tournée était la dernière mais il avait quand même du mal à aller jusqu'au bout. Il ne savait pas exactement ce qu'il vendait cette fois, mais ça marchait assez bien. Comme d'habitude. Le seul problème était que sa voiture était tombée en panne. Il n'allait pas en racheter une pour quelques semaines puisqu'une voiture ne lui servirait plus à rien ensuite. Il avait donc décidé de prendre le train, un peu aléatoirement.

Ce soir-là il avait pris un train pour Sète et était descendu sur un quai désert. Il faut dire qu'un orage violent venait d'éclater. Edmond se réfugia sous un abri tout petit. Il y avait juste assez de place au sec pour lui et ses deux valises : la sienne et celle des machins qu'il vendait.

Il aimait bien le bordel de Sète et son bar bien chaud. Pas trop loin de la gare en plus. Mais pour le moment il devait attendre que la pluie s'arrête. Edmond alluma une cigarette et regarda autour de lui. La gare était vraiment vide et sombre. Un moment il se demanda s'il était bien descendu au bon arrêt. Puis il décida de s'en foutre. De toutes façons il y aurait bien un hôtel à côté de la gare. Et des couillons pour acheter ses trucs. Il n'arrivait même pas à voir la pancarte au milieu du quai, tellement le rideau de pluie était épais et scintillant.

Quand Edmond vit la silhouette approcher, il pensa que c'était un cheminot venu voir si tout allait bien. Puis il devina des formes féminines. Il y avait aussi des cheminotes, pensa-t-il... Puis il vit mieux la femme approcher. Elle était en robe de soirée et parée de bijoux. Elle ne semblait pas remarquer la pluie. Ses cheveux non plus d'ailleurs puisqu'elle arborait une superbe coiffure qui n'aurait pas dû résister aux torrents d'eau qui tombaient du ciel avec un bruit d'enfer. Edmond comprit que la femme venait vers lui et il essaya de se serrer dans un coin de son petit purgatoire, mais il savait qu'il n'y aurait pas de place pour eux deux.

Lorsque la femme arriva devant son abri, Edmond put l'admirer en totalité. Il n'aurait pas su la décrire. Elle était tout simplement parfaite, comme un matin d'été quand on a vingt ans et qu'on se réveille à côté de l'amour de sa vie. Edmond remarqua à peine que sa robe était quasi transparente. La femme n'était absolument pas mouillée. Il ouvrit la bouche, mais elle lui mit un doigt sur les lèvres.

Edmond recula. La femme entra dans la chambre, referma la porte et alluma le chandelier près du lit. Puis elle se déshabilla lentement. Edmond se retrouva nu en quelques instants. Elle l'attira sur le lit. Edmond ne se souvint plus de rien après, seulement que c'était la meilleure nuit qu'il eut jamais passée.

Lorsqu'il se réveilla, c'était encore la nuit. La pluie avait cessé et le ciel était plein d'étoiles comme souvent après un orage dans le midi. Edmond était seul sous son abri, avec ses deux valises.

Il avait rêvé, se dit-il. Un beau rêve ma foi, pensa-t-il en souriant. Il décida de se lever et de trouver un hôtel pour le reste de la nuit. Mais il s'arrêta bien vite. L'une de ses deux valises était étrangement légère. C'était la valise des trucs à vendre. Un peu inquiet il l'ouvrit. Elle était effectivement vide. Sauf un petit bout de papier avec une empreinte de lèvres. Il connaissait ces lèvres. Il prit le papier et posa ses lèvres sur celles de l'inconnue. Puis il referma la valise et rejoignit la sortie. Il ne se souvenait du prix auquel il avait vendu sa marchandise, mais ce n'était pas grave. La nuit avait été merveilleuse.

C'était encore la nuit. Il n'aurait jamais dû traverser en pleine voie. Mais la nuit tous les trains sont gris. Lorsqu'on retrouva son corps le matin suivant, personne ne put l'identifier. Une des deux valises était vide et l'autre pleine de vêtements banals. On l'enterra dans le petit cimetière sur la plage à côté. Personne ne comprit jamais pourquoi ni comment cet homme était arrivé là, au milieu de nulle part, à côté d'un abri de chantier en pleine nature. La vieille comtesse décatie qui habitait la somptueuse villa à quelques dizaines de mètres n'avait rien entendu. Elle fut pourtant la seule à l'accompagner dans sa dernière demeure. Elle aimait bien les représentants de commerce. Et celui-ci vendait des machins intéressants. Pas comme celui d'avant !

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