dimanche 1 février 2015

Du temps de cerveau pour... une nouvelle fois sans tweets

C’est l’histoire vraie d’une déchéance terrible.

John était un jeune homme normal, étudiant dans une université américaine, plutôt bien de sa personne et membre de l’équipe de foot seconde, ce qui ne gâtait rien pour les filles. Il n’était pas le meilleur, ni appelé à une carrière internationale, mais c’était un étudiant sympa et avec plein d’amis. Il était très présent sur les réseaux sociaux habituels, on pourrait même dire obligatoires sur son campus et son mur Facebook était plein de photos nulles et de commentaires imbéciles, tandis que son fil Twitter ne parlait que de détails insignifiants. Un étudiant normal donc.

Ce dimanche après-midi, l’un des ses « amis » qui travaillait dans une startup de la Silicon Valley lui envoya un code d’essai pour un nouveau réseau social qu’ils mettaient en test. Ils voulaient avoir l’avis d’utilisateurs normaux des réseaux avant de lancer ce nouveau service innovant. Le code lui fut livré dans une jolie petite boîte dorée, et il y avait un petit bracelet avec. Les seules instructions étaient d’enfiler le bracelet et d’appuyer sur le bouton de temps en temps. Il y avait une URL aussi, pour s’inscrire.

John ajusta le bracelet à son poignet droit car le gauche était déjà pris par sa montre connectée. Il se connecta ensuite au site internet et on lui demanda simplement de taper son code et d’appuyer sur le bouton du bracelet. Rien d’autre. Pas de login, pas de mot de passe. John fut tout de suite séduit.

Mais le site était bien vide. Normal, se dit-il, pour un site en beta-test. Mais pas très sexy ! John en eut marre au bout de quelques instants et retourna sur ses sites favoris en ne pensant plus au bracelet.

C’est le lundi matin, en arrivant en cours qu’il trouva qu’on le regardait bizarrement. Les filles surtout. Personne ne lui fit de remarque spéciale mais quand même, c’était étrange. Il avait bien vu quelques tweets passer avec un lien vers le site du réseau expérimental, mais rien d’affolant, juste des « Allez-voir, ça vaut le coup ». John se connecta, comme d’habitude en cours, car qui écoutait encore les profs ? Le site ne disait rien de spécial et était toujours aussi vide. Il ne semblait pas y avoir d’activité. John essaya de sonder quelques-uns de ses amis mais personne ne lui dit rien.

Le lundi soir, John était chez lui, en train de siroter une bière devant ses deux télés et son ordi comme d’habitude lorsqu’il reçut un message de son ami de la Silicon Valley. Celui-ci lui demandait si tout allait bien et John lui répondit que oui, mais qu’il avait complètement oublié le bracelet et qu’il était désolé si cela faussait leur test. Son ami lui répondit que non, ce n’était pas grave, il suffisait qu’il appuie au moins une fois par jour. Et s’il voulait bien le faire maintenant, ce serait super sympa. John n’osa pas lui parler de l’attitude bizarre des autres étudiants et appuya sur le bouton.

Le mardi matin, John remarqua que beaucoup de ses camarades s’étaient habillés chic. Les garçons avaient mis des costumes et les filles des robes à paillettes. Même le prof était propre, ce qui tenait du miracle. Personne ne parla à John qui commençait à se sentir mal à l’aise. Pendant l’entraînement de football, il remarque qu’on ne le plaquait pas avec la violence habituelle. C’était de plus en plus bizarre et John se mit à réfléchir. Cela devait avoir un lien avec ce test du nouveau réseau social. Il décida d’arrêter là.

Le mardi soir, il voulut ôter le bracelet mais celui-ci ne s’ouvrait plus. On aurait dit un morceau de plastique mou qui était d’une seule pièce, ajusté exactement à son poignet. Il décida qu’il allait se rendre le lendemain dans la société de son ami et lui demander des explications. Lorsqu’il reçut un message vers 22 heures lui demandant s’il avait bien appuyé sur le bouton, il s’énerva un peu. C’était quoi cette expérience ? Non mais, il n’était pas un cobaye !

En se réveillant le lendemain matin, sa boite aux lettres avait explosé. Il avait reçu plus d’un million de mails dans la nuit et il ne pouvait en consulter aucun. Il prit sa douche et alla se chercher un café au Starbucks du coin avant de prendre la route. Tout le monde le regardait dans la rue et certains le montraient du doigt. Il vit même des enfants pouffer de rire et des mères effarouchées cacher de leurs mains les yeux de leur progéniture. Au café, tout le monde s’écarta pour le laisser prendre sa boisson. et malgré l’heure de pointe il n’eut aucun mal à trouver une place, juste devant l’écran géant qu’il ne regardait que les soirs de championnat.

Il faillit en renverser son café quand il se vit à l’écran en train de prendre sa douche et de se masser longuement. Dans un petit écran sur le côté il se vit également en train de lire une revue de filles. En bas de l’écran défilaient comme d’habitude des dépêches, mais elles avaient toutes trait à lui : Depuis hier minuit, le monde est sans nouvelle de John, le nouveau héros national. John a-t-il eu un problème de digestion ? Pour tout savoir sur John cliquez sur cnn.com/John...

John regarda la télé quelques minutes sans comprendre. Il regarda son bracelet. Celui-ci semblait maintenant soudé à son poignet et le bouton avait disparu. John le toucha un instant de l’index gauche, mais il semblait impossible à enlever. A ce moment apparut un flash spécial à la télé et deux journalistes expliquèrent avec un soulagement visible qu’on avait retrouvé John et qu’il était réapparu sur le réseau social du futur. Tous dans la salle allumèrent à ce moment leurs téléphones portables et se mirent à les regarder. John se sentit mal à l’aise. Il sortit en courant du café et se précipita dans sa voiture. Il démarra en trombe et se dirigea vers l’entreprise de son ami.

Sur la route il alluma la radio, réglée sur sa chaine 100% musicale préférée. Mais on y parlait, ce qui était rarissime. Et on y parlait de lui en plus. Une psychologue rock expliquait que la jeunesse d’aujourd’hui ne savait plus quoi faire pour se rendre intéressante. Elle plaignait le pauvre John - Merci, lui dit-il à travers le poste avec un rictus - mais trouvait que cette technologie était fascinante : on pouvait vivre la vie d’un autre à distance en observant tout ce qu’il faisait, sentait, goûtait, touchait, entendait, voyait, pensait même à tout instant, avec des moments de synthèse chaque nuit, pendant les phases de sommeil profond, puisqu’on partageait même ses rêves. John faillit faire plusieurs fois des embardées fatales avec sa voiture mais il avait assez de self-control pour ne pas se tuer.

Il apprit ainsi qu’il était pour le moment le seul être humain à être équipé de cette façon mais que l’expérience créait un tel engouement que des millions de personnes se portaient candidates pour devenir également des membres à part entière de ce réseau.

John s’arrêta un instant au bord de la route, dans une aire de stationnement déserte. Il devait réfléchir. Il regarda le bracelet. Il sentait bien que cela ne servirait à rien d’aller à la rencontre de ses inventeurs. Ils avaient dû tout prévoir. Lorsqu’il ressortit des toilettes, la zone de stationnement était déjà pleine aux trois-quarts de curieux. Personne ne lui fit de remarque, mais tous le prenaient en photo ou essayaient de se montrer à côté de lui.

John rentra chez lui. Il se coucha et se dit que si rien ne lui arrivait pendant quelques jours, les gens se lasseraient et choisiraient d’autres cibles. Il prit quelques somnifères et se coucha, chaque fois qu’il se réveillait, il grignotait un peu et en prenait d’autres. Il ne se réveilla vraiment qu’au bout d’une semaine.

Et il alluma la télé.

Il y avait maintenant trois chaines entièrement consacrées à lui, disséquant ses actions, ses pensées et ses rêves puisque le bracelet semblait maintenant marcher en continu, et de mieux en mieux. Sur le site du réseau social, une page était consacrée aux votes. Des questions étaient soumises, et celles qui recueillaient le plus de votes favorables étaient entrées dans le bracelet. John y répondait sans même savoir qu’il y avait répondu la plupart du temps. Et ces réponses devenaient la vérité, la vérité claire et absolue d’une opinion respectée par tous.

Une heure après s'être réveillé, John reçut la visite d’inspecteurs du FBI qui l’emmenèrent dans un lieu secret et protégé de tous. Depuis, ce jour, il vit entre quatre murs, avec tout le confort moderne, plus qu’il n’en avait jamais eu. Il sait qu’on lui pose des tas de questions à travers son bracelet et qu’il répond toujours, même sans le savoir. Il ne connait jamais les réponses qu’il donne, sauf si les télés en parlent, car chaque fois qu’il va sur le site du réseau social, fréquenté maintenant par des milliards d’humains, il ne voit rien de changé. Tout est vide comme au premier jour. Il a enfin compris qu’il ne pouvait pas se voir lui-même. Il a aussi compris que le réseau ne s’est jamais étendu à un deuxième cobaye. Pourquoi changer une équipe qui gagne ? Alors il attend. Sans espoir, mais il attend.

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