vendredi 13 février 2015

Information en continu : on continue ?

Décision forte du CSA hier à propos de la couverture des massacres de la Saint-Charlie par les chaines information, continue ou pas. Et grosse levée de boucliers des médias concernés.

Le CSA a officiellement critiqué la divulgation par les programmes en temps réel d'informations qui auraient pu mettre en danger des vies (d'otages et de forces de l'ordre) ou faire capoter des opérations en cours. Tous ceux qui ont passé des heures scotchés devant leurs télés et radios pendant ces 3 jours en janvier se souviennent du flot ininterrompu d'images et d'informations, dont certaines étaient visiblement déplacées : des journalistes se plaignant qu'on les empêche de filmer et de diffuser tout en direct, des caméras cachées pour être les premiers à montrer avant l'autre chaîne une image quelconque... Le simple spectateur était forcément choqué par ce traitement à l'américaine sans retenue... tout en étant fasciné comme un papillon par une ampoule.

Le CSA attaque plusieurs points en particulier, notamment sur les prises d'assaut "simultanées" lors des deux attaques finales contre les deux groupes de terroristes. Il insiste sur le principe de précaution et sur la capacité à conduire des opérations violentes sans avoir en plus à devoir détourner de l'énergie pour empêcher des divulgations intempestives. Il parle aussi des mentions d'otages cachés à l'insu des terroristes, ce qui pouvait mettre leur vie en danger.

Les journalistes et les médias défendent le droit absolu à l'information même en temps réel et la concurrence avec les autres médias (étrangers, sites Internet et réseaux sociaux principalement) qui ne ressortent pas de la responsabilité du CSA.

Il y a là un débat de fond sur la liberté de la presse, encore une fois, et les conflits quand ce droit en rencontre d'autres, comme le droit à la sécurité. Chacun y va de ses opinions politiques, déontologiques. Certains crient au loup. Autant ces questions sont abstraites quand on parle de choses lointaines, autant elles sont très concrètes lorsque cela se passe au plus près de chez vous avec vos médias habituels en ligne.

Le direct est un art difficile. Il apporte un plus indéniable dans beaucoup de situations, et il peut être nuisible dans d'autres. Les écoles de journalisme apprennent à traiter ce genre de situation, et les discussions au sein des rédactions sont certainement passionnées sur ces sujets. Mais lorsque les médias choisissent de privilégier leur audimat, pour s'en vanter, au mépris du reste on ne peut que se poser des questions. Certains journalistes haussent le sourcil quand des citoyens normaux en parlent, comme si leur métier les autorisait à être les seuls à pouvoir en parler. Comme si les autres étaient illégitimes pour en parler, dans une logique corporatiste évidente. Encore moins quand il s'agit de blogueurs non journalistes. Il est un fait que les déclarations à l'emporte-pièce se multiplient sur ce type de sujet, avec force effets de manche.

On nous parle d'une réalité médiatique qui s'impose, entre les chaînes en continue, Internet et les tweets, avec une course de facto à l'échalote l'info, qui est installée et donc devenue incontournable. On nous parle du devoir d'informer (et des droits qui vont avec). On nous parle de l'objectivité de l'image et des faits par rapport à la relativité des commentaires en direct ou en différé. Tout cela est bien beau, mais c'est oublier la quantité impressionnante de manipulations autour de l'image et l'importance des écarts temporels en situation de crise. D'ailleurs la plupart des chaines de télévision imposent maintenant quelques secondes de délai entre le direct enregistré par une caméra et le direct visible sur le poste de télé, pas seulement pour des raisons techniques, mais également pour pouvoir couper une scène si elle est trop déplacée. Ce recul est important pour leurs clients, mais l'info en continu semblerait y échapper ?

On a beaucoup parlé des quarante ans de TF1 il y a peu. Les incidents à l'époque devaient être traités avec plus d'intelligence puisque la technique n'était pas la même qu'aujourd'hui, et l'effort portait sur l'analyse plus que sur l'instantané, relativement peu présent encore à l'époque. Mais on ne refait pas l'Histoire. Alors justement :

Autant il y a un peu plus d'un mois tout le monde avait été choqué par le traitement médiatique des traques aux terroristes, autant un mois plus tard les journalistes ont oublié ces dérives et se sont rabattus sur des déclarations de principe générales. Pourtant les journalistes et les médias ont raison sur la liberté d'expression et d'information. Qu'ils en parlent un peu à d'autres plutôt, afin de reformuler leurs critiques, au lieu de rester en circuit fermé entre eux. Le rôle d'un gendarme, comme le CSA, est de verbaliser en cas d'écarts. Un peu d'auto-critique de la part des chaînes ne ferait pas de mal... à moins que seule la peur du gendarme soit efficace, et même si ce gendarme a un mandat limité et qu'il ne peut pas intervenir sur tous les médias. Le CSA répète par exemple que les radios et les télés ont un rôle accréditant quand elles parlent d'une information - plus que les médias internet ou les réseaux sociaux quand ils parlent de la même chose. Il n'y a pas d'information objective, sans connaître sa source et sans une "autorité" pour la délivrer. Et ceci est vrai non seulement pour les journalistes qui les donnent, ces infos, mais aussi pour les personnes interviewées, dans la rue ou sur un plateau, et qui eux peuvent dire n'importe quoi sans aucune déontologie professionnelle.

Autant de questions à penser à froid, car quand on est au milieu d'une crise urgente, on n'a plus le temps de penser.

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