dimanche 15 mars 2015

Du temps de cerveau pour... une nouvelle fois sans garde torve

Julien était de garde devant le Monument depuis bien trop longtemps. Ses pieds le faisaient souffrir et il avait du mal à rester immobile plus d'une minute, sans soulever un pied ou frétiller. Tout cela était interdit, bien entendu. Le Monument était trop important et la Garde devait être exemplaire. C'était un corps d'élite après tout et Julien était très fier d'y avoir été accepté. Mais la relève se faisait attendre et Julien s'impatientait. Un retard était inconcevable, naturellement. La Garde était parfaite et ne pouvait pas se tromper. C'était donc forcément lui qui n'allait pas bien aujourd'hui. Julien se remémora encore une fois ses dernières vingt-quatre heures pour essayer d'y découvrir ce qui pouvait le rendre aussi nerveux. Mais il ne trouva rien de bizarre dans ses souvenirs : 

Après son tour de garde, hier, il avait pris sa douche, salué son supérieur et il était rentré au baraquement en moto. Il n'avait écrasé que deux personnes sur la route, une journée normale, et il s'était arrêté pour prendre quelques bouteilles au supermarché, sans payer comme d'habitude. Puis à la caserne, il s'était saoulé avec ses camarades et s'était endormi comme une masse. Ce matin, il s'était entraîné comme d'habitude, puis il avait pris une douche, salué son supérieur et il était allé prendre son tour de garde. Il était parti deux secondes en retard et avait préféré ne pas s'arrêter en chemin, ni au supermarché, ni aux feux rouges. Il était arrivé juste à l'heure mais le camarade qui l'attendait pour la relève l'avait regardé avec des yeux rouges avant de partir en courant. Il n'avait pas pris de douche et avait enfourché la moto de service encore chaude, sans même saluer leur supérieur.

Julien s'était demandé quelle mouche avait piqué ce soldat. Il ne ferait pas de vieux os dans la Garde s'il continuait ainsi. Peut-être même serait-il radié dès ce soir ? Julien s'était installé à son poste et avait commencé à penser à l'autre soldat. Il n'avait jamais entendu parler d'un tel comportement, totalement indigne de la Garde. Puis Julien n'avait plus pensé à rien, comme d'habitude... Jusqu'à ce qu'il sente son corps bouger et ses pieds trembler. Et ses pensées dériver. Mais pourquoi étaient-ils en retard ?

Julien cligna des yeux pour revenir au présent. Il ne voyait rien dans sa journée pour expliquer ce fourmillement dans ses pieds. Rien que l'autre soldat évidemment. Avait-il été frappé par une mystérieuse maladie ? Piqué par un insecte qui rend fous les gardes ? Faisaient-ils l'objet d'une attaque sournoise, et de qui ?

Il ne restait aucun ennemi pourtant, nulle part. La garde était omniprésente et toute puissante. Il n'y avait aucun insecte non plus dans la zone ultra-protégée du Monument. Aucune chance d'accident. Tous les jours étaient pareils. Sauf aujourd'hui se dit-il.

Et puis brutalement il se souvint. Il se souvint de ce qui s'était passé la veille. De la fille qu'il avait vue pour la première fois hier au supermarché et qui lui avait tendu son sac plein de bouteilles avec un regard glacial et irrésistible. Sur le moment cela avait été juste une fille comme les autres, comme celles que la Garde leur fournissait le soir à la caserne pour s'amuser. Mais maintenant qu'il y repensait, il revoyait son visage, là, devant lui, sur le fond de sable blond du désert qui entourait le Monument. Un visage impossible à ignorer. Un visage qui déclenchait chez lui une envie irrépressible de la retrouver. Julien brûlait maintenant. Il ne pensait plus qu'à être avec elle. 

Julien sut alors que son camarade avait eu la même envie, quelques heures plus tôt. Et il eut peur de ce qui avait pu se passer entre eux. Il était inimaginable que cette fille soit pour quelqu'un d'autre. Cela ne pouvait pas attendre.

Alors Julien dépassa l'indépassable, commit l'acte utile de trahison. Il fit un pas en avant, arma le fusil laser et balaya en tournant sur lui-même tous les êtres vivants autour de lui, en commençant par son supérieur. Celui-ci mit quelques secondes à fondre car c'était un robot solide, mais les visiteurs se désintégrèrent dès que le rayon les toucha. Julien vérifia qu'il ne restait aucun survivant puis il enfourcha sa moto et ne s'arrêta que devant le supermarché.

La fille n'y était pas. Julien sut aussitôt où elle était. Il tua tout le mode pour faire bonne mesure et rentra à la caserne. Il ne mît que quelques minutes à liquider tous ses camarades et tous les supérieurs. Il était le seul à être armé. 

Il n'y avait en effet qu'une seule arme sur cette planète, celle du garde en faction devant le Monument. Et c'était lui qui l'avait. Il trouva la fille comme prévu dans les bras du soldat. 

En quelques secondes tout fut fini. Elle et lui étaient les deux seuls survivants. Il la regarda. Elle avait des yeux extraordinaires. Il sut qu'il ferait tout ce qu'elle lui demanderait. Et justement, elle lui demanda quelque chose. Il obéit. Quand elle eut le fusil laser en main, elle lui tira dessus, lui coupant les pattes. Puis elle lui dit ce qu'elle allait faire, avant de l'achever. 

La dernière pensée de Julien fut pour le Monument. Elle allait bientôt le détruire. Il ne réussit pas à être triste. Le Monument était pourtant là depuis des millénaires, pour célébrer la Garde qui avait pacifié cette planète. Mais peut-être s'était-il trompé ? Si au lieu de célébrer la victoire sur l'obscurantisme et les humains qui peuplaient ce monde, le Monument célébrait la dictature de la Garde sur un peuple désarmé. Non, non, la garde ne pouvait avoir tort.

La fille regarda un instant le cadavre de Julien. Puis elle enfourcha la moto et s'en alla détruire le Monument. Elle avait beaucoup de travail et elle était seule. Elle ne le serait pas longtemps heureusement. Dès que le Monument serait détruit, tous les monstres de la Garde mourraient et les humains pourraient commencer à reconstruire leur monde, sans ces êtres difformes et venus d'ailleurs pour les contrôler.

Il est vraiment dommage pour l'Humanité que la fille n'ait jamais conduit de moto de la Garde avant. Car elle n'avait que deux jambes, elle, et elle ne put éviter l'accident qui la tua. 

Enfin... Peut-être une autre tentative aboutira-t-elle d'ici quelques milliers d'années ? Les envahisseurs ont quand même doublé la Garde, par précaution. On ne sait jamais...



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire