dimanche 22 mars 2015

Du temps de cerveau pour... une nouvelle fois sans quinte

Claude adorait les congrès de dentistes. C’était l’occasion d’apprendre plein de choses nouvelles sur son coeur de métier, la création de nouveaux amalgames pour remplir toutes ces vilaines cavités dans la bouche de ses patients, mais c’était surtout le meilleur moyen de rencontrer des dentistes d’autres cultures et de comprendre comment ça se passait chez eux. C’était également un moyen très pratique de faire des rencontres avec l’autre sexe... des rencontres très agréables qui se terminaient la plupart du temps dans des bras accueillants, au bord de la plage. Car les congrès de dentistes étaient toujours dans des lieux somptueux au bord d’une plage.

Enfin, ça c’était d’habitude. Sur ce congrès précis, où son arrivée avait été tardive la veille, Claude ne disait pas bravo aux organisateurs : la plage était fermée au public pour cause de pollution et compte tenu des troubles dans la région, ils avaient interdiction de sortir de l’hôtel. Heureusement c’était un bon hôtel. Mais dans la cohue du petit déjeuner, Claude avait bien compris qu’il serait difficile de trouver « chaussure à son pied » cette fois : trop de monde dans un endroit trop petit. Tout ceci n’était pas favorable à ses projets d’aventure.

Il allait falloir cibler ses tentatives pour approcher ses collègues. En regardant le planning détaillé des activités, Claude identifia rapidement l’atelier qui serait le plus propice à des rencontres fructueuses. Il n’y avait pas beaucoup d’inscrits mais leurs photos étaient assez séduisantes. Le sujet de l’atelier n’avait aucune importance, évidemment. Claude ajouta sa photo à partir de son téléphone et entra en séance plénière.

La séance avait déjà commencé mais la salle n’était pas remplie. La première heure était toujours consacrée aux discours officiels sans intérêt et la plupart de ses collègues attendaient le début réel des travaux pour entrer en séance. A la tribune, le président parlait et à côté de lui un ministre local quelconque attendait son tour en caressant tranquillement son grigri comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. On était bien dans un autre monde, se dit Claude !

Le président était d’origine inuit et il n’avait été élu que parce que son statut de représentant d’une minorité autochtone était bon pour l'image de la société internationale des dentistes. Il était pourtant très compétent, comme Claude avait pu le vérifier en buvant un verre avec lui lors d’autres congrès, mais il était vraiment très moche. C’était peut-être également pour cette raison qu’il avait été élu, car comme cela il ne portait pas ombrage aux belles et beaux dentistes de l’assistance. Ses collègues pouvaient de temps en temps être un peu pervers...

Claude profita du changement d'orateur pour quitter cette triste kermesse d’auto-célébration. Il valait mieux se promener dans les couloirs et repérer quelques proies séduisantes que de supporter de si bon matin des discours célébrant la gloire de leur profession commune. Au moins dans les couloirs il y avait une petite musique de fond assez jolie et entraînante et quelques mignardises à grignoter. Claude repéra assez vite quelques petites salles et plusieurs recoins qui seraient très adaptés pour des conversations plus « intimes ».

En fait cet hôtel n’était pas si mal que cela. On voyait bien qu’il avait été pensé pour accueillir des congrès, malgré son style un peu kitsch. La direction avait dû essayer de plaire à toutes les nationalités à la fois en oubliant sa propre histoire et le résultat était improbable. Mais Claude adorait ce type de décoration de mauvais goût, mais pas trop, qui permettait très vite de séparer parmi ses collègues ceux qui avaient le sens de l’humour des autres.

Au début de sa carrière, Claude avait fait confiance à sa chance et au hasard dans ce type d’événement. Sans aucune planification, cela lui permettait de faire des rencontres très agréables et pleines de surprises. Plus tard Claude avait découvert le mot sérendipité qui correspondait exactement à son attitude d’alors : chercher quelqu’un sans vraiment chercher, et trouver quelqu’un d’autre qui correspondait bien mieux à ses demandes du moment. Faire confiance au hasard en étant simplement prêts à l’accueillir, à bras ouverts évidemment.

Mais depuis quelques années, Claude avait commencé à mieux organiser ces congrès. Le hasard, c’était bien, mais il fallait lui forcer la main un peu, de temps en temps. Claude passait donc du temps avant chaque congrès annuel sur le site internet dédié aux congressistes et s’y faisait remarquer, en publiant des commentaires sur le wiki ou en intervenant à bon escient sur les forums spécialisés. Toujours avec sa photo, pour qu’on puisse facilement l’identifier dans les couloirs. C’était une tactique efficace, même si une petite part était toujours laissée au hasard, en mémoire du passé, comme son inscription le matin-même à cet atelier.

Et justement, c’était l’heure de la première séance de l’atelier. Claude alla faire un tour aux toilettes et se composa dans le miroir un visage plein de zénitude. Une expression qui rendait son visage irrésistible d’après sa modeste expérience. Enfin le congrès allait réellement commencer ! Claude poussa la porte de la salle.

Première fin :
C’est à ce moment précis que la bombe explosa dans la salle. Claude fut projetée contre la porte et en même temps protégée par elle. Quand elle se réveilla à l’hôpital, le chirurgien était là. Il la rassura et elle tomba instantanément et follement amoureuse de lui. Finalement ce congrès était très intéressant.

Seconde fin :
C’est à ce moment précis que la bombe explosa dans la salle. Claude fut projeté contre la porte et en même temps protégé par elle. Quand il se réveilla à l’hôpital, la chirurgienne était là. Elle le rassura et il tomba instantanément et follement amoureux d'elle. Finalement ce congrès était très intéressant.



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Texte en l’honneur des dix mots 2015 de la langue française.



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