samedi 21 mars 2015

La loi de Parkinson appliquée à la justice

Vous connaissez la loi de Parkinson ? On en a déjà parlé ici et ici. Elle est en général appliquée aux organisations, qui lorsqu’elles dépassent une certaine complexité ou taille ont tendance à s’occuper plus d’elles-même que du monde extérieur. Elle se vérifie tous les jours et l’expression «simplification des processus» ou l’expression «déconcentration» disent bien qu’il n’est pas facile de lutter contre cette loi.

Mais cette Loi peut également s’appliquer à d’autres systèmes que les organisations. Appliquons-là au système juridique, ou plutôt au corpus des textes qui réglementent les sociétés, et aux mécanismes pour traiter les conflits, nommément les cours de justice et tous ceux qui traitent avec eux.

Plus un corpus de textes juridiques est complexe, plus les cours de justice sont occupées à traiter inutilement de cas sans intérêt de plus en plus nombreux, sans pouvoir s’occuper des cas réellement importants. 

Sans s’occuper du fond, il est souvent facile de trouver une manière de traiter un cas individuel (avec un bon avocat) qui va faire appel à plusieurs droits liés ou voisins ou même complètement différents. Et ces cas sont évidemment de plus en plus complexes, donc demandent de plus en plus de temps pour les traiter, au détriment d’autres décisions à prendre. Sauf lorsque l’objectif de la démarche est de gagner du temps - les politiciens sont des grands adeptes de ces mesures dilatoires - le résultat est un engorgement des tribunaux de toutes sortes avec des cas inutiles qu’il faut traiter.

La récente décision du Conseil constitutionnel sur la vaccination obligatoire en est un bon exemple. En confirmant que la vaccination obligatoire avec le fameux vaccin DTP pour les enfants est conforme à la Constitution, le Conseil a répondu à une énième demande à ce sujet. Il ne s’agissait pas d’un vrai débat de santé publique - pour ou contre les vaccinations obligatoires - alors que la France reste l’un des seuls pays à pratiquer ces mesures, mais d’un vulgaire débat juridique initié par l’avocat d’une seule famille. Ceux qui sont confrontés aux problèmes de santé publique dans les pays pauvres mais aussi dans de plus en plus de pays dits développés autour de maladies endémiques, émergentes ou dans ce cas simplement ré-émergentes (de retour après des décennies d’absence) savent que la santé publique est un enjeu majeur, qui dépassent les volontés des individus, affiliés ou non à des sectes.

On voit régulièrement des décisions de justice de cette nature. De plus en plus de cours de justice - à tout niveau - sont saisies sur des principes généraux de demandes individuelles. Et la Loi de Parkinson est en pleine accélération : plus on a une taille importante du corpus juridique, plus il y a de plaintes inutiles déposées en invoquant des principes généraux pour ces cas individuels, et plus le temps passé à les régler obère les cas juridiques qui concernent de vrais problèmes. C’est tellement facile à déclencher, tellement « rigolo » et surtout tellement permis par une société démocratique saine, que l’engorgement qui s’en suit n’est perçu que comme une mauvaise gestion du gouvernement en place - quel qu’il soit - en oubliant les causes plus profondes du problème.

Evidemment les lecteurs de ce blog qui ont une culture juridique vont sauter en l’air et me traiter d’ignare et d’anti-justice primaire. Il n’empêche que la tentation est de plus en plus grande de saisir la justice autour de grandes questions de société autour de cas individuels, qui déchaînent les passions ou qui font tout simplement perdre du temps. Alors même que tous se plaignent des moyens insuffisants de la justice à tous niveaux. Il y a pourtant une complexité créée par la multiplication des règlements qui entraîne des saisines de plus en plus nombreuses à tout propos, et surtout en essayant de monter les affaires en épingle pour les transformer en débats vitaux, nécessaires, urgents et qu’il serait criminel d’éviter.

Certaines sociétés sont tombées dans le juridisme depuis longtemps, comme les USA avec un rôle déterminant et pervers des avocats payés au résultat. Cela a progressivement modifié la société américaine qui naturellement devient de plus en plus conservatrice, puisque tout écart risque d’être sanctionné. Pourquoi agir si on peut être sanctionné ? J’exagère certainement un peu, mais pas tant que cela. Quand une société interdit (par la loi) des activités, c’est une chose. Mais quand le principe de précaution et la peur d’être attaqué en justice censure a priori les activités de certains, il y a un problème.

Un exemple américain ? Le gouverneur de l’Etat de Floride n’aime pas qu’on parle du changement climatique. Pour quelles raisons ? Bof, ce n’est pas important et cela peut aller d’une peur individuelle à une peur d’effrayer ses électeurs, en passant par le poids du lobby pétrolier ou des considérations sectaires... Ce qui est intéressant est qu’il a interdit (informellement, sans jamais l’écrire) à ses employés et fonctionnaires d’utiliser cette expression « climate change » dans les discours et les documents. Il a suspendu un employé qui l’avait fait et l’a obligé à aller voir une psychologue et à subir un traitement. Intéressant, non ? L’employé a porté plainte évidemment. La politique de l’autruche n’est pas une solution, mais elle est bien pratique et montre que les conservatismes et les pertes de dynamisme peuvent vite être déclenchés avec des décisions de justice qu’on craint, qu’elles soient réelles ou implicites.

Alors, oui, on peut faire l’autruche chacun de son côté et mettre son intérêt individuel en premier - qui ne le ferait pas ? - mais de temps en temps il faut se poser des questions.


Et, au fait, l’autruche ne met pas sa tête dans le sable pour se cacher ou croire qu’elle s’enfuit... Elle enterre ses oeufs (assez gros) et va les surveiller et retourner de temps en temps ;) Comme quoi, les autruches ne sont pas si bêtes, elles.

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