dimanche 12 avril 2015

Du temps de cerveau pour... une nouvelle fois sans tes dix-huit mètres

- Madame la juge, comme vous pouvez le voir sur cette image, tout s’explique, déclara Xyla.


La juge regarda Xyla. Il était tard et cette affaire était la dernière de la journée. Il était difficile de garder sa concentration après tant de dossiers aussi différents. Heureusement tout ici avait l’air limpide et les informations se recoupaient. En plus, la femme jugée semblait très coopérative.  Il n’y avait pas d’avocat. Il n’y en avait jamais pour de banales histoires de circulation. Les débats seraient expédiés plus vite, se dit la juge en fixant Xyla dans les yeux. Mais il y avait quand même une procédure à suivre et la juge était très respectueuse des formes. Elle attaqua donc son interrogatoire : « A quel moment précis à été prise cette image, Xyla ? »

- La photo a été prise juste avant, répondit Xyla. C’est une image automatique prise au moment exact où il franchit la limite, comme toujours en ce cas.

- Et à quelle distance fixez-vous votre limite ?

- Dix-huit mètres, répondit Xyla. Depuis toujours. Je trouve que c’est un joli nombre et cela convient parfaitement à la taille de mon habitat. D’ailleurs sur la photo, on voit bien qu’il commence à tourner la tête vers la gauche en arrière. Il est évidemment bien conscient qu’il vient de franchir la limite.

- Effectivement. Et que faisiez-vous à ce moment là ?

- Que faisais-je, madame la juge ? J’ai peur de ne pas bien comprendre. Je suis sur la photo, ici, au premier plan. Il est très clair que je suis occupée, répondit d’un air surpris Xyla.

- Oui, oui, évidemment, mais que faisiez-vous exactement ?

- Ah ! Excusez-moi, je n’avais pas compris, dit Xyla d’un air soulagé. Comme vous le voyez je possède un véhicule moderne à deux places et il était tombé en panne. Je le réparais simplement.

- C’est bien le modèle décapo-table de cette année que je vois là ? demanda la juge avec un petit sourire. Un modèle très à la mode, non ?

- Oui, madame, c’est le dernier modèle de chez Xylautomobiles, et je le possède depuis plusieurs mois. Il est extraordinaire. Ses performances sont remarquables et il a une esthétique rétro absolument unique.

- Mais les Xylautomobiles ne tombent plus jamais en panne de nos jours, demanda insidieusement la juge. Et surtout pas pendant les premiers mois. Racontez-moi ce qui s’est passé.

- Ah, madame la juge, je le pensais aussi, avant ce jour. Mais la panne est bel et bien arrivée. Comme vous le voyez j’avais choisi le modèle à deux sièges et avec une décoration soignée. Le réservoir à grains d’énergie était plein – on le voit bien au centre de la table – et tout allait bien. La route était belle et bordée de charmantes images de maisons anciennes. Depuis le matin, il était un peu agité et il buvait beaucoup de vin, mais ça me tenait compagnie, vous savez comme ils sont, dit-elle en faisant un clin d’œil.

- Continuez, dit la juge, amusée.

- Je lui ai demandé de rajouter un grain d’énergie dans le tube et il s’est trompé. Il en a mis deux avec un peu d’eau pour faire bonne mesure. Je croyais que nos véhicules étaient protégés contre ce type de manipulation, mais il faut croire que non. Le moteur s’est arrêté instantanément. J’ai même failli être décoiffée.

- Et ensuite, Xyla ?

- J’ai évidemment commencé à l’engueuler, mais cela ne sert jamais à rien avec eux. Ensuite je me suis ressaisie et je l’ai frappé, mais il n’a pas réagi. Je l’ai enfin fait sortir de table en lui demandant de ne plus toucher à rien. Puis je me suis glissée sous la table pour voir si je pouvais réparer quelque chose.

- Vous avez des connaissances en hypermécanique ?

- Un peu, madame la juge. On n’est pas l’héritière d’une famille de constructeurs automobiles sans avoir quelques connaissances. J’ai d’ailleurs tout de suite repéré la cause du problème. Le moteur principal avait un tuyau bouché avec une petite fuite. On en voit d’ailleurs nettement les conséquences sur la photo avec toutes ces horribles taches de graisse sur ma robe.

- Oui en effet, répondit la juge en examinant la photo. Et vous avez pu réparer ?

- J’étais en train de terminer de reboucher la fuite quand l’accident s’est produit.

- Ah. Racontez-moi ce que vous avez vu de l’accident, s’il vous plait.

- L’accident ? Mais je n’ai rien vu, Madame la juge. J’étais focalisée sur les entrailles de la table sous la nappe et je n’avais pas de raison de regarder dehors. Je savais qu’il n’était pas loin. Moins de dix-huit mètres naturellement.

- N’avez-vous rien entendu ?

- Ah si, Madame, j’ai entendu le petit carillon indiquant qu’il venait de quitter la zone permise et toute de suite après, avant d’avoir pu réagir, j’ai entendu le choc. Un choc terrible.

Xyla s’arrêta un instant. Elle venait de revivre ce pénible moment. Cela s’entendait. La juge comprit qu’il ne fallait pas pousser trop loin l’interrogatoire. Après tout il n’y avait pas eu de blessée et juste un homme mort. De plus sur la photo, on distinguait très nettement l’autre véhicule arrivant en face, avec sa conductrice debout sous son alcôve de verdure. Un bolide de course, déjà ancien mais très rapide. La juge estimait qu’entre le moment de la photo et celui du choc, il n’avait pas pu se passer plus d’une seconde. L’homme n’avait eu aucune chance. Surtout qu’il ne regardait plus devant.

- Je vois que vous aviez pris la précaution de garer votre véhicule au bord de la route, demanda la juge d’un air détaché.

- Oui Madame. C’est une précaution élémentaire, surtout avec ces bolides de course qui sillonnent les routes, répondit Xyla.

- Mais pourquoi, alors, l’avoir laissé, lui, errer sur la route ? demanda la juge sur un ton soudain très sérieux.

- Pardon ? dit Xyla en relevant les sourcils

- Oui, pourquoi l’avoir laissé là, au risque de créer un accident ? Sans surveillance ?

- Mais Madame ? Il était parfaitement conscient de ses limites et de ses devoirs. De plus toutes mes caméras étaient fonctionnelles comme l’ont montré les expertises. Il n’aurait pas dû rester au milieu de la route ! répondit Xyla indignée.

- Pourtant, il y était, non ? insista la juge.

- Oui Madame, répondit d’un air penaud Xyla. Je ne comprends pas pourquoi. Peut-être a-t-il eu un dysfonctionnement ?

La juge laissa planer quelques secondes puis elle reprit : « Merci Xyla. Mon interrogatoire est terminé et ma décision prise. Il n’y a en effet pas de drame dans cette affaire. L’autre conductrice n’a souffert d’aucune blessure et son véhicule d’aucun dommage. Les robots de service ont nettoyé toutes les traces. Je ne vois donc aucune raison de vous condamner. Vous êtes libre. Faites plus attention dorénavant ».

- Oui, merci Madame la juge, répondit Xyla. Elle était à la fois satisfaite de cette décision conforme à la loi et à l’usage, et soulagée par cette issue dont elle n’avait pas été certaine au début. Elle sortit de la salle, vaguement inquiète de ces sentiments contradictoires. Elle décida qu’il faudrait être plus prudente la prochaine fois.

La juge se leva. Elle continuait à penser que cette automobile était bien belle. Dommage qu’elle n’ait pas les moyens de se l’offrir. Celle-ci, se dit-elle en pensant à Xyla, elle a toutes les chances du monde. La juge était en effet convaincue que la première chose que Xyla allait faire en sortant d’ici c’était d’aller s’acheter un autre homme et de faire une balade en voiture avec lui. C’était la pleine période des soldes et on trouvait des hommes à tous les prix.

D’ailleurs, elle-même, peut-être pourrait-elle s’en offrir un de plus ?

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