lundi 16 novembre 2015

Des couches et des individus, après les attentats de Paris

C'est dans les moments de grande crise qu'on se pose des questions et qu'on observe autour de nous. Chacun de nous est un ensemble précis de couches, de facettes ou d'identités. De convictions, de forces et de fragilités. Et puis, chacun agit, indépendamment ou non de ce qu'il est. On voit souvent plus les actes que le fond. Débat ancien entre Platon et Socrate, entre le faire c'est être ou le être c'est faire.

En France, il y a plein de couches visibles de comportements. On les voit s'exprimer dans les médias, mais aussi dans les discussions en groupe ou privées. On les voit observées de l'extérieur, par toutes celles et tous ceux qui regardent la France et les français avec des regards bienveillants, moqueurs, haineux ou amoureux. Ce doux mélange a une caractéristique : c'est un mélange, et il nous caractérise. Il ne s'agit pas d'une intégration unifiante, ni d'un communautarisme clivant, mais plutôt d'une mosaïque mouvante. Elle est belle cette mosaïque. Et la beauté, c'est important. Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes ? Un monde de finesse avec quelques grammes de brutes dedans ? Chacun choisira, en toute liberté.

Carpe diem. Etre tourné vers l'avenir. S'ouvrir au monde et au futur, quelles que soient les douleurs passées. Le deuil est un travail individuel et de groupe, plus ou moins rapide. Penser à l'avenir et revivre, sans oublier le passé. Un vrai défi pour certains. Mais une boucle infernale dont il faut savoir sortir, au bon moment. Vivre et se souvenir, positivement. Une nécessité humaine, un bonheur inestimable. Insoutenable, comme disait Ira Levin dans son beau roman de SF. Une action déterminée pour vivre et répandre la vie autour.

Mais tout ceci n'est qu'une attitude individuelle, ou d'une couche d'optimistes déterminés. Ceux qui agissent (j'ai failli écrire se battent) pour que le monde soit meilleur, ici, au moment présent et pas dans un ailleurs inconnu et maîtrisé par des croyances plus ou moins crédibles. Au quotidien, dans sa rue, dans un avenir proche, avec ses enfants ou ceux des autres, dans une logique structurante, en travaillant là où ça fait sens.

On parle beaucoup de valeurs, mais elles ne sont que rarement nommables. Elles sont trop compliquées et trop difficiles à appréhender pour les écervelés. Il faut des symboles aussi. Des symboles facilement compréhensibles, appropriables. En France, on n'en a pas vraiment. Nous aimons tant détourner les symboles au-delà de leurs propres significations... Vive l'esprit critique ! Le drapeau bleu blanc rouge est perçu comme un symbole nationaliste, Marianne est différente à chaque sculpteur choisi, la Marseillaise est de la belle musique avec des paroles hyper-belliqueuses... Et pourtant, à certains moments, ces symboles nous rattachent, parce qu'il n'y a rien d'autre de plus fort, ou plutôt, il y a pléthore de symboles. Je n'en ai pas à vous proposer. Mais il en manque, des symboles concrets.

Et les couches, alors ? Il y en a pléthore.

Il y a les politiques, hommes et femmes, qui se déchirent sans retenue. Dès les premier jour, il y avait la bande de cons qui nous poussent à penser comme eux, en intolérants extrémistes qu'ils sont. Sarkozy a pris le relais et a déjà sonné le glas d'une union nationale qui n'est pas faite pour ce type d'hommes, trop autocrates pour accepter un quelconque consensus, fort ou mou. Le Congrès de Versailles sera le lieu de déclarations solennelles, mais l'ambiance unitaire est d'ores et déjà moribonde. Leur crédibilité en est diminuée, surtout quand ils proposent n'importe quoi.

Il y a les spécialistes de la sécurité. Certains sont pour le tout sécuritaire, à étendre d'urgence, tandis que d'autres sont pour le tout judiciaire. L'équilibre français est un mélange des deux, depuis plusieurs siècles, dans un équilibre fragile, qui allie protection et démocratie, sécurité et liberté. On a entendu des propositions débiles, comme Sarkozy par exemple avec des bracelets électroniques pour toutes les fiches S (sic), alors même qu'il sait très bien ce que sont ces fiches S, ou alors il est incompétent.

Il y a les médias, qui tournent en boucle. On voit peu d'analyses de fond ou en tous cas, elles sont invisibles, noyées dans la masse. Elles commencent à surnager, mais il est difficile de les séparer du reste. Quel média permettra de les lister, toutes opinions confondues ? Certainement pa les médias sociaux qui sont dans l'instantané, souvent à base de rumeurs. Comme ces fausses alertes dimanche soir à Paris qui ont provoqué des paniques. En le suivant en direct sur Twitter, on réalise à quel point ces réseaux sont capables du meilleur #porteouverte comme du pire.

Il y a les religieux de tous bords, avec leurs arguments auto-justificatifs. Ils ont le droit de penser ce qu'ils veulent dans un pays laïc. Ils ont aussi le droit de ne pas réagir. Je pense par exemple à ce dimanche matin sur la télé publique, avec les traditionnelles émissions religieuses : elles étaient enregistrées à l'avance "avant les attentats". Un décalage incommensurable. Qu'est-ce qu'une religion dominante en France (les chrétiens) qui n'est pas capable de bouleverser ces programmes dans ce cas ???

Il y a les artistes et les sportifs, unis dans cette attaque contre leurs visions du monde. Chacun a envie de réagir, modestement, avec son "art". De résister. De montrer que cela ne s'arrête pas, que cela va continuer même, plus et mieux. Il y a les amoureux de l'art et du sport qui veulent continuer, pour tuer la peur. Se découvrir dans un conflit, alors qu'on croyait être à côté, est un choc. Beaucoup ont des réflexes salutaires. L'émission de France Musique ce lundi matin en est un exemple parmi d'autres. La beauté ou la musique, une solution ? Ou un moyen de nous amener quelque part.

Il y a les parisiens, et spécialement ceux qui vivent et sortent à Paris. Il y a leur énergie indomptable et leur fantastique solidarité. Une énergie épouvantablement forte. N'importe quelle autocratie craindra toujours Paris et son peuple mosaïque. Une énergie dont on doit toujours se rappeler. Dont les autocrates et autres extrémistes doivent toujours se rappeler. D'autres villes sont comme ça - je pense à Beyrouth par exemple - mais Paris a cette taille qui en fait un symbole. Et ce peuple qui fait sa force. Ni insouciant, ni paniqué.

Il y a les cons, une couche très répandue un peu partout. Parmi eux, une petite partie est violente, ultra-violente, comme les extrémistes de Daech qui, quand ils pensent par eux-mêmes, pensent avoir raison d'éradiquer tout ce qui est Autre. Parmi les cons, il y a aussi les inconscients qui se marrent comme des baleines, qui lancent des pétards ou qui les vendent. On en connait tous. Ceux-là n'écoutent pas les autres, sauf quand ça les arrange. Ils se complaisent dans l'égoïsme de leurs groupes de cons.

En fait, c'est comme si la notion de "partage" ou d'"ensemble" n'existait pas tant elle recouvre de réalité différentes : une bande en banlieue, un groupe de musiciens qui joue ensemble, une foule au hasard communiant ensemble, un groupe militaire terroriste soudé et manipulé, une classe de collégiens réunie ce matin pour la première fois depuis les attentats, une famille recomposée, des couples d'amoureux séparés ou transis...

Et vous alors ?

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