dimanche 29 novembre 2015

Du temps de cerveau pour... une nouvelle de pluie

Écoutez mon histoire :

Wif allait le plus vite possible, ce qui n'était pas peu dire. Il était le champion à la course et pouvait battre n'importe qui au sprint, mais aussi en endurance. Ses muscles fins et allongés le rendait très élégant et même séduisant, mais ça il s'en foutait. Il aimait sa femme et était très fier de leur famille. Il aimait la séduire, elle. La célébrité apportait toujours son lot d'admiratrices, lui avait dit son vieil entraîneur, et ça fait partie de l'entraînement que de leur résister. Wif n'avait aucun mal sur ce plan car il aimait tellement sa femme qu' il ne voyait même pas les autres. Surtout aujourd'hui.

Il était sorti en hâte de leur maison, car la météo annonçait un orage violent en provenance du grand riff, et c'était justement de ce côté que toute sa petite famille était allée se promener. Sa femme avait insisté pour qu'il continue son entraînement en vue du championnat de la semaine suivante, et elle était partie seule avec tous leurs enfants. En temps normal, cela n'aurait pas posé de problème, mais si l'orage les touchait, ce serait la panique et elle aurait du mal à les calmer. Wif fonçait à leur rencontre en espérant arriver avant l'orage. Il avait emporté un filet de sécurité au cas où.

Leur maison était l'une des plus belles du voisinage, avec ses murs végétaux pour la protection et la nourriture, son toit de verre pour admirer le toit du monde et son sol étanche pour protéger contre la pluie. Chacune des pièces offrait une vue imprenable sur la barrière de corail au loin. Une situation privilégiée et un abri sûr en cas d'orage, si près du toit du monde. Le symbole d'un train de vie que ses voisins lui enviaient tous mais qu'ils expliquaient par ses succès sportifs et dont ils étaient fiers.

Ils auraient dû rester à la maison se disait-il en avançant de toutes ses forces. 
Il aurait dû leur dire de rester ou au moins les accompagner pour les protéger au lieu de ne penser qu'au championnat. 
Il s'en voulait.

Il dépassa quelques rochers et les aperçut enfin. Ils étaient encore loin mais il les distinguait parfaitement. Il distinguait aussi l'orage et il sut que la pluie les atteindrait avant qu'il puisse les rejoindre. Ils n'avaient rien pour se protéger. Seule une ridicule petite haie d'algues pouvait offrir un semblant d'abri s'ils s'y glissaient. Mais les enfants s'éparpillaient dans tous les sens et sa femme faisait des tourbillons désespérés pour les rassembler. Autour d'eux l'eau commençait à friser. Un phénomène avant coureur de l'orage, bien connu de tous les habitants sous la mer. Une alerte que tous avaient appris à reconnaître. Wif agita ses nageoires de plus belle et tout son corps se tendit vers l'avant.

L'orage frappa sa famille. Ils furent entourés de cette pluie effrayante qui montait drue vers le toit du monde. C'était un orage de classe exceptionnelle, avait dit la météo. Le fond de la mer était devenu bouillant et les bulles s'échappaient du sol poreux. La myriade de petites bulles fines étaient les plus dangereuses. Impossible de passer entre ces minuscules gouttes d'air qui se collaient à vous et vous asphyxiaient rapidement, vous empêchant d'être en contact avec l'eau salvatrice. En quelques secondes ont s'évanouissait. Ensuite c'était une question de chance. Si une grosse bulle passait près de vous, elle se collait à vous puis vous absorbait et vous emportait immanquablement vers le toit du monde et une mort certaine. Personne n'avait jamais pu briser une telle grosse bulle, de l'intérieur ou de l'extérieur. Elles éclataient juste, tout en haut, au moment qui semblait leur convenir, puis le cadavre retombait lentement au fond. La seule sécurité était de rester sur un sol étanche, comme dans leur maison ou dans certains lieux publics protégés, ou de s'entourer d'un filet de sécurité, repoussant suffisamment de bulles pour avoir le temps de se mettre à l'abri. 

Mais sa famille ne disposait de rien. Wif s'entoura du filet en arrivant dans la zone de bulles. Elles étaient si fortes maintenant que son filet ne tiendrait que quelques instants, mais il plongea dans l'enfer de cette pluie si terrible qu'on l'avait surnommée "la sécheresse extrême".  Un phénomène assez récent, dû paraît-il à un réchauffement du climat en dessous et au-dessus de leur fine couche de civilisation, sur cette planète pourtant si belle avec ses étendues d'eau à l'infini et ses couleurs de rêve.

Wif ne vit personne. Le noir était total, seulement zébré de ces bulles de pluie sèche et mortelle. Pourquoi le monde n'était-il pas uniquement liquide ? Pourquoi ces phénomènes secs se produisaient-ils, comme si le toit du monde réclamait son dû. Car au-dessus du toit du monde était la mort certaine. Un univers aride où aucune vie n'était possible, faute d'eau. Wif se secoua. Il sentait quelques piqûres de bulles, mais son filet semblait tenir. Et puis, il la vit. Sa femme. Seule. Dans une grosse bulle. Inerte.

Wif fonça vers la bulle. Personne n'avait jamais nagé aussi vite. Wif percuta la bulle de plein fouet. La bulle n'avait que deux solutions possibles. Éclater et libérer sa proie, ou l'absorber lui aussi. 

Mon histoire s'arrête là. La pluie d'air, par contre, continua son chemin, dévastant toute vie non protégée sur son chemin. Et qu'elle ait permis à ce couple de continuer à vivre ou qu'elle ait mis fin à leur existence n'a que peu d'importance, finalement. Cette planète est condamnée. Toute vie va y disparaître, noyée dans l'air. Il est trop tard.



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