mercredi 18 mai 2016

Police et logique floue

On parle beaucoup de la police en ce moment, à cause de l'état d'urgence qui dure, des manifestations violentes et de leur répression, de Nuit Debout et des collectifs anti-police. On en parle à l'occasion de cette manifestations de policiers excédés par leur mauvaise image et leurs conditions de travail partout en France, et symboliquement place de la République à Paris. Mais de quoi parle-t-on ?

Avant c'était simple (par exemple en 1968) : il y avait les bons d'un côté (les étudiants-diants-diants) et les mauvais de l'autre (les CRS-S-S) avec les bourgeois (pas encore bobos) qui observaient apeurés ou droits dans leurs bottes. Les flics étaient forcément mauvais, avec leurs matraques et autres équipements lourds contre ces pauvres manifestants uniquement équipés de pavés, pris sur la plage, et de cocktails Molotov. Cela a même été un ressort simple de beaucoup de manifs, contre un ordre établi de droite. Cette logique binaire, ou aristotélicienne, était relativement simple, puisque les bons s'opposaient aux mauvais et les + aux -.

Aujourd'hui, la logique est devenue floue. Il y a presque un continuum entre les policiers et les autres. Quand des professionnels du service d'ordre de la CGT se font agresser par des casseurs mieux équipés qu'eux qui les accusent d'être des complices de la police ; Quand les policiers se plaignent d'avoir moins d'équipements que ceux en face ; quand les principaux slogans et fils vidéos sur les médias sociaux mélangent allègrement dans un même discours casseurs et policiers ; Quand la police alterne entre héros de la nation après les attentats et symbole d'un pouvoir dont on ne veut plus... Il y a un problème. On peut appeler cela une perte de repère, mais cela relève d'une logique de plus en plus floue effectivement. On n'oppose plus le chaud au froid, ou le 0 au 1, mais on mesure le degré de tiède, chaudasse, froideur ou un nombre entre 0 et 1, et il y en a un paquet. C'est un peu comme un verre rempli à moitié, ou vidé à moitié, selon les points de vue.

Rappelons nous des grandes heures de la sémantique générale, que Van Vogt a su vulgariser dans son cycle du Monde des Non-A. Elle est basée sur trois principes essentiels que je recopie de Wikipedia :

- Une carte n’est pas le territoire qu’elle représente ; les mots ne sont pas les objets réels, le mot « chien » ne mord pas, etc. ; La confusion entre carte et territoire constitue un phénomène courant dont les conséquences se manifestent quand on ne s'y attend pas.
- Une carte ne recouvre pas tout le territoire qu’elle représente ; le symbole omet de représenter certains attributs de l'objet qu’il représente : Quel âge a cette chaise ? Or comment être certain, avant de conduire son raisonnement, que ce qui a été négligé dans ce processus d'abstraction n'est pas justement essentiel ?
- Toute carte est autoréflexive : on peut construire une carte de la carte (sa légende), une carte parle autant de son objet que du cartographe qui l’a créée.

Appliquons à la police :
- Ce qu'on dit de la police et ce qu'on en voit à travers les représentations n'est pas la police, avec sa diversité, ses points de vue et la galaxie de tout ce qui tourne autour. Le comportement d'un policier n'est pas celui de la police, l'uniforme ne fait pas le policier, et il suffit de visiter un commissariat de quartier et de constater sa vétusté, à coup de papiers carbone pour les dépositions pour comprendre l'écart entre la carte et le territoire.
- la simplification droite-gauche ne s'applique pas à la police, quoi qu'on en pense. Une matraque de droite tombe-t-elle toujours sur une tête de gauche ? un pavé lancé par un manifestant est-il plus légitime qu'un jet de gaz lancé par un policier ? connait-on la sociologie des policiers ou des CRS qu'on balade de car en car à travers la France pour qu'ils ne soient pas chez eux ?
- les discours sur la police en disent effectivement long sur ceux qui les tiennent. Ce n'est pas un hasard si à moins d'un an de la présidentielle les ténors de la droite remettent l'accent sur la sécurité et le sécuritaire, un sujet toujours vendeur. La critique même de toute notion de service d'ordre (policier ou syndical par exemple) est une critique détournée de la notion même d'ordre.

Comment assurer un contrôle (par la police), tout en contrôlant (par la justice) la manière dont ce contrôle est exercé ? Comment traiter ce phénomène en pleine éclosion, sans retomber dans les schémas binaires si pratiques ? Nos hommes politiques en sont incapables, trop pris dans leurs jeux de pouvoir entre eux, dans une bulle loin de la réalité.

Il est pourtant indispensable d'avoir cette réflexion et d'agir, quitte à laisser la place libre aux fachos en tous genre qui ont choisi leur camp. Gageons qu'au-delà même du FN et des autres Dupont-Gnangnan, la droite classique s'y mettra de plus en plus, avec à leur tête le président des républicains qui n'aspire qu'à redevenir président de la république (sans R majuscule, puisqu'elle aurait alors rétréci au lavage des cerveaux).

A vous de voir qui est qui

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