dimanche 19 mars 2017

Du temps de cerveau pour... une nouvelle brevetée

Brevet n° 62345E46
Déposé le 12 avril de l'an de grâce 1669
Par le Sieur Alceste Renhardt Polonion
A Paris,
Auprès de Maître Corpsbo
Huissier de justice royale.

Dispositif de pensée

Ce dispositif permet d'ouïr à distance des sonorités lointaines. Il est particulièrement adapté aux personnes malentendantes ou dont les oreilles ont été coupée suite à un supplice banal du quatrième ordre.

Le dispositif consiste en un ensemble de deux arceaux en caoutchouc des Indes américaines, reliés en leurs deux extrémités par des lacets en cuir de vache française qui les rendent articulés, pouvait ainsi être soit superposés, soit écartés d'un angle droit ainsi que de toutes les positions intermédiaires, de façon à se conformer à différentes morphologies. Le long de chaque arceau sont attachés douze petites pointes en acier de Tolède, reliées entre elles par un fil de cuivre d'Afrique noire. A chacune des deux extrémités de l'ensemble ainsi constitué les fils de cuivre sont effilés et vient se répandre autour d'une petite cuvette destinée à recueillir les oreillettes, cuvettes elles-même percées de deux clous en cuivre argentin, tournés également vers l'intérieur.

Lorsqu'il n'est pas utilisé, le dispositif doit être soigneusement nettoyé du sang qui pourrait s'y coller et rangé dans un sac en laine de Cordoue pour le protéger de la lumière.

Lorsqu'il est prêt à être installé, le dispositif est sorti de sa protection et nettoyé. Chacune des pointes d'acier est enduite avec soin de vitriol de cuivre pour faciliter la conduction de la pensée. Ensuite, sont attachées à chacune des deux cuvettes préalablement humidifiées avec de l'eau de source les oreillettes qui auront été préparées à l'avance. Les meilleurs résultats sont obtenus avec des petites oreilles de mouton, mais il est possible, en cas d'urgence de prendre des oreilles d'un autre animal, pourvu que celles-ci restent d'une petite taille. Le diamètre des cuvettes sert de repère puisque les oreillettes doivent pouvoir y pénétrer entièrement. Les oreilles de vache sont donc trop grandes. Les oreilles d'humains sont déconseillées pour l'usage courant car posant trop de problèmes pratiques avec les familles. Pour fixer les oreillettes, il est très important d'utiliser une colle de poisson et de bien disposer les brins de cuivre autour. Cette opération ne doit pas prendre plus de dix minutes pour garder aux oreillettes leur fraîcheur. Lorsque tout est prêt, il suffit de poser le dispositif sur la tête du patient, en disposant les arceaux de manière adaptée à la conformation du crâne et en veillant à ce que les oreillettes soient exactement à la place des oreilles (ou à la place qu'elles auraient occupé si elles avaient encore été là). Se saisir alors du petit maillet en bois et taper sur tous les clous en acier pour fixer le dispositif. Ne pas oublier les deux clous derrière les cuvettes qui doivent pénétrer dans le canal auditif.

Lorsque le dispositif est en place et que le patient a fini de crier, et s'il n'est pas mort, il devient alors possible de converser avec lui. Le son, même lointain, parviendra à ses oreilles ébahies et une conversation pourra avoir lieu.

Il n'est pas recommandé de laisser le dispositif en place plus d'une heure, au risque de perdre le patient.

Commentaires

Ce dispositif a été expérimenté avec succès sur l'inventeur par l'huissier de justice récipiendaire du présent brevet. Une conversation a pu être conduite avec succès. Nous la relatons ici pour que justice soit rendue, en valeur de ce qui fait de droit la valeur inestimable de la science en notre siècle de grandeur. Pour que l'expérience soit concluante, il faut préciser que l'inventeur a été au préalable amputé de ses oreilles par le professeur Trucmuss de la Sorbonne, afin de recréer les conditions réelles de fonctionnement. Nous relatons ici cette conversation :

Huissier (après avoir enfoncé le dernier clou) : Monsieur l'inventeur, m'entendez-vous ?
Inventeur : Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaah
Huissier : Vous m'entendez ?
Inventeur : Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah
Huissier : Bougez, si vous m'entendez
Inventeur : Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa (en bougeant)
Huissier : Bien ! Et entendez-vous la cloche de Notre-Dame qui sonne céans ?
Inventeur : Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa (en bougeant).
Huissier : Parfait ! Quelle belle invention vous réalisâtes !
Inventeur : Mmmmmmmmmmm.... (Silence)
Huissier : Bravo pour votre invention. Je vais de ce pas l'enregistrer dans mon grand cahier. (Il sort).

Post-scriptum

L'inventeur ayant décédé prématurément et de manière inexplicable (un coup de froid, selon le professeur Trucmuss), l'ensemble de ses biens, ainsi que le présent brevet ont été attribués à Maître Corpsbo, à titre de dédommagement et de revanche.

Signatures

Maître Corpsbo, huissier de justice royale
Jean de La Fontaine, fabuliste royal

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