dimanche 15 juin 2014

Du temps de cerveau pour… une nouvelle Train Tuîîîît

payer yeux prime traduire voyage liquide élève musicien maximum

C’était la grève des trains et les quais de la gare étaient bondés. Melody aimait ces moments-là. Il y avait bien les odeurs de sueur et une atmosphère électrique, mais c’était justement là que Melody pouvait se gaver du maximum d’énergie.

Evidemment Melody n’était pas son vrai nom, mais c’était ce qui ressemblait le plus à la première partie de son nom d’usage. Il avait eu la bonne surprise en atterrissant sur cette planète de découvrir qu’il y existait des animaux qui lui ressemblaient beaucoup. Cela avait facilité son immersion  car personne ne lui prêtait attention. Les « chiens », puisque c’est comme ça qu’on les appelait, étaient très nombreux et on en trouvait partout. Il suffisait à Melody de trouver un humain acceptable et d’influencer légèrement son cerveau primitif pour se faire adopter et pour aller où il voulait. Il avait très vite compris qu’un chien, genre bâtard, n’attirait pas les regards des humains.

Les humains qui semblaient dominer cette planète étaient plutôt moches et bêtes. Ils jugeaient en général Melody d’un seul coup d’oeil comme un chien sans intérêt, ce qui lui convenait tout-à-fait. Sa fierté n’était aucunement attaquée par de telles opinions, venant d’êtres aussi inférieurs.

Le vrai but de Melody en venant sur cette planète était d’y puiser de l’énergie pour passer au stade Trois de son évolution. Il lui fallait beaucoup d’énergie et pour cela il devait être le plus souvent possible entouré de foules d’humains. La nourriture de Melody était le stress. Et le stress d’une foule était merveilleusement riche à la fois du stress de chacune de ses composantes, et surtout du stress collectif qui grandissait en fonction du cube de la taille de la foule.

Melody était arrivé dans cette ville depuis une semaine, parce que c’était l’une des plus grandes mégalopoles de la planète et qu’il y régnait un chaos quasi permanent. Il y avait toutes sortes d’émotions autour de lui et c’était comme un restaurant de première catégorie : une telle richesse d’effluves, d’angoisses, de colères et de haine représentait vraiment un mets de choix. Il avait choisi pour « maître » un vagabond qui pouvait se trouver dans toutes sortes d’endroits sans que quiconque le regarde, lui ou son « animal ». Melody baladait donc son humain de foule en foule, mais cette grève était vraiment une opportunité fantastique. La Gare centrale était l’un des meilleurs restaurants de stress qu’il avait eu l’occasion de fréquenter.

Melody était en effet obligé de changer souvent de ville. Au bout d’un certain temps, à force de puiser le stress chez les humains du coin, sa moisson diminuait et il voyait bien que les humains étaient de moins en moins stressés. Comme il lui fallait de plus en plus d’énergie au fur et à mesure qu’il se rapprochait de la phase Trois, il devait trouver des places de plus en plus stressantes. Il pensait pouvoir rester dans cette ville plusieurs mois, tellement il y avait de nourriture.

Melody avait donc installé son humain sous un panneau d’affichage et était assis en train d’absorber tout le stress qu’il pouvait. Soudain il eut un hoquet, ses yeux devinrent vitreux et il s’évanouit. A ce moment précis, son humain s’ébroua et regarda autour de lui. Mais que faisait-il donc là, en plein milieu de la Gare centrale, lui qui adorait la solitude, sous les ponts ? Le vagabond se leva, jeta à peine un coup d’oeil au bâtard qui dormait à côté de lui et s’enfuit le plus vite qu’il put, en sifflotant.

Melody était seul, maintenant. évanoui près de ce poteau. Personne ne le regardait. Sauf une petite fille.

La petite fille s’appelait Emma et elle cherchait à pendre un train, comme tout le monde ici. Mais Emma n’était pas stressée. Elle attendait simplement, et calmement. Emma était tout le temps calme. Sa famille et ses professeurs étaient en admiration devant son calme. Personne ne la comprenait vraiment. Personne ne savait pourquoi elle était l’être le moins stressé. Personne ne savait que dans sa tête coulait en permanence une musique merveilleuse, comme si son sang n’était que musique. Personne ne pouvait imaginer la beauté de ce qui se passait dans le coeur d’Emma. Sa musique était variée et pouvait être agitée ou calme suivant les moments, mais sa musique absorbait tout et lui permettait de rester toujours calme. Emma était musicienne évidemment. Elle était tellement douée que ses professeurs ne savaient plus quoi faire d’elle. Elle ne jouait que sa musique à elle, sur tous les instruments possibles, et sa musique était si différente que personne ne savait la juger.

Emma s’en fichait bien. Elle cherchait simplement à faire partager aux autres sa musique, et elle attendait de grandir assez pour être reconnue comme une vraie musicienne. Ce matin, en arrivant à la gare, elle fredonnait un air complexe pour lequel elle devait utiliser ses deux voix. Elle n’avait pas le sentiment d’y arriver très bien mais continuait à essayer quand elle était passée à côté de cet écran et qu’elle avait vu ce joli petit chien. Subitement, elle entendit dans sa tête la plus belle de toutes les musiques et elle sut qu’elle saurait la retranscrire, cette fois, et la faire partager à tous. Le chien se coucha et Emma se sentit envahie par une force extraordinaire. Comme si sa musique était amplifiée des millions de fois.

Elle sut immédiatement que cela venait du chien. Elle ne sut jamais comment cela pouvait être possible, mais elle en était absolument certaine. Emma prit le petit chien, toujours endormi, dans ses bras et décida de sortir de la Gare. La foule s’était tue. Le stress avait disparu. Tous se regardaient, les yeux brillants. Chacun entendait une musique merveilleuse, la plus belle des musiques pour lui, et chacun savait que les autres entendaient au même moment la plus belle des musiques. Toute agitation avait disparu de la Gare. Même les grévistes qui barraient les quais se taisaient. Tous écoutaient et souriaient.

Emma ne s’était rendue compte de rien. Elle marchait, la tête pleine de sa musique qui rebondissait avec force sur toutes les formes autour d’elle, en portant le chien. Melody était évanoui mais conscient. Il savait qu’il avait enfin trouvé ce qu’il cherchait. La source ultime de non-stress. Le bonheur de l’accomplissement. Il ouvrit les yeux, transformé, évolué. Il regarda la petite fille dans les yeux. Elle le regarda et la musique enfla. Elle se répandit à la vitesse du son, sans un bruit et toujours à la même intensité, sur toute la planète. Emma marchait, et le monde souriait autour d'elle. Emma rentra chez elle et installa le petit chien dans sa chambre. En moins de deux jours le monde entier entendait la musique d’Emma amplifiée par Melody. Et tout se mit à aller bien, partout. Les mélodies d’Emma avaient absorbé tout le stress. Melody était épanoui. Il avait emmagasiné suffisamment d’énergie pour alimenter Emma pendant des centaines d’années. Et Melody aimait vraiment la musique d’Emma.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire