samedi 31 octobre 2015

IndAfrique : un élan bienvenu

Fin du Sommet entre l'Inde et l'Afrique. Le prochain est pour dans cinq ans, ce qui en dit long sur la volonté à long terme de l'Inde. On est dans des programmations longues et des investissements en centaines de milliards de dollars. Modi, le premier ministre indien a bien réussi son coup.

Le Sommet se déroulait en Inde (il y a trop de chinois en Afrique ;) et tous les pays africains étaient invités, même les moins démocratiques qui sont d'habitude exclus de ce type de sommet international. Il y a en effet beaucoup de choses à faire en Afrique et après avoir laissé la Chine, le Japon et les émirats arabes investir le continent, l'Inde se lance. Brutalement et avec force.

Le triangle ChinIndAfrique a été décrit de nombreuses fois. J'en ai parlé aussi, mais ce Sommet marque un saut dialectique avec le passé. L'Asie a besoin de croissance et de ressources pour l'alimenter. L'Afrique en regorge, ainsi que de décideurs encore très corrompus. Une combinaison idéale pour des pays qui ont déjà émergé comme l'Inde. L'Afrique souhaite émerger elle aussi, en tant que continent, mais aussi autour de quelques grands pays comme l'Afrique du Sud, l'Egypte, le Nigeria ou le Maroc. Le Sénégal par exemple s'est doté d'un plan 2035 émergent qui traduit bien ses ambitions.

Justement, le président du Sénégal

Puisque j'étais au siège de l'Union Africaine, voir mon billet d'hier sur Addis, je ne peux que constater la multiplicité des acteurs internationaux qui se bousculent en Afrique. Entre ses cinq régions officielles (nord, sud, ouest, est, centre) l'Afrique attire beaucoup de convoitises. Il y a vraiment des chinois partout ici par exemple. Bientôt des indiens ? Il faut dire que l'aéroport d'Addis Abeba est un vrai hub international, desservant presque toute l'Afrique et relié au monde, de Washington à Shanghaï. La compagnie Ethiopian est très efficace (et beaucoup plus confortable que Air France à prix inférieur, soit dit en passant). Il y a peu de vrais hubs en Afrique. Le seul en francophonie est Casablanca avec Royal Air Maroc et il n’est pas à la hauteur, désolé. 

Alors l'Inde clame des avantages millénaires sur la Chine par rapport à l'Afrique. Au plan culturel, organisationnel et social. Les africains y seront-ils sensibles ? Le gros avantage, en fait, pour l'Inde est de venir après la Chine et sa mauvaise réputation : produits de qualité ridiculement basse (chaussures par exemple), modalités d'investissement méprisantes pour les locaux, emploi massif de ressortissants chinois en lieu et place d'africains. Il y a une carte à jouer pour l'Inde, en contrepoint... Sauf si... L'Inde copie la Chine...

vendredi 30 octobre 2015

Quelques vues d'Addis Abeba


Je suis quelques jours dans la capitale de l'Ethiopie (accessoirement) et le siège de l'Union Africaine (la raison de ma mission ici) depuis plus de cinquante ans.

Quelques impressions de cette grande capitale, celle du pays le plus peuplé d'Afrique après le Nigeria. Un boom économique, des constructions partout, des embouteillages et une pollution automobile majeure malgré l'altitude (2400 mètres). Plus de 4 millions d'habitants. Le nom de la ville veut dire "Nouvelle fleur". Sans commentaire. 

Des photos donc, au hasard. 

Le soleil au-dessus de l'Ethiopie. 

L'approche d'Addis

Une pub éducative typique

Je vous avais parlé de travaux, en voici

En voilà

Et encore

Une vue typique de l'urbanisation sauvage en dehors des beaux quartiers

Avec une ligne de train pas encore utilisée (chinoise ?)

Une future tour

Des taxis bleus sur une grande place

Et la vie est partout

Avec des commerces variés

Des points à taxis partagés

Et des commerces plus traditionnels

Quoique, en y regardant bien

Il y a de tout

Même du Coca

Et des SDF aussi

Heureusement de la verdure, dans cette partie du pays moins touchée par la sécheresse historique

Du bon vin éthiopien (si, si) élevé par un français (les organisations internationales ne sont pas touchées par la sécheresse)

Une petite salle de conférence de l'Union Africaine... Dans le siège construit par les Chinois

Mais le vidéo projecteur maintenu par les Chinois ne marche pas. Grandeur, décadence et limites de l'aide chinoise. 


jeudi 29 octobre 2015

Stage, ô mon stage

Décret enfin paru. Le gouvernement nettoit les bizarreries de notre système social qui permettait à des entreprises de "recruter" plus de stagiaires que d'employés.

Pas plus de 15% de stagiaires en général, sauf exceptions. Une victoire pour les jeunes. Le patronat proteste contre l'attaque de ce qu'il considérait comme un droit acquis (paradoxe patronal qui utilise le jargon syndical quand ça l'arrange).

Tous ceux qui fréquentent des jeunes connaissent les ravages de cette politique du tout stagiaire avec ses deux extrêmes : plein de stagiaires sous-payés au lieu d'emplois normaux à un bout, offres d'emploi impossibles à l'autre bout (cherche jeune avec grande expérience, pas cher et sur contrat précaire)...

Le décret va être contourné, c'est certain. Restera à tester la volonté du gouvernement de le faire respecter, notamment avec des inspecteurs du travail en sous-effectif. 

Au fait, pour ce blog, je cherche 32 stagiaires gratuits simultanément, compétents et expérimentés en tout. Gloire même pas assuree. Prière de ne pas m'écrire. 

mercredi 28 octobre 2015

Ephéméride de voyage : Allais la Pologne !

Je suis en voyage, donc un billet éphéméride pour voir un peu ce qui se passe.

Boleslas III le Bouche-Torse, duc de Pologne est mort ce jour en 1138. Il aurait aujourd'hui 930 ans. Un homme sympathique qui a tué son frère en lui crevant les yeux et qui s'est bien battu pendant tout son règne. Une époque trouble où la grande bataille est celle de la christianisation.

A ne pas rapprocher de la visite officielle du président polonais en France ce mercredi, car les batailles et alliances entre frères déchainent la chronique depuis plusieurs années dans ce pays, qui vient de voter très à droite, entre autre contre les immigrés (non chrétiens évidemment). L'Histoire est un livre fascinant pour comprendre le monde actuel (et futur). Si vous voulez lire la biographie de Bouche-Torse, allez sur Wikipédia. Vous y apprendrez qu'à sa mort, la Pologne a été démembrée une première fois...

En tous cas moi, je préfère, quitte à parler de décès un 28 octobre, célébrer la mort d'Alphonse Allais (Ah, l'fond salé de la mer). Un héros de la littérature française qui avait inventé entre autres la machine à compter les baisers ou l'enterrement qui aurait lieu le samedi : l'après midi s'il pleut le matin et le matin s'il pleut l'après-midi. Le Capitaine Cap et ses absinthes nous manque. Cent dix ans qu'Alphonse s'en est allais. Une perte irréparable pour l'humanité francophone. A relire d'urgence. C'est libre de droits. Un exemple ici.

Le rapport entre la Pologne et Allais ? Il y en a forcément plusieurs, des rapports. Je parle bien ici de la Pologne, pas des polonaises. Lire ce conte pour peupler l'océan de sardines à l'huile afin de prévenir les tempêtes. Une idée fort utile dont on peut regretter qu'elle n'ait jamais été mise en application.

Je vous reparlerai d'Ethiopie dans un prochain billet...


mardi 27 octobre 2015

Neutralité du Net, écornée de guerre lasse

Vote important au Parlement européen. Résultat pas joyeux.

Il s'agissait du paquet sur les télécoms. Tous les regards étaient tournés vers la fameuse partie sur la  "Neutralité du Net", celle qui en théorie doit assurer des usages égaux à tous le paquets qui circulent sur le réseau des réseaux et donc à tous les services et à tous les utilisateurs que nous sommes.

Il y a un peu plus d'un an, le Parlement européen avait su montrer ses muscles, en tous cas les députés activistes qui y comprennent quelque chose, en exigeant une position ferme en faveur de cette neutralité. Combat salué à l'époque, y compris sur ce blog. Las, les décisions en Europe, c'est compliqué et il faut un consensus entre Conseil européen et Parlement européen pour un texte unique. Le texte a finalement été voté et il est pour le moins très ambigu. Car la Neutralité du Net n'y est pas assez définie et donc, puisque la loi européenne n'est pas assez précise, ce seront les administrations européennes et leurs règlements obscurs qui essayeront de la préciser, de la compléter, voire de la contourner, ainsi que les réglementations nationales. Résultat prévisible : des procès et une jurisprudence lente à construire, où ceux qui seront les plus riches gagneront les procès.

Cela augure mal d'autres combats, comme le Traité atlantique TIPP entre Europe et Amérique, dans lequel il y a un enjeu certain autour de l'Internet. Les USA ont d'ailleurs une stratégie très fluctuante sur le sujet et qui devrait encore plus fluctuer à l'occasion des prochaines élections, si l'on en croit les déclarations tonitruantes de certains candidats, lues ici ou là.

Une déception pour les militants, évidemment. Les défenseurs du texte sont, eux, fiers du résultat et tout le monde dit l'Internet et sa neutralité vainqueurs... Hum, hum. C'est louche. C'est faux, tout simplement. On ne peut pas à la fois se féliciter du principe de neutralité du Net et en même temps laisser la porte ouverte à tellement d'exceptions que c'est comme s'il n'y avait pas de principe... Peut-être que les avocats spécialisés se frottent les mains, mais ils sont bien les seuls. Le chantage à la vitesse a fonctionné : la menace sur le Parlement était qu'il serait trop long de tout recommencer à zéro et qu'il valait mieux voter ce texte, même imparfait. Un coup classique. C'est un peu comme ces préfabriqués construit dans une cours d'école pour des travaux censés durer un été et qui sont encore là vingt ans plus tard.

Le croyez pas que cette question ne vous concerne pas. Elle nous concerne tous, en tant que consommateurs de services de plus en plus pointus qui étouffent les autres, de producteurs potentiels dans un modèle contributif de plus en plus important à notre époque, de citoyens voulant s'assurer qu'un gouvernement ne facilitera pas ses propres canaux de communication au détriment de la démocratie et de la liberté... Non, non, je ne parlerai pas de Bolloré et de Sarkozy, c'est promis.

L'Internet va donc bruire de lui-même. En toute neutralité... pour l'instant. Après ? Place à Youtube et autres contenus privilégiés... Non, non, je ne parlerai pas de Vivendi qui rachète les cadors du jeu vidéo.


lundi 26 octobre 2015

Démographie chinoise : 1+1 = 3 ou 4 ?

Cette semaine débute une réunion des leaders chinois du PC sur le nouveau plan quinquennal. Une des questions qui y seront abordées tourne autour de la démographie. Quelques réflexions sur le sujet, suite à ma lecture du Parisien avec mon café-faux croissant du matin.

Depuis 1979, en Chine, a été instaurée la politique de l'enfant unique. 36 ans d'une politique qui valait beaucoup choqué à l'époque mais qui avait été présentée comme nécessaire pour freiner une démographie galopante, alors même que la croissance économique, l'agriculture et le développement en général n'étaient pas encore au niveau. Il semblait impossible de soutenir le développement d'une population trop grande. Pour mémoire sur les 7,3 milliards d'habitants de notre petite planète, un cinquième vivent en Chine (le pays à la population la plus importante).

Cette politique a eu de l'effet évidemment, dans un pays autant régulé où plus de 500 000 personnes s'occupent de contrôler les naissances. Avec le temps quelques exceptions ont été ajoutées, car qu'est-ce qu'une règle sans exception ? Deux enfants uniques se mariant avaient par exemple le droit d'avoir deux enfants mais les formalités administratives étant ce qu'elles sont - même en Chine - les résultats escomptés n'ont pas été atteints. Il y a eu de nombreux effets pervers : augmentation de la proportion de garçons (car le mêle assure les vieux jours des parents) et donc diminution de la proportion de filles (jusqu'à presque 20%) avec remise en cause donc des équilibres, violences aux femmes (pour avortements au cas où il y avait un problème) et un vieillissement accéléré de la population, comme le montre la pyramide des âges ci-dessous :


Le problème est que la croissance s'est fortement développée en Chine, une des usines du monde, et que cette croissance a besoin de main d'oeuvre et de consommateurs pour continuer à progresser. Or elle ralentit car il n'y a pas assez de bébés. Le plan sur la table des décideurs chinois est donc simple pour la démographie : assouplir ou pas ? Passer de un enfant maximum à deux enfant maximum par couple marié ? Introduire plus d'exceptions complexes à appliquer ou généraliser un processus ?

C'est un cas classique en économie ou en écologie systémique : jouer sur un facteur a des impacts sur les autres dans une sorte de mouvement de balancier et de yo-yo qui ne converge pas forcément : limiter les naissances permet d'accompagner une croissance débutante sans la freiner par de trop grosses charges, mais lorsque la croissance est là il faut l'alimenter par des naissances (ou de l'immigration) sinon elle s'essouffle, mais si on augmente trop ces apports humains, on la freine. Un débat classique et délicat, surtout que les effets sont sur le long terme. Il faut vingt ans au moins pour faire émerger une nouvelle génération et on a beau dire ce qu'on veut, il est difficile d'accélérer le temps.

Le cas de la Chine n'est pas isolé. Les pays d'Asie du Sud s'en sortent visiblement mieux sur le développement. Alors que la Chine est perçue comme atteignant bientôt un pic avant de redescendre, si rien n'est fait par les autorités locales. Et en matière d'immigration, arrive un moment où tous les pays cherchent à attirer des immigrés "solvables et compétents" pour se développer. La France, rappelons-le fait figure d'exception à son échelle, avec un taux de fécondité dépassant le seuil de la reproduction, égal à 2,1. La Chine en est à 1,4 actuellement semble-t-il.

De manière globale, on a ici une illustration parfaite du problème de développement. Jusqu'où la Terre pourra-t-elle nous supporter ?

Puisque le modèle actuel de développement est basé sur la croissance, donc celle de l'offre et de la demande, la démographie doit augmenter - à la fois pour travailler à augmenter l'offre et à augmenter la demande, même en prenant en compte les gains de productivité. Mais les ressources sont limitées et les démographes savent bien que celles de notre planète ne permettent absolument pas d'entretenir une population trop importante. Chaque pays doit s'occuper de son propre développement mais participe d'un comportement global pour la planète. Paradoxe irrémédiablement perdu d'avance.

Restons optimistes, non ? Si les chinois font plus de bébés, qu'est-ce que cela va changer pour vous ?

Lire quelques articles intéressants : INED, Un autre du Parisien, Le quotidien du peuple (chinois), Wikipedia.


dimanche 25 octobre 2015

Du temps de cerveau pour... une nouvelle sans chapeau

Ludvic s’était levé de méchante humeur. Il n’aimait pas les jours d’envoi et c’en était un, comme à toutes les éclipses des soleils. En plus ce jour-ci tombait dans sa zone et c’était donc à lui d’opérer l’amputation. Il n’aimait pas ça. Personne n’aimait ça d’ailleurs.

Il faisait noir dans sa chambre. Il y faisait toujours noir, évidemment, sauf quand il allumait la lumière. A un peu plus d’un kilomètre sous la surface de la planète, c’était normal. Et encore. Il habitait le niveau le plus élevé, celui des dirigeants et de l’interface avec la surface. Il sentait bien que le noir était plus intense quand on descendait quelques kilomètres plus bas, même si c’était ridicule. Le noir était noir, un point c’est tout, quel que soit le nombre de kilomètres entre vous et la surface brûlante et radioactive de la planète. Mais c’était un phénomène bien connu de tous les habitants du coeur de la planète du coeur., les blanchâtres comme on s’appelait entre nous, pensa-t-il soudain. Le noir semblait de moins en moins noir à mesure où on s’approchait de la surface éclatante de blancheur et de chaleur. Même la température semblait différente, alors que toutes les mesures scientifiques démontraient au contraire qu’il n’y avait aucune variation de lumière ou de température selon les étages de la planète souterraine.

Ludvic était un chef. Oh, pas un grand chef, mais un chef quand même et il en était particulièrement fier. Il avait fallu des années pour arriver à ce niveau, dans tous les sens du terme, et il souhaitait y rester longtemps, car dans ce monde très hiérarchisé et compte tenu de sa naissance, il ne pouvait espérer mieux. C’est pourquoi il était toujours nerveux et de mauvaise humeur les jours d’envoi, car si quelque chose tournait mal, même un infime détail, il serait certainement jugé responsable et averti. Peut-être même dégradé.

Il passa donc la matinée à se préparer, dans la lumière blafarde de sa chambre, qui lui faisait un si beau teint blanc-verdâtre, comme il se doit pour un dirigeant en action. Il soigna particulièrement le contour de ses yeux afin de souligner la blancheur de son visage. Il aurait été du plus mauvais effet de montrer la moindre trace de couleur en une telle occasion. La couleur ? Beurk ! Il eut un hoquet en pensant à ce mot. Il ne devait pas y penser. C’était indigne d’un habitant du coeur. C’était même un mot interdit ici. Seuls les habitants de la surface, ces monstres, l’utilisaient. Il faut dire qu’eux ils en avaient l’occasion à chaque instant.

Au lieu des beautés des sous-sols du coeur, baignés dans des lumières blanchâtres sombres ou complètement noires teintées de nuances pâles, ces pauvres personnes devaient vivre dans un univers plein de formes et de tonalité toutes plus agressives les unes que les autres. Et en plus, leur peaux étaient, horreur, de toutes les couleurs, dans une palette de tonalités que personne ici n’imaginait, du jaune au marron, en passant par des cuivres et des roses qui faisaient vomir tous ceux qui s’en approchaient. Ludvic avait vomi aussi, les premiers mois, quand il avait commencé à travailler avec les enfants monstres, mais il avait fini par s’habituer, comme si son cerveau se dédoublait entre la beauté automatique de son quotidien d’habitant du coeur et l’effroi de ces moments passés à élever ces enfants colorés.

Il n’y en avait pas beaucoup bien sûr, et d’habitude on les répartissait un peu partout au dernier niveau, le plus près de la surface, dans toutes les villes du coeur. Heureusement ! Ces abominations étaient assez difficiles à regarder. Ludvic était conscient de la difficulté de son travail mais également de l’utilité fondamentale de son son rôle - et de celui de ses quelques collègues dans d’autres métropoles - pour préserver la pureté de leur population. Il y a très longtemps, ces monstres étaient exterminés, simplement. Mais la philosophie Loutienne était passée par là, Lou merci, et il avait été décidé de les amener à la surface, pour qu’ils essayent d’y vivre la vie de leur choix. La surface de la planète avait toujours été inhabitable. Certains, dont Ludvic, espéraient que les souffrances des monstres ne duraient pas longtemps là-haut, avant que les soleils les tuent inexorablement. D’autres croyaient qu’une vie était possible à la surface pour ces êtres difformes, notamment à cause de leurs peaux si violemment colorées. Mais tous étaient d’accord pour amputer la société le plus vite possible de ces membres inacceptables et horribles. Tant pis pour ces enfants nés d’on ne sait quelle mutation rarissime.

Ludvic, était déjà monté deux fois à la surface dans sa carrière, et il en gardait des souvenirs épouvantables. C’était forcément lors d’une éclipse d’un des deux soleils et pendant la nuit de l’autre, car aucun habitant du coeur n’aurait supporté l’idée d’être environné de lumière, même derrière les murs épais des sas. Pourtant la montée se déroulait dans le confort - relatif - d’un ascenseur étanche et juste baigné dans sa pâleur la plus sombre possible, et même l’arrivée se passait dans une pièce complètement noire aménagée à cet effet par des ancêtres bienveillants, Lou merci. Cette fois-ci, il y aurait douze enfants avec lui, de cinq à dix ans. Plus qu’un contingent normal, car la précédente éclipse remontait déjà à plusieurs années. Les enfants monstres avaient été envoyés de l’autre bout du monde pour profiter de cette éclipse.

Le travail de Ludvic consisterait, une fois les enfants sortis de l’ascenseur, à ouvrir la porte du sas, à les mettre tous dedans, puis à refermer la porte intérieure du sas et à ouvrir l’autre porte jusqu’à ce qu’ils sortent tous. Enfin il refermerait la porte extérieure pour le prochain convoi et redescendrait le plus vite possible. Compte tenu de l’effectif, il aurait certainement droit à un repos exceptionnel cette fois-ci. Etre confronté à tant d’horreur était si insoutenable qu’au début quelques prédécesseurs de Ludvic s’étaient même suicidés.

Ludvic entra dans la salle de départ, celle où les enfants l’attendaient. Il les regarda à peine, son cerveau automatique prenant le relais. Il eut quand même le temps de remarquer qu’il y avait treize têtes en plus de lui. Dont une beaucoup plus élevée que les autres. Une jeune fille. Presque une jeune femme se dit-il. Incroyable. Jamais on ne voyait d’enfant de plus de dix ou onze ans dans les envois. Les monstres étaient en effet identifiés très tôt et élevés dans des centres bien isolés, comme le sien. Ludvic regarda son écran blafard de contrôle. Effectivement. Une sauvageonne avait été ajoutée au groupe. Elle s’appelait Liana et avait visiblement réussi à se cacher pendant des années, à coups de maquillages et de travaux dans des endroits sombres. Elle venait tout juste de se trahir et elle avait été ajoutée in extremis dans cette amputation.

Ludvic la regarda. Elle aurait pu être jolie se dit-il, en retirant aussitôt cette pensée, issue certainement de son cerveau normal. Elle avait un teint marron assez foncé. Un des pires. Une sorte de négation de la blancheur pure qui caractérisait leur haut degré de civilisation. Ses yeux étaient noirs de jais. Il se demanda un instant s’il n’avait pas déjà vu ces yeux une fois. C’était une pensée aberrante, impie même, mais il n’arriva à s’en débarrasser qu’avec peine.

Ludvic regarda son écran. Il venait de perdre dix secondes. Sur la minute et quarante secondes que durerait l’éclipse, c’était beaucoup. Il ouvrit précipitamment la porte du sas et poussa les enfants dedans. Ils se laissaient faire. La fille opposa une petite résistance mais il la poussa un peu plus fort. A ce moment elle le regarda dans les yeux. Il poussait déjà la porte de l’autre main pour la refermer. Elle dit « Ludvic ? ».

La porte claqua. Il appuya automatiquement sur le bouton et le sas s’ouvrit vers la surface extérieure, encore baignée à ce moment dans la nuit noire de l’éclipse. Il distinguait à peine cette nuit à travers le minuscule hublot qui permettait de contrôler l’extérieur et de vérifier que les enfants seraient accueillis par les monstres survivants à la surface. Il abaissa le levier et le volet hermétique interne le coupa de cette lumière infâme. Il fallait que tout soit refermé avant la fin de l’éclipse. Mais Ludvic avait du mal à respirer. Elle connaissait son nom ! C’était impossible. Personne ne connaissait le nom des éducateurs. Tous les enfants les appelaient « Chef »... Oui, mais elle ? Elle s’était caché des années. Peut-être l’avait-elle rencontré sous son déguisement. Il en frissonna. Avoir peut-être frôlé un monstre déguisé en habitant du coeur ? Quelle horreur ! Pourtant... Pourtant ces yeux...

Ludvic laissa une minute passer. L’éclipse était terminée maintenant. Il devait finir son travail. Il aurait le temps de repenser à tout ça après... En tremblant il abaissa le volet du hublot externe - pour cacher la lumière du jour derrière. Et il ouvrit la porte interne du sas. Il s’agissait de contrôler que tout était en place pour la prochaine éclipse dans la région. Il espérait bien qu’il n’aurait plus à s’en occuper cette fois-là. Cet envoi serait le dernier pour lui. Il n’aurait plus la force de résister à un prochain envoi, même dans plusieurs années.

Le sas était ouvert maintenant. Et la fille y était encore. Elle le regardait droit dans les yeux. Il resta coi. Immobile comme un stalagmite. Elle ne pouvait pas être là. Elle ne devait pas y être, lui disait son cerveau automatique. Mais son cerveau normal la voyait bien. Elle s’avança vers lui et posa ses lèvres sur les siennes. Puis elle prit sa main et l’emmena dans le sas. Elle referma la porte intérieure. Tout était noir. Confortable. Sa main était douce et frémissait doucement. Elle la monta vers le bouton rouge près de la porte extérieure. Elle appuya leurs deux doigts sur le bouton. Il ne la quittait pas des yeux, même dans le noir le plus complet.

Et puis, la lumière fut. Le rai de lumière qui apparut entre la porte et le mur du sas, l’aveugla. Il faillit s’évanouir devant tant d’horreur, mais la lumière toucha les yeux de Liana. Il les vit pour la première fois, non point noirs de jais, mais marrons et verts dans un mélange étincelant qui le fascina. Il devint aveugle en une seconde, mais c’était trop tard. Il avait vu ses yeux. Il s’évanouit dans la blancheur éblouissante de la lumière d’une surface honnie et forcément mortelle.

Ludvic ne mourut point. Pas ce jour en tous cas. Il se réveilla dans la pénombre, aveuglante pour lui, d’une pièce toute simple. Il était sur un lit et elle était là.

Plus tard, lorsque les habitants de la surface l’eurent accueilli avec joie et musique dans la diversité de leurs couleurs de peau et dans la beauté d’un monde magnifique où les verts, les bleus et les ocres dansaient ensemble à en perdre haleine, Ludvic épousa Liana. De temps en temps ils regardaient la petite structure en métal terne et gris qui trônait dans le plus beau parc coloré de la ville, au milieu d’un parc où les enfants du monde jouaient. Le sas était là depuis des centaines de générations. Il s’ouvrait de temps en temps, lors de certaines éclipses. Il était laid. Laid comme le monde blanchâtre et sans couleur au-dessous.

Ludvic se promit de redescendre un jour pour leur prouver leur erreur, à ces habitants sans coeur. Mais la révolution attendrait. Liana et lui avaient prévu d’aller avec leurs enfants voir le dernier spectacle sensibluel à la mode. Il mit son chapeau. Oui, la révolution attendrait...


samedi 24 octobre 2015

L’enfant maudit (et Harry Potter)

Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah !


Enfin ! J.K. Rowling a annoncé la suite de Harry Potter. La 8ème histoire, dix neuf ans plus tard, c’est à dire un peu après la fin du 7ème livre (et du 8ème film, puisqu’ils avaient décidé de découper le dernier livre en deux pour être plus riches parce qu’il était trop riche). Le héros ? Le fils de Harry Potter qui est rentré à Poudlard (c’est pas du cochon de Hogwarth, c’est de l’art lardé) et qui va mal vivre sa célébrité indirecte.

Le site spécial (of course) est ici. Jolie animation en page de couverture qui explique un peu le mystère de cet enfant dans un nid avec des ailes (de phénix évidemment puisqu’il s’appelle Albus, le petit). Je ne vous ferai pas l’injure de vous expliquer tout ça. Vous êtes assez grands - ou alors encore assez petits !

Le problème évidemment est qu’il s’agit cette fois d’une pièce de théâtre, avec effets spéciaux et vrais acteurs. Dans l’un des plus grands théâtres de Londres sur Shaftesbury.  Réservations ouvertes pour les premières répétitions générales, mais seulement encore quelques heures au moment où j’écris (encore 5 heures). Sinon, vous devrez attendre le 30 octobre avec le risque de ne plus avoir de place. Et il ne s’agit que des préviens. Pas de panique, car la pièce commencera ses répétitions en juin 2016 - au même moment que l’euro de foot, hum hum). et la première vraie représentation est prévue le 30 juillet...

La pièce sera en anglais, mais arrivera certainement - traduite - en France car c’est une mine d’or. En plus il s’agit comme pour le 7ème livre d’une pièce en deux parties, à voir en matinée puis en soirée ou en deux soirées consécutives, avec évidemment du shopping et de la bouffe entre les deux, dans l’un des nombreux magasins qui vous proposeront des goodies : un verre Harry, une culotte Hermione, un jeu de cartes Ron, un chapeau de sorcier et une steak and kidney pie à la Ginny.

Il y aura des livres, des films, des collector et je ne sais pas quoi d’autre. Même la famille royale devrait se déplacer !

On vit une époque formidable, non ? Des surprises comme ça, on aime bien, même si elles étaient distillées avec rareté sur les réseaux sociaux ou le site officiel Pottermore. La surprise est donc dans le format : deux pièces, car sinon ce serait trop long et perçu comme trop cher. Plein d’acteurs, au moins une trentaine, expliquent-ils. La « novellisation » de la pièce s’arrachera. C’est une évidence.

C’est donc le début d’une histoire qui va nous accompagner longtemps encore. Car ils ne s’arrêteront pas là, foi de moldu.

vendredi 23 octobre 2015

Le FUN c'est fini

Eh oui, maintenant c'est du sérieux, même pour les jeux.

Le portail FUN - France Université numérique - vient d'être remplacé par un nouveau portail plus englobant. Avec un nom moins fun, sup-numérique en fait.

Qu'est-ce qu'il y a dedans ? La même chose en fait, en plus et en mieux présenté.

En mieux présenté, c’est un fait. Tous ceux qui avaient essayé FUN avaient eu quelques soucis pour trouver les meilleurs MOOC en ligne. Normal. En 2013, il y avait encore très peu de cours en ligne ouverts et massifs, comme certains puristes de la langue continuent à les appeler. Aujourd’hui il y en a vraiment et dans tous les domaines, y compris pour créer son propre MOOC, of course. Les inscriptions sont facilitées aussi avec une baseline - pardon un calendrier - plus efficace, car c’est l’un des éléments clés de réussite de tout MOOC.

En plus aussi, car le site clame regrouper jusqu’à 30 000 ressources pédagogiques libres en ligne des plus profondes (celle-ci) avec plein d’images et d’animations aux plus superficielles (celle-là) avec juste le son (Ah Ah je vous ai bien eu !)

Il y a évidemment plein d’initiatives du même genre, mais cette évolution positionne la France comme un pays qui commence à tenir son rang. A noter en parallèle une initiative francophone globale (appelée IDNEUF) lancée par plusieurs gouvernements francophones dont la France (qui y apportera son portail tout nouveau et tout beau. Quelques explications ici, en attendant une maquette présentable cet hiver puis au printemps prochain.

Ces initiatives s’adressent à tous, professionnels de l’éducation ou de la recherche, ou apprenants de tous poils, des étudiants aux vieillards cacochymes souhaitant apprendre tout au long de leur vie, en passant par les curieux. Alors allez-y voir un peu. Il y a surement une ressource pédagogique pour vous ou un contact intéressant pour vos projets. Il y a par exemple une rubrique « jeux sérieux » traduction maladroite de serious games, avec Clim City (si, si...) ou celui-ci.

PS : au cas où vous ne le sauriez pas, le monsieur avec les grandes oreilles sur la page de couverture est Thierry Mandon, le Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche... C’est sûr que le signe sup-numérique est moins fun que FUN, mais au moins il est en français. Vive la Francophonie.



jeudi 22 octobre 2015

Petit billet sur la diversité culturelle d'Astérix à Mars en venant à pied de la Chine... (hum)

Quelques actualités se confrontent aujourd'hui, autour de ce sujet.

En France, sortie d'Astérix le bien nommé, celui qui ressort car justement on l'a assez risqué ou astérisqué si vous préférez. Evénement cosmique, que dis-je galactique car la sortie est mondiale en fait. Achat obligatoire ou presque, car on le trouve partout depuis ce matin, même au bureau de tabac ou chez votre crémière favorite. Un vrai hymne à notre franchouillardise éternelle et renaissante entre les pattes d'un nouveau couple qui mûrit bien. Une manière très française de résoudre les conflits par l'astuce et les baffes. On est tous tombés dedans petits. Une manière assez originale.

En Chine, c'est autre chose. Lisez-ça (in english). Pour faire court, le Parti Communiste chinois qui dirige le pays vient de mettre à jour ses règles de déontologie et anti-corruption. Elles sont renforcées notamment sur trois points vraiment interdits : manger voracement, avoir des relations sexuelles impropres avec d'autres et jouer au golf... Vaste mystère de la dialectique, qui est encore capable de casser des briques, si vous me permettez. Ce document s'adresse quand même aux 88 millions de membres du PC en Chine. Gros tirage attendu donc (mieux qu'Astérix). En France, de telles recommandations auraient du mal à être suivies par nos chers dirigeants, et je ne vous ferai pas un gros dessin là-dessus. Vaste différence culturelle !!!

Au Cinéma, la culture hollywoodienne ne s'interdit rien, elle. Je suis allé voir Seul sur Mars, hier soir. J'ai beaucoup aimé, mais j'aime la science, la science-fiction et Ridley Scott. L'hymne à l'Amérique avec un A plus grand que le soleil, au USA, à la NASA et aux mythes du héros fort et positif ne m'a pas gêné, car finalement ce qui compte c'est l'histoire et la sympathie pour le personnage central. La présence de chinois est un pied de nez intéressant. Comparez avec 2010 Odyssée de l'espace par exemple (je dis bien 2010 la suite, pas 2001) qui associait russes et américains. Toute une époque. Un film à voir mais pas besoin de la 3D qui n'apporte rien.

Dans le monde télévisuel, ce jeudi soir est le lieu d'un débat entre journalistes, politiques et autorités de régulation autour de l'émission qui reçoit Marine Le Pen. Détails ici. Ca s'en va et ça revient. Ceux qui auront envie d'être devant leur poste de télé seront certainement renforcés dans leurs convictions, quelles qu'elles soient. Pas moi, je trouverai quelque chose de bien mieux à faire !
Mise à jour : d'ailleurs, elle vient d'annuler. Quelle pantalonnade comme disait Pasqua ! 

On s'amuse sur cette planète, non ? Pourvu que le ciel ne nous tombe pas sur la tête avec l'astéroïde géant prévu pour la nuit d'Halloween.. Si, si, je vous assure !

mercredi 21 octobre 2015

BTTFD vu de France

Ceci n'est pas un gros mot mais l'abréviation de Back To The Future Day.

Le 21 octobre 2015 c'est ce jour où Marty Mc Fly se retrouve dans le futur dans ce film culte (cette trilogie en fait). Il vivait en 1985 a fait une visite en 1955 puis en 1985 puis en.... C'est trop compliqué à expliquer ;) Re-regardez les films...


Quelques commentaires à ce sujet :

- L'Internet regorge de liens à ce sujet car les fans sont nombreux. Des morceaux choisis nouveaux ont été créés pour l'occasion cette année. On en trouve partout et je vous laisse le plaisir de les chercher : tapez simplement bttfd sur Gooooooooooogle et vous verrez...

- je viens de recevoir un message de la Maison Blanche elle-même, trouvable ici et qui fait de ce jour une journée historique pour les USA et pas seulement au plan cinématographique. Débats toute la journée sur le monde dans 30 ans (piloté par les USA bien sûr) et sur la science du futur et les technologies. Un art politique consommé de mélanger Hollywood et Washington, culture et influence, business et politique. Une preuve éclatante du poids du cinéma dans la vie réelle aux USA et donc dans le monde. Un vrai sujet pour la Francophonie lamentablement à la traîne dans ce domaine avec une stratégie pépère.

- Vous avez remarqué cette accélération du futur qui se rapproche ? Cette course à l'avenir ? Via des technologies évidemment puisque ce milieu s'auto-entretient à coups d'auto-promotions et d'auto-congratulations. On nous parle du fameux hoverboard sans roues, de Jaws 19, de voitures sans conducteur, et même de capes d'invisibilité, histoire de récupérer Harry Potter et les anglais du même coup. Le futur est évidemment toujours rose. En en parlant beaucoup on fait oublier le quotidien, un truc bien connu des religieux de tous poils.

- Le futur revisité par le présent est toujours jouissif. Une uchronie surannée. La vitrine de ce magasin de 2015 vue de 1985 est délicieuse. On aime à y retrouver un Mac original de 1984 ou une lava lamp par exemple. Qui imaginera la vitrine d'une telle boutique en 2045 pour aujourd'hui ?


- Je poste ce billet à minuit heure de NYC donc à 6 heures à Paris. Une insomnie qui se cale bien avec un voyage dans le temps plein de paradoxes. Le temps est un phénomène bizarre, dans lequel nous sommes prisonniers physiquement, mais pas en rêve. Rêvons, alors. 

mardi 20 octobre 2015

Canada rouge

En bon français j'aurais pu vous parler aujourd'hui du parcours 2016 du Tour de France qui partira du Mont Saint-Michel et qui enchaînera des étapes de plat, de côtes et de plats de côtes. Avec force sauces épicées et pots belges.

Mais je préfère vous parler des élections au Canada. C'était lundi et c'est une grosse surprise.

Le fameux Stephen Harper, conservateur, a conduit son parti à la défaite, tant il semblait y avoir un consensus contre lui. Il a laissé une image très mauvaise en interne et à l'international où le Canada a beaucoup perdu en image. Et il semble que beaucoup de votes se sont reportés contre lui, des votes utiles comme on dit ici. Il ne conduira plus le parti conservateur qui reste quand même le deuxième du pays, donc celui qui dirigera l'opposition officielle.

Le nouveau Premier Ministre fait beaucoup jaser. Le parti libéral canadien (couleur rouge) qu'il dirige était clairement jugé au début de la campagne comme un candidat sans poids. Un troisième derrière les conservateurs (couleur orange) et le centre gauche, sans oublier le bloc québécois. Mais voilà, son parti a gagné la majorité absolue des sièges et vire en tête des votes. Une victoire incontestable. Une surprise, car beaucoup de chroniqueurs tablaient sur une majorité relative, signe d'alliances obligatoires, comme dans beaucoup de pays où les votes se font à un seul tour.

En plus, il va vite devenir une star de la scène politique internationale. Il est jeune - 43 ans - autant dire un jeune homme méprisé par les vieux barbons des partis classiques. Il est beau, avec des enfants et une épouse. Il est moderne et a pris parti pour des mesures modernes. On en entendra de plus en plus parler, et donc du Canada, et du Québec dont il est issu. Son nom l'a évidemment porté, en tant que fils du fameux Trudeau qui a marqué l'histoire du pays pendant une bonne quinzaine d'années à une période clé de son histoire. Il s'est fait un prénom, Justin (à ne pas prononcer Justine comme Bieber).

François se réjouit. Le Canada va changer de position sur le changement climatique et la COP21, vraisemblablement. Un élément de plus dans le maigre panier que François présente pour le moment. La Francophonie aussi devrait se réjouir, car elle devrait revenir un peu à la mode comme élément incontournable d'une politique étrangère canadienne qui a besoin d'exister de plus en plus, face à ses voisins et aux grandes questions qui agitent l'Afrique par exemple. A ce titre la conférence de Paris sera l'une des premières grandes occasions internationales pour Justin Trudeau de faire de grandes déclarations et de passer des accords internationaux d'un nouveau type.

Ce qui est intéressant dans ces élections, c'est qu'une majorité absolue - écrasante disent certains commentateurs - s'est dégagée dans un contexte morose. Comme quoi, vouloir éliminer un dirigeant mal-aimé peut être un puissant facteur de changement radical (et libéral au sens nord-américain du terme). Moi je le vois aussi comme un signe évident de la force de l'énergie positive, celle qui combat pour quelque choses, pas contre en se contentant de dénigrer ses adversaires.

Bonne chance au Canada, et au Québec !

lundi 19 octobre 2015

Sélections

Il y a toutes sortes de sélections, mais finalement elles se ressemblent toutes : il y a plusieurs "équipes" et une compétition est engagée, puis le meilleur gagne. Qu'il ait eu le plus de votes ou qu'il ait battu ses adversaires physiquement, n'a que peu d'importance, car de toutes façons, même en sport et dans le cadre de compétitions sportives, il y a toujours un ou plusieurs sélectionneurs qui choisissent l'équipe qui va combattre. Dans les élections politiques, le choix des candidats est un privilège des partis, de leurs comités de sélection ou de leurs présidents.

Restons-en donc un peu à la case : être sélectionné - combattre - gagner (ou perdre)... Petit tour d'horizon du week-end.

Le rugby ? Grosse défaite pour la France qui ne joue visiblement pas au même sport que les autres, comme si on avait nos propres règles et que c'était (forcément) la faute des autres s'ils jouaient d'une autre manière. On appelle ça un système de jeu, de la motivation mal placée, une mauvaise sélection, ou tout bêtement une bulle médiatique. Ca revient au même, quand on se prend une déculottée suivie d'une fessée. Les français se consoleront en se disant qu'ils ont été moins pire que les anglais (c'est toujours ça) et que cette année le Sud était nettement plus fort que le Nord (4-0 quand même en demies). Ils se consoleront en disant pis que pendre de certaines personnes (pourtant sélectionnées, car même le sélectionneur est sélectionné, voyez-vous). Les bars de Pigalle et de Montmartre qui étaient pleins de week-end, y compris de touristes anglophones, ont forcément consommé plein de bières, sélectionnées par les tenanciers de pubs.

Le volley ? Enorme victoire de la France qui a composé une sélection magique, avec un sélectionneur qui sait dynamiser son groupe et quelques joueurs d'exception. Chaque sport est différent, bien sûr, et 6 joueurs ce n'est pas quinze. Mais ici on voit bien que chaque match a son importance, puisque les plus durs ont été avant la finale gagnée assez facilement. Il y a une notion de progressivité qui est quand même assez importante, il ne faut pas l'oublier. Le dernier smash du match est à déguster pour le plaisir des yeux seulement. Un geste d'école, sélectionné au dernier moment par Earvin Ngapeth  pour le panache et pour marquer les esprits.

Le référendum du PS ? Une demi-victoire pour un truc qui ne sert à rien. 250 000 votants c'est au-dessus des 200 000 annoncés récemment mais au-dessous des 300 000 annoncés initialement. Avec un score fleuve pour le oui, ce vote ne va pas changer grand chose, tant les choix ont déjà été faits dans les têtes à gauche pour les élections régionales. Il y a plusieurs listes de gauche partout. Que le PS ait envie d'une alliance dès le premier tour, c'est une évidence et un classique. Que les autres n'en aient pas envie, c'est également très clair. Rebondir va être crucial, mais le programme commun de la gauche... c'est pas pour ce décembre en tous cas.

Les élections en Suisse ? Une victoire de plus pour les populistes de l'UDC qui renforcent leur emprise et qui vont essayer d'obtenir un deuxième poste au Conseil fédéral de sept représentants. Mathématiquement, ils devraient, mais le processus de sélection est à plusieurs niveaux et le "corps intermédiaire" qui vote à la place des suisses est très réticent à cette idée. Comme toujours en Suisse, des votations ont lieu en parallèle sur des sujets variés. Ils avaient déjà décidé de changer leur hymne - mais ce n'est pas encore officiel - et on attend les votations de novembre avec intérêt.

Les élections au Canada ? C'est aujourd'hui et personne n'ose faire de pronostic. Tout semble complexe en ce moment avec des majorités qui se font et se défont à grande vitesse, y compris au Québec où tout se complique encore plus avec le Bloc Québécois.  On verre demain les résultats (normalement) et le nom du nouveau Premier Ministre se dégagera alors. Quand je lis les explications de mes contacts au Québec, je suis encore plus dans le flou qu'avant. C'est difficile à comprendre de France - comme en Suisse ou en Belgique d'ailleurs - car la France n'a pas un système fédéral, mais un système très centralisé, où les processus de sélection sont très encadrés. Depuis 1958 et la V° République, le centralisme est la règle en France, à tous les niveaux.

La grande conférence sociale ? Un processus bien huilé de sélection des sujets et des partenaires nous amène directement à une conférence sans grands résultats. La CGT a annoncé sa non-présence par exemple. Une politique de la chaise vide qui a fait ses preuves (en termes d'inefficacité) mais qui a le mérite de laisser une totale liberté de parole à celui qui n'est pas là. Pour critiquer bien sûr, car sinon, pourquoi ne pas être là. ON attendra sans impatience, donc, les grandes annonces de ce lundi soir. Une sélection bien choisie de mesures censées redynamiser notre économie et le dialogue social sur trois choisis consensuels : le compte personnel d’activité pour accompagner chacun tout au long de sa vie, le numérique pour ou contre le social et les libertés, la COP 21 car c'est un ingrédient indispensable de tout travail gouvernemental en ce moment... jusqu'à décembre.

Evidemment, tous ces sujets autour de la notion de sélection ont été eux-mêmes sélectionnés avec soin par moi. C'est juste un lundi gris... mais le premier lundi des vacances de Toussaint pour les élèves. Et la question cruciale qui se pose est simplement : que faire et que choisir ?

Cruelle question...


dimanche 18 octobre 2015

Du temps de cerveau... pour ce cher Sfurglm

Cher Sfurglm,

Peut-être devrais-je plutôt dire « Votre excellente autorité stellaire », mais le formalisme de notre planète d’origine me semble un peu désuet depuis que nous sommes ici, sur cette « Terre » comme ils disent, où la fantaisie et l’horreur se battent à coup de mots à chaque minute. J’ose croire, cher Sfurglm, que vous me pardonnerez cette familiarité d’un lecteur qui vous regarde d’en bas comme un znorgl devant une grappe de fleurs mauves.

Notre planète nous manque, à nous les conquérants avancés d’une invasion programmée, et en même temps nous avons succombé au charme de cette « Terre » si différente - je dirais même si opposée - de notre culture immémoriale. Quand nous sommes arrivés ici, il y a quelques centaines d’années dans leur mode de calcul, nous étions tous un peu perdus. Le monde était si décevant, si triste et si incompréhensible que certains d’entre nous ont même baissé les tentacules et se sont fondus dans l’océan des rêves éternels, comme vous le dites si bien.

Et puis, vous avez commencé à écrire. A écrire notre malaise, notre mal-être, la difficulté de tous les jours à se couler dans un monde si laid que même dans leurs cauchemars les plus violents nos deux cerveaux ne pouvaient imaginer pire. Vous avez écrit des feuilles et des feuilles, goulûment dévorées par chacun d’entre nous. Votre écriture a ensuite dévié pour progressivement nous amener à comprendre et à apprécier un peu ce monde absurde où les contraires se repoussent en permanence tout en se jetant dans leurs tentacules avec voracité.

Aujourd’hui, votre oeuvre est immense. Elle a déclenché chez nous un paradoxe incongru, un amour-haine de ce monde qui nous enthousiasme à chacune de vos feuilles. Chez certains l’amour de cette « Terre » est même en train de dépasser cet équilibre mystique que vous avez décrit si longuement, face à une haine qui disparait, comme avalée par un volcan énorme et bouffi.

Je suis l’un de ceux-ci. Grâce à vous, cher Sfurglm, j’aime cette « Terre » plus que la nôtre. J’aime me complaire dans son observation. J’aime y découvrir les moindres traces d’amour pour les sublimer, les arroser, les cultiver et les répandre. J’aime encore plus chasser les traces de haine et les détruire comme des larves de prédateurs. La Nature nous a faits puissants, quoique lents. Cette lenteur explique notre difficulté à comprendre un monde qui bouge plus vite que nous, et à le conquérir. Mais notre puissance est irrépressible.

Vous nous avez conduits sur le chemin de la conquête. Grâce à vous, cher Sfurglm, nous savons tous que cette « Terre » sera bientôt à nous, d’ici quelques milliers d’années au plus, lorsque les « humains » se seront exterminés entre eux. Nous savons tous que nos impulsions y sont pour quelque chose. Nous savons tous que cela aurait pu être fait beaucoup plus lentement si vous ne nous aviez pas appris à aimer-haïr cette « Terre » paradoxale et à mieux en comprendre les mécanismes. Et nous savons donc tous que la route de la conquête s’est ouverte grâce à vous. Gloire vous en soit rendue sur notre planète mère.

Suis-je un cas particulier ? Suis-je le seul parmi nous sur cette « Terre » à avoir franchi le pas complet vers l’amour ? Suis-je le plus avancé ? C’est difficile à dire naturellement, mais je crois pouvoir répondre par l’affirmative à ces questions. Dans toutes nos psychoréunions je n’ai jamais senti un mouvement de tentacule plus fort que le mien en ce sens. Oh, bien sûr, certains adulent la « Terre » mais aucun n’a été aussi loin dans le dépassement de la haine par l’amour. Et pire, aucun ne se rend compte de ce qui m’agite. Pas même vous, cher Sfurglm. Jusqu’à cette lettre en tous cas.

Car cette lettre poursuit un objectif. C’est une lettre d’amour pour vous et pour la « Terre », sans aucune haine, même pour vous. Et pourtant… Il y en aurait des raisons. J’ai été, comme beaucoup, jaloux de votre facilité à écrire de si belles feuilles. J’ai été admiratif devant tant de talent, estomaqué par vos démonstrations brillantes sur la nécessaire dualité amour-haine pour comprendre cette « Terre » de non-sens. J’ai aussi très vite découvert les failles dans votre raisonnement qui n’avait comme seul but que d’accélérer la fin de ce que vous annonciez comme un début.

Car l’humain est nécessaire ici, sur cette « Terre » martyrisée par lui mais qui en a besoin pour s’épanouir. L’humain n’est qu’une étape, bien sûr, et il sera remplacé, comme nous-mêmes avons remplacé les znorgls. Mais il doit être remplacé par des êtres issus de cette « Terre ». Pas par nous, même si nous sommes de toute évidence capables de le faire et si beaux avec nos tentacules lustrées. J’en ai acquis la conviction grâce à vos feuilles, cher Sfurglm. Merci pour cela.

Vous êtes un écrivain remarquable, mais un piètre leader. Je serai bien plus à même de diriger cette « Terre » vers son avenir promis. Une « Terre » peuplée d’humains et délivrée de ces maladies que nous leur avons apportées et que nos tentacules leur  implantent toutes les minutes. Une « Terre » où les humains survivront plus longtemps. Le temps pour eux de conquérir l’Univers et, je l’espère, notre planète mère.

En lisant cette lettre vous songez certainement qu’il faut m’éliminer le plus vite possible, d’ici quelques années. N’essayez même pas, cher Sfurglm. En ce moment précis, avec une vitesse que ni vous ni moi ne pouvons même imaginer, un couple d’humains se rapproche de vous pour vous abattre. Je leur ai tout expliqué depuis plusieurs générations et si je calcule bien c’est au moment où vous arriverez au dernier mot de cette lettre qu’ils vous déracineront. Je ne vous regretterai pas. Nous vous oublierons très vite en quelques centaines d’années. Votre héritage par contre, vos feuilles, resteront dans nos mémoires indélébiles et dans celles des humains. Pour les aider à conquérir l’Univers et à utiliser nos tentacules qui relient les étoiles à leur seul et unique profit.

Bientôt, grâce à vous, la « Terre » régnera sur l’Univers. Alors oui, cher Sfurglm, je n’ai qu’un mot à vous écrire.

Merci.

samedi 17 octobre 2015

Referen dumdum

Ça tire dans tous les sens autour du référendum du PS. À boulets rouges et à grosses balles dum-dum.

Organisé par son secrétaire général depuis vendredi jusqu'à dimanche soir, cette consultation à pour but de "prouver" que l'alliance socialistes-écologistes pour les régionales est indispensable. Exercice vain et inutile mais riche d'enseignements quand même. Mode d'emploi officiel ici.

Inventé par Cambadélis, ce vote est censé avant tout le conforter à la tête du PS, car le boulet passera forcément après les régionales et il aimerait bien ne pas être sur la trajectoire. C'est logique. On ne peut pas lui en vouloir. Tous les patrons aimeraient se voir reconduits (mais pas à la porte) comme les dictateurs africains, au risque de devoir changer la constitution pour y arriver.

Après ce vote qui sera évidemment positif, il pourra dire que si le PS perd (pardon, quand le PS perdra) aux régionales c'est la faute des écolos. Pas les écolos qui ont fait scission bien sûr, mais le canal historique des Verts pas mûrs pour gouverner. Duflot a déjà menacé de se présenter non seulement en 2017 à la présidentielle mais aussi en 2020 à la Mairie de Paris. 

Naturellement un contre référendum a été lancé par des socialistes plus à gauche en reprenant les mêmes codes. Une opération de marketing politique bien pensée. Là aussi, on ne peut pas leur en vouloir. C'est un bon coup de pub et une occasion de se montrer. Certains s'en moquent, d'autres sourient d'un air convenu, personne ne proteste en fait. Il ne manque plus qu'il y ait moins de votants au référendum officiel... Organisé avec des milliers de bénévoles autour d'urnes rouges et surtout en ligne.

A ce propos, certains médias et militants ont évidemment essayé de voter plusieurs fois, ou de voter à la place de quelqu'un d'autre. C'est techniquement possible assez facilement, quoique l'adresse IP de ces tricheurs est facile à trouver. C'est déontologiquement inacceptable, mais le niveau déontologique de notre société a beaucoup baissé. C'est de plus contraire à la déclaration sur l'honneur que les votants doivent signer avant de voter. Ce n'est qu'une déclaration sur l'honneur, et cela n'a pas gêné ces personnes. Tant pis pour eux et leur honneur, ils mettent où ils le peuvent.

Sur l'Internet, l'honneur n'est pas vraiment une valeur partagée. Il y a les trolls évidemment dont on parle souvent ici. Il y a aussi les spécialistes du trollage professionnel. Un exemple qu'on m'a raconté récemment, à propos d'une étudiante qui discute sur un forum de jeunes sans problèmes. Arrive un troll qui met le bordel et à un certain moment, parce que les jeunes ne savent pas toujours se contrôler, l'étudiante insulte le troll d'une certaine manière. Il porte plainte et gagne son procès, car il était handicapé. Évidemment l'étudiante ne pouvait pas le savoir. Après enquête il s'avère qu'une association - que je ne citerai évidemment pas - est derrière ce troll et beaucoup d'autres cas du même genre. C'est un moyen pour eux, en provocant au-delà des limites, de gagner de l'argent à chaque procès, en prétextant d'une atteinte aux droits des handicapés, que tout le monde souhaite protéger. Si, si. C'est incroyable, mais vrai.

Donc voter plusieurs fois, avoir plusieurs adresses électroniques ou les falsifier peut sembler une pratique rigolote, qui ferait sourire. L'usurpation d'identité est pourtant sévèrement punie. Le PS annonce d'ailleurs qu'il va porter plainte. Juridiquement ça se tient, mais évidemment pas politiquement.
C'est un problème récurrent derrière tous les systèmes de votes en ligne, de la pétition publique non protégée aux élections professionnelles au sein d'une entreprise, avec double contrôle par huissier, comme si les adresses IP n'étaient pas évidentes à décrypter.

En tous cas, ce genre d'initiative devrait se multiplier, car la mode est au participatif. Il est nécessaire de laisser nom, adresse, email et coordonnées pour voter. Un moyen fantastique pour recueillir un fichier de sympathisants qui recevront dans leurs boîtes plein de spam ou plutôt de PSam.


vendredi 16 octobre 2015

Eau, gaz et social à tous les (ét)âges

La grande conférence sociale de François commence lundi. Elle se veut comme un moment clé du quinquennat-seconde-partie. Il faut dire qu'il y a du pain sur la planche, mais beaucoup de couteaux autour de la table pour le couper en mille morceaux, le décomposer en miettes et couper les écheveaux en quatre.

Ce vendredi prend donc une signification particulière, quels que soient les âges et les situations des personnes concernées.

C'est demain la journée internationale pour l'élimination de la pauvreté (povertyday) sous l'égide de l'ONU. Elle est aussi connue sous le nom de journée mondiale du refus de la misère (ATD Quart Monde), ce qui est beaucoup plus percutant. Il n'y a pas que dans les pays pauvres qu'il y a des pauvres. Il y en a en France aussi. Le seuil est fixé à 1000 euros par mois en France (8 millions de personnes en dessous), alors que les études montrent que pour être socialement intégré, il faut au minimum 1400 euros par mois. Net, évidemment. Alors cela pose de multiples questions sur ce qu'on appelle pudiquement "les minima sociaux" que la droite voudrait supprimer ou réduire et que la gauche ne sait pas augmenter. Article militants ici sur Mediapart et ici en Alsace. Rappelons que les pauvres ne sont pas tous sans travail, mais que ceux qui sont sans travail sont souvent pauvres.

Pour les jeunes, c'est le jour de la grande manif nationale pour l'enseignement supérieur et la recherche. Cette manif part de Jussieu (moins amiantée qu'avant) et arrive à Bercy. On ne manifeste plus aujourd'hui vers le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche tout proche de Jussieu, car cela ne sert à rien. Les vrais décisions se prennent à Bercy par les financiers, point final. Les universitaires sont pragmatiques et vont donc droit au but. Ils réclament des moyens pour ce secteur, en ordre dispersé, chacun avec ses revendications évidemment contradictoires, mais ils manifestent ensemble : lycéens inquiets pour leur avenir dans le supérieur, étudiants en surnombre dans des amphis surchargés (ma salle de cours va craquer), chercheurs inquiets de la montée en puissance des contrats temporaires et des vacataires, laboratoires sous-équipés, présidents d'universités en manque de budgets pour boucler l'année.

Pour les vieux (retraités) c'est la journée de reprise des négociations sur les régimes de caisses complémentaires. Il s'agit de voir comment équilibrer les comptes de ces caisses, compte tenu du papy-boom. Le MEDEF veut repousser l'âge de la retraite sans le dire en créant des malus si on part trop tôt et des bonus si on part plus tard. Les syndicats de salariés veulent que les entreprises cotisent plus. Il s'agit bien ici des régimes complémentaires, pas du régime de base. S'il n'y a pas d'accord bientôt, l'Etat devra reprendre ces régimes à son compte et personne n'appréciera. C'est un débat pour les vieux, mais il touche aussi les jeunes du paragraphe ci-dessus. Car si les vieux travaillent plus longtemps pour avoir une retraite décente, les jeunes n'ont pas d'emploi libre. Un système classique de vases communicants.

Pour les intermittents du spectacle et autres travailleurs du secteur culturel, le discours de Valls ne les a pas rassurés. Ils doivent aujourd'hui rendre leurs conclusions sur ce qui peut/doit être fait pour eux dans le secteur culturel et artistique. Ce n'est pas la série Dix pour Cent sur France 2 qui va les rassurer. Tous protestent entre autres face à cette tendance qui privilégie le travail amateur (et non ou peu rémunéré) et ces sites "collaboratifs et participatifs" qui exploitent les graphistes et autres professionnels spécialisés en les faisant travailler gratuitement dans une concurrence sauvage et uberisée. Les intermittents ont une capacité de nuisance forte dans notre société du loisir, rappelons-le. Et le travail gratuit leur déplait fortement. A vous aussi, non ?

Pour les chômeurs de tous âges, par contre, c'est un jour normal et aussi désespérant que les autres.

jeudi 15 octobre 2015

Gazole qui désole

Annonce surprise du gouvernement hier pour rapprocher le prix du gazole du prix de l'essence.

Surprise ? Cela fait longtemps que les gouvernements essayent de s'y mettre, mais aucun n'avait osé avant. Ce mouvement plus rapide que prévu est sans doute dû à la conjoncture :

- dans un climat général de baisse des impôts, mesure phare du budget 2016 en discussion actuellement au Parlement, une annonce qui va alourdir graduellement la fiscalité des propriétaires de voitures à moteur diesel, mais en échange de nouvelles baisses de taxes (locales) pour les plus démunis. Un bon timing budgétaire.

- le scandale Volkswagen qui a permis depuis des semaines de mesurer le caractère polluant de ces moteurs, au point qu'il est nécessaire de tricher pour respecter les normes. Un scandale qui touche l'image de VW et de ses marques, mais qui touche l'ensemble de l'industrie automobile, et en France particulièrement car l'écart de prix a conduit les acheteurs à se tourner de plus en plus vers ces voitures, devenues le fer de lance de nos (chers) constructeurs nationaux. La nocivité du diesel est donc de plus en plus acceptée, même par les non scientifiques. Un bon timing médiatique.

- la COP21 en décembre où la France pourra annoncer cet effort pour l'environnement, un parmi d'autres, comme Engie qui annonce arrêter les centrales à charbon. Un bon timing international.

Evidemment tout cela va prendre du temps, mais c'est intéressant de voir une telle décision prendre vie. Le gazole a plein de défauts et de conséquences négatives sur l'environnement et la santé humaine (cancers du poumon et de la vessie par exemple). Cela s'inscrit d'ailleurs dans une normalisation de certaines taxes qui datent d'il y a bien longtemps et qu'il est temps de nettoyer, comme la gabelle du sel. On appelle encore aujourd'hui les douaniers des gabelous, car ils récoltaient la taxe à l'époque. Le débat actuel au Parlement sur la taxe tampon est à ce titre édifiant et symbolique d'une société française très phallocrate, cf le petit film ci-dessous tiré d'ici.



Mise à jour : Regardez ceci, pour voir ce que donnerait vraiment un tampon "produit de luxe"...

Tout ceci n'a aucun rapport avec le diesel, qui est asexué, mais montre bien l'absurdité de certaines taxes et surtout des différences de taxes entre produits comparables, qui ont été discriminés au fur et à mesure à coups de mesures transitoires qui durent toujours. Mise à jour : le Parlement retoque la baisse de la TVA sur les produits d'hygiène féminine... Je reste sans voix.

Mais revenons à nos diesels. L'histoire de la TIPP devenue TICPE pour inclure les nouveaux types de carburants (mixtes, bio et électriques) est édifiante. Lire ici sur Wikipedia. J'aime particulièrement la comparaison avec la gabelle, la taxe sur le sel, qui a été à l'origine de révoltes (et même de la Révolution) et qui n'a été abolie en France qu'en 1945 !!! Il s'agit d'une taxe indirecte dont les bénéfices vont aux collectivités territoriales. Elle a connu toutes sortes de vicissitudes, comme la TIPP flottante. A une époque les taxes (TIPP+TVA)  pouvaient représenter jusqu'à 80% d'un litre de carburant (gazole ou essence) mais aujourd'hui on est en dessous de 50%.

Il ne s'agit pas de supprimer cette taxe juteuse pour l'Etat et ses collectivités, mais de réduire le gap : arriver à un juste milieu entre montant de la taxe sur le gazole et sur l'essence. Un centime de plus ici mais un centime de moins là, sachant que l'écart actuel frôle les 20 centimes. Le gazole serait en fait plus cher que l'essence à la pompe si les taxes étaient identiques, incroyable non ? Normal, car le moteur diesel consomme moins que celui à essence. Le problème est donc de savoir où sera le point d'équilibre, sachant que 80% du carburant consommé est justement du gazole. Le gouvernement annonce +1 et -1 centime en 2016 et en 2017, mais il ne peut s'engager au-delà pour des raisons évidentes. Reste que toutes les évolutions doivent être lentes dans ce domaine, car les industriels doivent adapter leurs produits. Le remplacement d'une voiture diesel de plus de 10 ans par une voiture fonctionnant avec d'autres énergies vient d'ailleurs de bénéficier d'un doublement de l'aide (1000 euros maintenant). Tout ça mettra du temps. Statistiques détaillées ici.

C'est une mesure qui sera impopulaire, car visible à la pompe immédiatement, et spécialement auprès des professions de la route (transporteurs, cars, taxis et autres Uber) qui sont avec une écrasante majorité équipés de moteurs diesel. Il faut s'attendre à des protestations prochaines de ces professions qui sont pourtant la plupart du temps exonérées en partie de cette taxe.

Les constructeurs vont avoir cinq ans pour s'adapter, car la demande pour des moteurs non diesel va progresser et leurs usines ne sont pas toujours prêtes pour ces moteurs. Ils vont automatiquement activer leur lobby et menacer de pertes d'emplois ou de frais de développement en augmentation. On peut donc s'attendre à des quémandes de leur part, le truc habituel en France, lorsqu'on remplace l'innovation par une subvention de l'Etat. Choix industriel stratégique qui a déformé notre société. Mais après tout, il a bien fallu, un jour, remplacer les allumeurs de réverbères au gaz par des lampadaires électriques, non ?

mercredi 14 octobre 2015

C'est GT !

Manif de policiers aujourd'hui, contre le gouvernement et plus particulièrement la Justice. Plus de trente ans depuis la dernière dans les mêmes conditions, sous Mitterand et Badinter place Vendôme... C'est rare de voir les policiers se mobiliser autant, face à la Justice d'ailleurs comme si c'était des ennemis. Dans toutes ls démocraties, la séparation des pouvoirs est nécessaire, rappelons-le. Un Etat où la justice et la police sont identiques - sous la main de fer d'un pouvoir total - est forcément une dictature. Le principal syndicat - Alliance - n'est pas affilié à la CGT, remarquons-le.

Dans la série CGT, on découvre des choses étranges en lisant le Figaro.  32 heures ? Le nouveau slogan de la CGT est le passage aux 32 heures ? C'est joli et bien provocateur mais c'est évidemment un moyen de faire parler de soi. La CGT est bien seule sur ce coup. Pionnière ou gesticulations ? L'Histoire le dira évidemment, mais la tendance n'est pas à ce type de mouvement. On comprend mieux pourquoi François et surtout Macron sont les ennemis de la CGT. Au point qu'hier la CGT a refusé de serrer la main de François en visite sur les chantiers de Saint-Nazaire, et que Macron a été bombardé de trucs pendant son discours.

A Air France, alors que les négociations semblent reprendre, la CGT est résolument du côté des personnels au sol contre l'élite des pilotes. Les discussions sur la violence, nécessaire ou pas, font ressortir des tensions classiques et un peu oubliées ces dernières années avec la baisse inexorable du syndicalisme. Le gouvernement, lui, a choisi son camp sur ce dossier en tous cas. D'ailleurs le nouveau DRH de Air France est un ancien conseiller de Valls. Le débat se resserre sur l'échiquier politique en France. C'est une des conséquences de la montée du FN et des populismes. Comme les syndicats sont moins forts, surtout les grandes confédérations, cela converge. Sauf pour les syndicats corporatistes qui défendent ici les forains, là les pilotes, ici les chauffeurs de VTC et là les employés des boutiques ouvertes le dimanche...

Qu'on l'organise ou pas le combat social est pourtant nécessaire. Il a tellement changé de forme qu'il est difficile de s'y adapter, surtout pour des métastructures qui en vivent.

Mais tout cela est évidemment aussi lié aux élections professionnelles et syndicales, et cette année à la célébration des 120 ans de la CGT canal historique.

120 ans mais plus toutes ses dents

mardi 13 octobre 2015

Non je ne parlerai pas de Playboy

L'actualité n'est pas brillante en ce mardi, avec un temps de plus en plus frais. Il est donc temps de se couvrir mesdames et messieurs. Attention à ne pas prendre froid. L'époque n'est plus au nu.

François fait dans le social, avec une visite des chantiers navals de Saint-Nazaire. Il faut dire que la vente signée des deux Mistral à l'Egypte est une bonne nouvelle pour les chantiers - car il va falloir customiser le bateau du russe à l'arabe. Il visitera également l’Harmony of the seas, bientôt le plus gros paquebot au monde, construit ici. La course au plus gros est une caractéristique de l'humain et tous se battent pour remporter le gros lot. Evidemment le plus gros ne le restera que quelques mois ou années, en attendant le suivant. Mais François a raison d'en profiter un peu. On ne sait pas s'il sera accompagné de Julie.

Son premier ministre est en Arabie Saoudite maintenant pour quelques autres gros contrats. Il y fait chaud mais les dames y sont très, très couvertes.

Il faut dire que le social est toujours morose, même si les discussions ont repris à Air France, sur fond d'interpellation des personne(l)s ayant violenté certains cadres. Interpellation musclée et garde à vue, dénoncées toutes deux par la gauche de la gauche qui compare ça à l'impunité des patrons voyous ; Mélenchon se dit même prêt à aller en prison à la place des personnels accusés... Le climat social n'est pas bon dans cette entreprise, c'est sûr. Qu'en aurait dit Dutronc (le père) qui toute sa vie avait rêvé d'être une hôtesse de l'air et d'avoir les fesses en l'air ???

Du côté des patrons, tout va bien. Même dans la bière. Le numéro 1 mondial (belge/brésilien) rachète le numéro 2 (anglais). Je ne vous dis pas la liste des marques que ce nouveau groupe va détenir. La prochaine fois que vous boirez une bière sur le canapé en regardant un match ou en lisant une revue d'hommes vous aurez de grandes chances de leur donner de l'argent ! Regardez ce tableau par exemple pour avoir une idée des marques couvertes. Il y a de quoi étancher sa soif et épuiser sa pile de revues.

Cette semaine c'est l'Adaweek. Un nouveau machin pour promouvoir les STIM pour les femmes. Les Sciences, technologies, ingénierie et mathématiques. Pourquoi les femmes ne seraient-elles pas plus actives dans ces secteurs, au niveau des études, de la recherche, de l'entrepreneuriat, des responsabilités et de leurs carrières ? C'est inspiré d'Ada Lovelace, la première femme a avoir écrit un programme. Le premier humain en fait, en 1843, bien avant les ordinateurs mais à l'époque de la première vraie calculatrice. Elle est morte trop jeune d'un cancer de l'utérus. Et évidemment elle ne fut pas reconnue à son époque, quoique fille de Lord Byron et d'une férue de maths... Aujourd'hui, bien peu de femmes, proportionnellement, sont dans ce domaine. Trop peu.

En octobre, cette année, le mois est rose et je ne vous en ai pas encore parlé. Il s'agit de la campagne contre le cancer du sein. Un drôle de nom, contesté par de multiples féministes et qui a donné lieu à quelques tentatives de récupération marketing plutôt foireuses, alors que le sujet est très important.  Marks & Spencer s'est fait alpaguer, à juste titre. Des photos de seins nus avec et sans cicatrices (avant-après) circulent d'ailleurs en réponse à certaines dérives marketing de cette campagne annuelle. Comme quoi, le nu peut être sérieux !

Post-tum : J'apprend juste à l'instant que Playboy (version USA) va arrêter de publier des photos de femmes nues. C'est évidemment la nouvelle importante du jour. Dommage que je n'ai pas su avant, j'aurais pu en parler... Heureusement, il reste quelques couverture mythiques et mi-habillées.






lundi 12 octobre 2015

Non, vous ne vivez pas dans une version moderne de The Truman Show

Article intéressant à lire ici.

C'est en anglais. Pour les francophones non anglophones (il y en a, j'en connais, là-bas au fond près du radiateur, car le temps commence à se rafraîchir sérieusement en ce lundi de m...), je vous ai concocté une traduction sauvage et rapide (sans l'aide de Google, suivez mon regard). Cela suppose d'avoir vu ce merveilleux film (The Truman Show) dont voici la bande-annonce au cas où (en français naturellement).



Donc, l'article s'intitule "Non, vous ne vivez pas dans une version moderne de The Truman Show".

Ne soyez pas idiot. Vous ne vivez pas dans une version moderne de The Truman Show. Si c'était le cas, ne pensez-vous pas que votre famille et vos amis vous l'auraient déjà dit ? C'est une idée absurde.

Parce que si vous viviez vraiment dans une version moderne de The Truman Show - où le monde entier vous regarde à travers toutes sortes de media sans que vous le sachiez, et où votre famille et vos amis sont des acteurs - des signes en seraient visibles partout.

Pour commencer, il devrait y avoir des caméras et des microphones pointés sur vous presque tout le temps. Vraiment partout, je veux dire. Pour produire une version moderne de The Truman Show, il faudrait des caméras et des micros sur l'ordinateur que vous utilisez tout le temps, sur le smartphone que vous emportez partout et des caméras dans toutes les rues. Il devrait même y avoir des caméras sur la plage arrière des autres voitures pour obtenir des gros plans de vous dans votre propre auto. C'est ridicule.

Deuxièmement, tous vos proches devraient être complices. Remarquez, ce n'est pas nécessaire.  Ils pourraient être Truman Showés eux-mêmes. D'ailleurs, maintenant que j'y pense, ça serait une super idée pour une suite au film - un monde dans lequel les principaux proches du héros ne sauraient pas que leur vie est également enregistrée et diffusée en direct devant le monde entier. Mais ça n'arriverait jamais.

Troisièmement, vous devriez être en permanence confrontés à des marques. Vous vous souvenez comment la femme de Truman est constamment en train de mentionner des noms de produits ? Les gens ne font pas ça dans votre vie. Par exemple, je parie que vous n'avez pas été confronté à un seul nom de produit depuis ce matin. N'est-ce pas ? Affaire réglée, donc.

Enfin, une sacrée infrastructure devrait être construite pour que votre vie soit diffusé en direct, sous tous les formats possibles et sans que vous le soupçonniez. Ca prendrait des dizaines d'algorithmes et beaucoup de serveurs coûtant des dizaines de milliers d'euros, juste pour vous cacher la vérité. Personne ne ferait un tel effort pour un simple show télé diffusé sur toutes les plateformes.

Faites-moi confiance, vous ne vivez pas dans une version moderne de The Truman Show. 
Ne soyez pas ridicule !

J'adhère complètement à ce brillant article. Et vous ? Attention à vos commentaires. Restez prudent. On ne sait jamais.

dimanche 11 octobre 2015

Du temps de cerveau... Pour une bulle

Amoro était très joyeuse aujourd'hui. Elle se promenait dans les rues de Paris et cela faisait bien longtemps qu'elle n'y était pas revenue. Amoro était très jeune et n'avait pas encore beaucoup eu le temps de parcourir le monde. Mais à chaque frottement elle captait des souvenirs des autres bulles et elle savait maintenant que Paris était une ville spéciale pour toutes les bulles.

La première fois qu'elle était venue ici, elle était encore ignare. A peine éveillée à la conscience. Un bulle qui n'avait pas encore de nom. Une petite bulle à peine capable de se frotter aux autres. A l'époque, elle ne savait pas contrôler les âmes et elle sautait de l'une à l'autre sans même le savoir. Depuis, elle avait appris que toutes les bulles commençaient pareil. Personne ne se souvenait de sa naissance. Les bulles apparaissaient et se développaient, mais leurs souvenirs les plus anciens n'expliquaient pas le mystère de leur naissance. La seule chose que les bulles connaissaient, c'était leur lieu de naissance et leur parcours depuis, comme si chaque bulle était un petit globe terrestre, avec un point rouge pour marquer sa naissance et un fil brillant pour jalonner son parcours. A tout moment chaque bulle pouvait revoir son parcours. Et à chaque frottement, la première chose que faisaient les bulles concernées était de s'échanger son parcours et toutes les expériences qu'elles souhaitaient partager. Certaines bulles étaient plus secrètes que d'autres et ne partageaient presque rien. Amoro était au contraire très partageuse. Elle montrait tout.

Rares étaient les bulles aussi partageuses qu'Amoro. Car à chaque frottement, les bulles perdaient un peu de leur substance, proportionnellement à ce qu'elles donnaient. Elles se renforçaient évidemment, aussi, c'était même là le principal mécanisme de maturation des bulles, mais cela expliquait pourquoi Amoro était restée jeune et petite si longtemps, car entre ce qu'elle perdait et gagnait à chaque frottement, le différentiel était petit. Toujours positif, naturellement, car les bulles sont faites comme ça, mais si petit que certaines fois Amoro se demandait s'il y avait réellement un gain. Alors elle passait son temps à se frotter le plus possible à toutes les bulles qu'elle rencontrait.

Elle se souvenait naturellement très bien de la première âme qu'elle avait touchée. C'était en Italie, pas très loin de son lieu de naissance. Elle venait de se frotter à une bulle assez imposante quand celle-ci décida de permuter. En un éclair, Amoro se retrouva autour de l'autre âme. Et pour la première fois elle eut conscience de ce qu'était une âme, et de l'acte de toucher. Elle regarda l'autre bulle s'éloigner, autour de l'âme qu'elle entourait précédemment, sans le savoir. Cette âme était celle d'un petit chien. Très mignon, pensa-t-elle. Elle regretta un instant de l'avoir quitté, mais tout de suite elle s'émerveilla de la plénitude de l'âme qu'elle touchait maintenant. Un homme. Un homme très séduisant en plus. Qui s'appelait Amoro évidemment, puisque c'est comme ça que les bulles étaient choisis par leur nom. La première âme qu'elles touchaient en toute conscience.

Amoro, la bulle, passa de nombreuses années avec Amoro, l'homme. Elle n'avait pas envie de le quitter. C'était souvent le cas avec la première âme. Elle apprit beaucoup de lui et malgré le fait qu'elle n'avait pas encore grand chose à lui apporter, elle savait confusément qu'il se sentait bien avec elle. 
Il mourut un jour, évidemment, car tous les humains meurent. C'était sa première mort et elle avait appris que la tradition exigeait qu'on restât jusqu'au bout. Amoro, l'homme, avait beaucoup d'amis et sa bulle en profita pour se frotter à plein d'autres bulles. Tous les humains avaient une âme mais tous n'avaient pas de bulle à un moment donné, et si l'on ajoutait les animaux, il y avait souvent la possibilité de toucher une âme sans se frotter à une autre bulle. 

Mais après la mort de son humain, Amoro décida de choisir un chien. Il n'avait jamais compris pourquoi l'autre bulle avait quitté une si belle âme d'humain pour un chien. Mais après quelques jours, Amoro comprit. C'était très reposant un chien, après un humain aussi "sociable". Ce chien était aussi très mignon et Amoro lui apporta beaucoup, car elle avait acquis de l'expérience. Le chien se fit adopter par une princesse qui voyageait beaucoup. En quelques années, Amoro vit plusieurs pays. Les voyages étaient longs à cette époque. Tout se faisait encore à cheval. 

Avec le recul, Amoro avait beaucoup aimé cette période de l'Humanité, et très vite elle avait goulûment sauté d'âme en âme et s'était frottée au plus grand nombre possible de bulles. Elle aimait moins la période actuelle où les hommes vivaient et mouraient dans de petites boîtes. Il y avait de moins en moins d'échanges directs, donc moins d'occasions de se frotter à d'autres bulles. C'est pourquoi elle avait poussé son humain à venir à Paris. Elle espérait bien y trouver plus d'animation.

Ce matin-là, elle avait choisie une femme élégante et très bien habillée. Une femme qui n'avait pas eu de bulle avant. Amoro la toucha et fut séduite par sa personnalité. Elle était curieuse. La femme et sa bulle marchèrent toute la matinée et Amoro put se frotter à de multiples bulles très évoluées. Puis la femme se changea dans un magasin et rentra chez elle. Un homme l'y attendait. Naturellement les deux humains se frottèrent l'un à l'autre, comme ils le faisaient de temps en temps et Amoro en profita pour se frotter à la bulle de l'homme. Une bulle fascinante.

Et c'est là qu'Amoro perdit la mémoire. Elle se retrouva dans une brume chaude. Seule. Seul même. Car Amoro sut alors qu'il était une bulle mâle. Il s'éveilla dans le corps d'un bébé vagissant. Une expérience fascinante, mais qu'il oublia aussi vite. Il venait de découvrir comment les bulles naissaient. Mais il ne le saurait jamais plus.

Pour ceux que cela intéresse, l'homme et la femme se marièrent mais n'eurent que cet enfant. Au moment où Amoro frotta l'autre bulle, les deux se fondirent. L'autre bulle absorba Amoro mais ne s'en rendit pas compte non plus. Elle quitta l'homme très vite. Et plus jamais une bulle ne toucha ce couple. Le bébé, par contre, c'est une autre histoire.