mercredi 31 août 2016

Qu'est ce qu'une surprise politique ? Macron Gabon Brésilon

Emmanuel Macron a donc démissionné hier comme annoncé du gouvernement. On est ici dans une surprise limitée à la question "quand et comment va-t-il le faire ?"

Beaucoup s'attendaient à ce que cela arrive plus tôt, par exemple dès le lancement officiel de son mouvement en marche ou quelque chose comme ça. Beaucoup le souhaitaient car il commençait à trop les gêner dans leurs projets personnels. Le principal intéressé, François, ne s'y est résolu que bien tard. Y a-t-il intérêt ? C'est toujours triste quand un oisillon quitte le nid parental, mais c'est inévitable. Un bon homme politique sait quand se rattacher à une bonne locomotive et quand décrocher le wagon (en général pas loin d'un aiguillage électoral). Un bon parent sait passer dessus et à autre chose. Il est vrai que le retour de Sapin comme ministre d'un super-Bercy, 25 ans après, énerve un peu ceux qui ont cru au "changement". Mais, dans ses moments là on réutilise les vieux pots de confiture, au moins ils sont solides et fiables. Le timing est parfait du point de vue de Macron, puisqu'il est libre de publier son analyse de tout ce qui ne va pas et ses propositions (qu'il a été empêché de mettre en oeuvre par le méchant Valls, oh le vilain) en pleines batailles des deux primaires entre lesquelles il se place (au centre, au sens du centre d'un cercle). Il pourra se positionner comme il veut (peut) pour la présidentielle en fonction des accords secrets passés avec François. En ayant été là pour le séminaire de rentrée, il peut tirer sa révérence en montrant qu'il sait garder le silence. Parions, ici et maintenant ;) qu'il se présentera et négociera une place avec le vainqueur, qu'il s'appelle Juppé ou Montebourg... Sur le comment, cette surprise a été bien gérée : fuites dans la presse, memes sur Twitter pour se moquer (gentiment) de sa sortie, université d'été du MEDEF, 20h de TF1 et une presse qui ne parle que de lui (pour aujourd'hui). Valls est hilare (enfin ! se dit-il) alors que c'est lui le grand perdant maintenant puisqu'il est coincé sans pouvoir se défausser sur Macron. La vraie question, maintenant est "Va-t-il se laisser pousser la barbe ?"


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Autre lieu, autre surprise : au Gabon, il semble que Ali Bongo soit réélu contre son rival Ping (pas de jeu de mot SVP). Sur le fond, il n'y a pas de surprise, l'Afrique centrale francophone nous a habitués depuis longtemps à une interprétation laxiste du mot "élection" et les dynasties en place n'aiment pas quitter le pouvoir, même momifiés. La surprise vient du score serré (avant les multiples contestations et émeutes qui ne vont pas tarder à arriver).  A cette heure, rien de définitif, mais : "En réunion plénière de la Cenap, les délégués de M. Jean Ping contestent les résultats dans une des neuf provinces du pays, le Haut-Ogooué, fief de l'ethnie Téké des Bongo. Ali Bongo obtiendrait dans cette province 95,46% des suffrages, avec une participation de 99,93% pour 71 714 inscrits, d'après le procès-verbal qui doit servir de base au débat, auquel l'AFP a eu accès. Ce score permettrait au président-candidat de remporter la victoire avec 49,80 % au niveau national, contre 48,23 % pour son rival Jean Ping, avec un taux de participation globale de 59,46 %, toujours selon ces documents provisoires."

La vraie surprise aurait été (sera ?) de voir un opposant élu dans ce pays et cette région. Même si Jean Ping a été très proche du père Bongo et qu'il a fait un passage à la tête de l'Union africaine, il est un opposant et il a réussi à la surprise générale à fédérer autour de lui d'autres opposants, ce qui est bien rare là-bas. Les bailleurs de fonds "du Nord" s'étaient massivement prononcés pour une nécessaire transparence électorale, au risque de se faire accuser de néo-colonialisme par le parti au pouvoir. Lorsque l'UE  a demandé par exemple à avoir les résultats bureau de vote par bureau de vote, la réponse du parti au pouvoir a été que la Constitution n'obligeait à fournir les résultats que région par région (il y en a 9)...  On attendra les vrais résultats avant de se prononcer, évidemment, mais on peut déjà signaler que les surprises ne sont pas toujours là où on les croit.


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Au Brésil, pas de surprise. Nulle part. Aujourd'hui, Dilma Rousseff devrait être démise de ses fonctions par le Sénat.




mardi 30 août 2016

Le sein nu de Marianne

Notre premier ministre, Manuel Valls, a dit un grosse connerie hier. Ca peut arriver à tout le monde, mais quand un premier ministre français s'emmêle les pinceaux sur un des symboles majeurs de la République, ça la fout mal.

Il a dit, dans une envolée non écrite de son discours enflammé, "Marianne elle a le sein nu parce qu'elle nourrit le peuple, elle n’est pas voilée parce qu’elle est libre ! C’est ça la République !" Tout ça pour parler de la place des femmes et de la polémique sur le burkini qu'il continue à vouloir interdire comme la plupart des leaders de la droite.

Les historiens sont furieux de cet amalgame (comme ici), alors que toute l'Histoire est faite d'amalgames entre symboles et réalité.  Dans les discours politiciens d'aujourd'hui, on abuse d'ailleurs de symboles. C'est à qui répétera le plus qu'il faut des gestes forts et symboliques, sachant que chacun ré-invente les symboles comme il lui plaît. Le premier Ministre, en essayant de réinventer Marianne n'est pas dans une autre démarche.

Les symboles ont une vie propre. Ils sont fixés à un moment, puis interprétés et détournés, ou alors ré-affirmés de temps en temps. Il est impossible de contrôler la vie d'un symbole car il est très facile de le sortir de son contexte. Deux exemples célèbres : la svastika indienne, le plus heureux des   symboles de toute éternité, détournée en croix hitlérienne et la spirale néolithique détournée en gidouille (puis en arobase). Lorsque les détournements se font de loi, pourquoi pas... C'est le joyeux bordel de l'Humanité transversale. Mais quand on est dans le même pays et le même milieu (politique), c'est une faute, bien plus qu'un détail (de l'Histoire). Ou alors c'est une volonté délibérée de changer de modèle, comme lorsque Marine Le Pen décide de ne plus montrer les racines du FN symbolisées par son logo (repris d'un groupe fasciste italien à partir de la tombe de Mussolini).

Marianne est une figure allégorique.  Elle est partout autour de nous quand on regarde bien, même si le tableau de Delacroix est celui qui la représente le mieux.


Elle n'est pas toujours sein nu, comme ici avec Catherine Deneuve qui a inspiré l'un des plus beaux bustes (sculpté par Mireille Marielle Polska en 1985, sans seins justement).


Elle n'est pas voilée parce qu'elle est libre ?
Pour reformuler : elle est libre donc elle n'est pas voilée. Le voile est pourtant permis en France (comme ailleurs) et si une femme (ou un homme) est libre, elle est donc libre de se voiler ou non du moment que c'est légal. Sauf à interdire aussi le voile et toute forme de vêtement. Cette formulation est en fait équivalente logiquement à "elle est voilée donc elle n'est pas libre", ce qui semble bien traduire la position de Valls (et de beaucoup à droite. Qu'on aime ou qu'on n'aime pas le voile, il est légal, comme le burkini ou le bikini. Chacun peut choisi de le porter ou non, dans le respect de la décence. Qu'on (un homme) impose ce voile à quelqu'un (une femme) est une autre affaire qui relève d'un autre domaine. Symboles, amalgames et petites phrases politiques ont la vie dure.

Il serait temps que les relents de religion mal digérés arrêtent de polluer notre vie quotidienne, non ? Entre un Chevènement qui a une vision très personnelle de l'islam tout en étant chargé de sa "régulation" en France et un premier ministre obsédé par la désignation de coupables, entre quelques fanatiques désaxés qui essayent d'outrer le débat et des gens raisonnables qui n'arrivent pas à faire entendre leur voix, on a là une sorte de symbole de déconnexion de la vie politique en France. Comme une prise qu'on débranche. Ou comme une prose politique qu'on débranche de la poésie qui nous entoure, et qu'il suffit de savoir regarder.

Cachez ce sein que je ne saurais voir...

Le sein symbolique d'autres choses

Le sein déconstruit avant l'heure

Le sein caché par un voile, mais c'est pour visiter une mosquée
(Ah zut, c'est une princesse anglaise, pas une républicaine...)

From the New York Times

lundi 29 août 2016

C'est lundi, c'est la semaine de la rentrée et pas encore de grève ?

C'est incroyable. Pendant que les politiciens de tous bords s'agitent, il n'y a quasiment pas d'annonce de grève.

Les politiciens se déchirent. C'est normal, c'est dans leurs gênes en France, et tant qu'ils le font entre eux, on s'en fout. Ceux qui perdent disparaissent du radar sans que cela nous remue l'autre (comme disait Chirac), ceux qui gagnent restent là mais n'intéressent que les journalistes et les nouveaux impétrants mettent du temps à se faire voir, car en France la gérontocratie politique domine. Ignorons les donc, surtout et par devant tout quand ils racontent des conneries, et passons au reste.

Le social (avec l'économique) reste le sujet important aujourd'hui. Il impacte le quotidien de chacun, au travail, à Pôle Emploi ou dans la rue. En touchant tout le monde ou presque, le social devrait être le sujet numéro un, devant la religion ou l'identité nationale. C'est peu le cas. En France, le social ne devient médiatique qu'avec des grèves. Heureusement, en passant, que la motion même de réseau social n'est pas bâtie sur les mêmes bases...

Quelles sont donc les grèves prévues et les mouvements d'ordre national comme on dit :

Il y a le lait et la bataille récurrente des producteurs contre les grands groupes, en l'occurence Lactalis le numéro un, dans le fromage. A quel prix le lait doit-il être payé au producteur ? On n'est plus à l'époque où Mendès-France faisait distribuer du lait dans les écoles primaires pour en assurer la promotion et combattre les carences des enfants. On n'est pas dans ce petit pays libéral où le gouvernement achète des milliers de tonnes de fromage pour soutenir les cours. et nourrir les pauvres (il s'agit des USA). On est en France, le pays agricole le plus avancé de l'Europe de l'Ouest. Une brique de lait est vendue en moyenne 76 centimes (44% pour l’industriel, 36% pour le producteur, 13% pour le distributeur en HT, pas en UHT). Imaginez un peu la grève du lait et des produits laitiers ? En tous cas les producteurs promettent d'agir musclé très bientôt.

Il y a l'école avec la rentrée jeudi, et la fameuse réforme du collège. Les syndicats enseignants ont déjà appelé à la première grève dès le jeudi 8 septembre et à la résistance pédagogique, quoi que cette expression veuille dire.  La ministre a beau insister sur le fait que cette réforme prendra du temps, comme toutes les réformes de l'éducation compte tenu de la longueur des cycles et des difficultés de rupture, elle est pressée. La réforme d'avant date de 2008 juste à l'arrivée de Sarkozy, et la prochaine est donc prévue pour 2017 ou 2018 au plus tard avec le nouveau président, sauf si c'est François par miracle et dépit.

Le 15 septembre, manif pour l'abrogation de la loi travail organisée par Sarkozy (non, je rigole).  Il faut bien continuer. Les syndicats anti-loi travail l'ont promis, la rentrée sera chaude, et pas seulement au plan météo.

A ma connaissance, rien encore de prévu pour le 22 septembre (sinon l'automne). Car les grèves et manifs ont une nette préférence pour le mardi et le jeudi, les autres jours étant moins mobilisateurs : du vendredi au lundi inclus c'est le week-end et le mercredi c'est le jour des petits nenfants.

Sinon, toutes les grèves ne sont pas nuisibles, loin de là. Prenez le thème de la journée internationale ONU d'aujourd'hui. Et si on faisait la grève des essais nucléaires ?



dimanche 28 août 2016

Du temps de cerveau pour... Une nouvelle vague

Lignéto était en plein rêve. Il volait au-dessus de la mer, blanc et puissant comme un albatros. Il volait si haut que seul le bruit du vent et de ses ailes l'entourait. Il était heureux et aurait volé comme cela plusieurs éternités. Un rêve parfait. Et puis...

Soudain il se réveilla. Le jour se levait à peine. Sa femme dormait à côté de lui. Qu'elle était belle ! Depuis leur mariage, il y a six mois, sa vie était devenue un paradis. Son travail n'était pas prenant et il avait tout arrêté pour se consacrer à leur vie commune. De toutes façons il avait le temps de terminer avant le grand Jour. Encore plusieur mois avant l'Arrivée. 

Il avait le temps ? Vraiment ? Il repensa à son rêve et à ce grondement lointain qui l'avait réveillé. Un rêve. Juste un rêve. Mais il se leva quand même et monta l'escalier vers le balcon. Il habitait comme de juste la tour la plus haute de la ville et son balcon en était le point dominant. Normal, pour le Guetteur. Depuis des générations, depuis l'aube des temps même.

Il se tint là quelques minutes, face à l'Ouest, le soleil juste dans le dos. Il prit une longue inspiration et se concentra comme il le faisait plusieurs fois par jour, focalisant tous ses sens vers ses oreilles. Hier soir il n'avait rien perçu. Et ce matin, il crut quelques instants qu'il en irait de même aujourd'hui, que ce n'était qu'un rêve. Mais ce n'était pas un rêve. Il ressentit le grondement au plus profond de son ventre. 

La Vague arrivait. La Grande Vague, pas une de ses répliques anodines. Son grondement était impossible à confondre avec ses petites sœurs, même d'aussi loin. Elle serait là bientôt. Et il savait même exactement quand elle serait ici. C'était inéluctable. Dans trois jours, elle arriverait au Niveau Critique. Puis elle resterait au-dessus trois jours complets avant de poursuivre son chemin et de redescendre. 

Trois jours, se dit-il. Quelle catastrophe ! Il n'était pas prêt. 

Il devait prévenir le Maire. C'était son devoir. En tant que Guetteur de père en fils, il connaissait parfaitement son devoir. Mais ce matin-là, il hésita. Et s'il n'y allait pas ? Après tout, il était encore jeune et son père n'était mort qu'après le dernier Passage. Juste après en fait. L'Histoire mentionnait quelques jeunes Guetteurs qui n'avaient pas su alerter à temps de l'arrivée de la Grande Vague. La Ville avait toujours survécu. En général, plusieurs personnes entendaient la vague le jour suivant et deux jours étaient en général suffisants pour se préparer. Pas de drame, donc, se dit-il. Puis il pensa à la Ligne. 

La Ligne ! La Ligne qui était la survie de la ville. La Ligne qui avait été endommagée lorsque son père avait été mortellement blessé, la dernière fois. Neuf mois déjà ? C'est impossible. Il regarda son calendrier. Huit mois et demi depuis que son père lui avait fait promettre sur son lit de mort, ici même, dans le lit où dormait sa femme, de réparer la Ligne avant le prochain Passage. 

Oh, une petite réparation, lui avait-il dit. Une semaine de travail tout au plus. Facile à faire. Lignéto avait dit oui à son père mourant, puis il avait pensé à autre chose. Une semaine de travail tous les neuf mois ? Un travail facile ! Puis il avait rencontré sa future femme et sa tête s'était vidée. 

Et nous y voilà maintenant, pensa-t-il. Une semaine de travail facile mais seulement trois jours avant le Niveau Critique. Que dois-je faire ?

Sa femme changea de position. Qu'elle était belle ! Ses cheveux tressés ensoleillaient son oreiller. Lignéto la regarda. Il eut envie de se glisser dans le lit avec elle. La Ligne n'était pas très endommagée. Peut-être tiendrait-elle ? Il fit un pas vers le lit, puis se figea. 

Et si la Ligne cédait ? C'est à ce moment qu'il comprit vraiment la responsabilité qui pesait sur lui. En tant que Guetteur il n'avait que deux obligations : prévenir le Maire dès que ses oreilles percevaient le grondement de la Grande Vague, et s'assurer que la Ligne était en parfait état. 

Il s'ébroua. Au moins il pouvait prévenir le Maire et commencer les réparations. Il s'habilla et courut chez le Maire. 

Celui-ci prenait son thé sur son balcon. Quand il vit Lignéto monter les escaliers en courant, il comprit.

- La Grande Vague arrive ? demanda le Maire
- Oui Monsieur, réussit à articuler un Lignéto essoufflé
- Tu es sûr ? Cela semble tôt cette fois... C'est bizarre. 
- Oui Monsieur, certain. 
- Bon, je m'occupe de tout. La Ligne est en parfait état, naturellement ? Les yeux du Maire était fixés sur ceux du Guetteur. 
- Oui Monsieur, évidemment, articula avec peine Lignéto. 

Le Maire le regarda encore quelques instants. "Va vérifier quand même, on ne sait jamais. Ton père était un bon Guetteur. Je suis certain que tu seras à sa hauteur, tu sais que notre ville est la dernière ? Merci à toi". 

Lignéto ne put que hocher la tête. Il redescendit de la tour du Maire en courant encore plus vite qu'à son arrivée. La cloche commença à sonner avant qu'il arrive en bas. Le Maire ne perdait pas de temps, lui, pensa-t-il. 

Il ne mît que quelques minutes à arriver à la Salle de la Ligne, dans les caves les plus profondes de la ville, en son centre exact, mais déjà les habitants sortaient de chez eux pour préparer l'Arrivée de la Vague. Tous semblaient excités mais calmes, surtout les plus vieux. C'est en arrivant dans la Salle que Lignéto remarqua que la cloche sonnait plus longtemps. Le Maire avait décidé de sonner comme pour une Très Grande Vague. Peut-être se doutait-il de quelque chose pour la Ligne ?  A raison d'une Grande Vague tous les neuf mois à peu près, chacun savait ce qu'il avait à faire. Mais les Très Grandes Vagues étaient beaucoup plus rares. Cela demandait plus de préparatifs puisque le Niveau Critique pouvait être atteint pendant cinq ou six jours. 

Il ne fallut qu'un coup d'œil à Lignéto pour évaluer l'état de la Ligne. Elle pouvait résister à une Grande Vague en la raccourcissant un peu juste après l'endroit de l'accroc, mais elle serait alors trop courte pour une Très Grande Vague. Ou alors il fallait réparer l'accroc. Et cela prendrait une semaine. Un choix délicat et définitif. Si seulement il avait eu plus de temps...

Lignéto s'assit sur le banc du Guetteur, à côté du grand établi et mit la tête dans ses mains. C'est dans cette position que sa femme le trouva une heure après. 

Elle lui massa la nuque et cela le calma. Il la regarda dans les yeux, l'embrassa longuement et lui dit "j'ai du travail". Elle l'embrassa mais le regard qu'il lui lança la fit reculer. Elle comprit que quelque chose n'allait pas mais elle sut aussi qu'il avait besoin d'être seul. Elle était courageuse, la femme de Lignéto. Elle l'embrassa une dernière fois puis elle le laissa. Ce dernier baiser était mouillé de leurs larmes. Les mots étaient inutiles. 

Lignéto se mit au travail. Il allait réparer la Ligne jour et nuit. En espérant que cela passerait. Il ne pouvait prendre aucun risque. Pour la ville. Pour la planète entière. 

Pendant trois jours, Lignéto travailla dur. Sa femme lui apportait des repas régulièrement et leurs baisers étaient toujours mouillés de pleurs. Elle lui rapportait aussi  quelques nouvelles :

Le Maire était très actif et harcelait tout le monde. Selon lui ce serait une Très Grande Vague et il fallait tout protéger. Les cultures étaient déterrées des pentes qui descendaient en aval de la ville afin d'en sauver le maximum pour la prochaine saison. Les animaux étaient parqués dans les enclos au dessus du pont principal. Les bateaux étaient attachés solidement autour des lianes qui serviraient à aller vers les autres villes. Le cabestan principal était huilé pour dérouler la Ligne et la ré-enrouler ensuite. 

Le matin du troisième jour, Lignéto n'avait pas fini. Presque, mais pas encore. Sa femme lui dit qu'effectivement c'était une Très Grande Vague, plus grande même que la dernière avant leur naissance. On voyait déjà au loin approcher les villes nomades, flottant sur la Vague. C'était très impressionnant, ne voulait-il pas venir voir ? 

Il dût dire non, il avait encore du travail. Mais il imaginait le spectacle en tressant les brins de la Ligne. Depuis que leur ville était la dernière, c'était à chaque fois la même chose. Les villes nomades qui flottaient sur la Grande Vague se rapprochaient de leur ville à chaque Passage. C'était le seul moment où elles pouvaient échanger avec leur ville. Du troc, des habitants, et surtout l'accès à la vraie terre et aux algues. A l'époque où la planète comportait des dizaines de vraies villes, c'était beaucoup plus diffus et leur ville n'avait jamais été l'une des plus actives, il n'y avait que quelques villes nomades près d'eux. Mais dorénavant c'était la seule ville fixe. Toutes les autres avaient été détruites. Par des Très Grandes Vagues ou des Lignes défectueuses... Ou les deux. 

Leur planète était quand même étrange. L'homme avait dû faire appel à tout son génie pour y survivre. Un immense océan juste ponctué par ci par là de pointes rocheuses, d'anciens volcans en général, comme des petits boutons d'acné sur la peau parfaite d'une planète entièrement bleue. Les premiers hommes qui avaient essayé de se fixer sur ces pointes n'avaient pas survécu longtemps. Toutes les pointes passaient au moins trois jours sous l'eau à chaque Grande Vague, voire plus en cas de Très Grande Vague. Impossible de s'y fixer. Les hommes avaient donc construit des villes nomades flottantes, faisant le tour de la planète sur la crête douce de la Grande Vague, le meilleur moyen de ne pas être submergés par elle. Puis Lignéto, le premier du nom avait eu l'idée des Lignes. Pendant des dizaines d'années les hommes avaient récolté les algues très solides fixées aux pointes rocheuses et tissé des Lignes avec elles. Les campagnes de cueillettes étaient nécessairement courtes car tout était détruit à chaque Grande Vague mais ils réussirent. Le jour où la première ville nomade fut accrochée à une pointe avec une longueur de Ligne suffisante pour y rester attachée après le Passage fut l'aube de l'humanité. Les villes fixes se développèrent partout où c'était possible et personne ne manquait de rien. Il suffisait de laisser flotter la ville quelques jours et de la ramener ensuite à sa place, comme des bouchons attachés à une ficelle, jouets de la Grande Vague. 

Lignéto n'avait jamais compris pourquoi la situation avait commencé à se dégrader les derniers siècles. Mais c'était un fait. L'homme s'était laissé aller et aujourd'hui un homme comme le premier Lignéto était inimaginable. Plus personne n'essayait de se raccrocher aux pitons où restaient pourtant souvent des restes de Lignes. Certains des habitants de sa ville souhaitaient même devenir nomades et de plus en plus  quittaient la ville à chaque rencontre avec une ville flottante. 

Lignéto avançait mécaniquement dans sa tâche. Il ne savait plus où il en était. Il tressait comme un zombie. Il ne survivait qu'en pensant à sa femme. La lumière baissa d'un coup. Il leva les yeux surpris. C'était l'ombre de quelqu'un. Il cligna des yeux. 

- Bonsoir Lignéto, lui dit le Maire. Tout est prêt ? Le Niveau Critique sera atteint dans une heure. 
- Euh... Une heure ? bredouilla Lignéto
- Oui, une heure. J'ai besoin de savoir. La Ligne tiendra-t-elle ou dois-je sonner l'alarme ?
- L'alarme, Monsieur ?
- Oui, Lignéto. Tu sais bien que certaines villes ont coulé lorsque leur Ligne a cédé. C'est un risque, non ?

Lignéto ne dit rien. Il avait oublié ce risque. Il regarda son épissure. Elle était parfaite. Rien ne la distinguait du reste de la Ligne. Elle semblait même plus solide. Et elle avait été tellement plus simple à tisser... A côté de lui, des mètres et des mètres de cette ligne simplifiée étaient soigneusement enroulés. Ils étaient si fins, et pourtant ils avaient l'air tellement plus solides. 

- Oui Monsieur, la Ligne tiendra, répondit Lignéto. 

Le Maire le regarda droit dans les yeux, sourit, hocha la tête et partit. 

La Ligne tint bon. Cette nuit-là Lignéto et sa femme firent l'amour comme jamais. Neuf mois après, un nouveau petit Lignéto naquit. Et douze villes s'accrochèrent à sa ville lors du Passage suivant. Avec les nouvelles Lignes inventées par notre Guetteur. Des lignes à la fois solides et faciles à tisser en utilisant très peu d'algues. Douze ans après, toutes les pointes rocheuses avaient été reconquises et des Lignes en reliaient déjà certaines parmi les plus proches. 

Lignéto monta sur son balcon ce matin-là, avec sa femme et son fils de douze ans. "Tends l'oreille, mon fils. Tu entends quelque chose ?" Son fils le regarda, se concentra. Puis il dit "Un grondement. C'est quoi papa ?"  Lignéto lui sourit et embrassa sa femme. Qu'elle était belle avec ses cheveux tressés ainsi...

samedi 27 août 2016

Les derniers feux de l'été

Dernier week-end de cet été. Éclairé et réchauffé par des rayons d'origines diverses. 

La canicule d'abord, comme en ce premier été de François en 2012. Bien heureux d'être ici en Normandie plutôt qu'à Paris car le temps y est un plus frais. Ici, pas d'alerte à la pollution pour cet été tardif qui sera de plus en plus la norme avec le changement climatique. Temps dangereux pour les vieux. Attention donc. Malheureusement, les vieux politiciens qui nous gouvernent ou qui veulent le faire sont protégés de la chaleur, eux, dans leurs berlines noires climatisées avec chauffeur et garde du corps. Ils ne risquent donc rien. Dommage. 

Les politiciens se sont étripés depuis quelques semaines sur le Burkini, le maillot de bain anti-coups de soleil et pro-canicule. Fausse tempête dans un verre d'eau de mer comme la France les aime tant en été. Le Conseil d'Etat a eu beau rappeler le droit en ne l'interdisant pas et en dénonçant les maires de droite qui l'interdisent, le Burkini devient un argument de campagne. Pauvre France où les politiciens lobotimisés et lepenisés se précipitent sur de tels faux symboles pour cliver et se faire mousser... Au moins, ça a un avantage, celui de faire le tri entre politiciens sensés et fous de Dieu (le même Dieu rappelons-le mais pas les mêmes fous). Retenons les noms de ceux qui sont intelligents et moraux et oublions les Sarkozy, Fillon et Valls. 

A Paris c'est un week-end sous surveillance : la procession annuelle de Ganesh et de Ganesha a lieu ce dimanche dans son triangle traditionnel en plein XVIIIème arrondissement, même si elle a dûe etre raccourcie "par sécurité" ; Rock en Seine accueille ce WE le rock anglais et français dans la moiteur de la nuit ; la baignade dans le bassin de la Villette sera très courue aussi ce dimanche, avec quantité de CRS pour la surveiller, en maillots de bain et tenue de plongée comme sur les plages - y aura-t-il des provocateurs en Burkini ? 

Et avec tout ça, les routes seront pleines de bouchons pollueurs, d'enfants pleureurs parce qu'il n'y a pas de wifi sur les autoroutes, de parents énervés et de CRS avides de remplir leur quota mensuel de PV. OH joie !

Oui, vraiment, les dernier feux de l'été. 
Back to normal. 

vendredi 26 août 2016

Honfleur différent

Petite visite de Honfleur. Une visite autre. Mais c'est toujours Honfleur. Même si à certains moments on dirait plutôt Honfleurland. Temps idéal pour quelques photos, loin de la canicule parisienne. 


Honfleur c'est la ville d'Alphonse Allais (de la mer, évidemment)


Mais aussi là où Satie est né. Maisons biscornues mais jolies comme sa musique


Pour venir ici, il faut une houature


Et ne pas oublier de sortir avant le pont de Normandie


Ensuite, une fois arrivé, il faut se garer dans un parking moderne et équipé (4€/jour)


Juste à côté de la grande roue estivale au milieu de rien
 

C'est un port donc baignade interdite


Et même plongeon si j'interprète bien ce logo bizarre


Il y a des bateaux promenade


Des bateaux normaux


Et des bateaux de pêcheurs, petits et gros


La lieutenance ancienne est un monument historique désaffecté 

Mais qui reste très beau


Et présent sur plein de souvenirs sucrés ou salés


A Honfleur les maisons sont étroites et hautes, mais pas qu'elles...


Et pleines de fleurs sur l'ardoise


L'église Sainte-Catherine a une voûte superbe de nef


Et des orgues très belles


Un clocher séparé aussi, comme en Italie


C'est une ville d'histoire artistique dans plusieurs registres (d'orgue)


Où les architectures ne se ressemblent pas toutes


Et où les toits en bois sont assemblés avec précision


Même au détour d'une venelle


Quoique, certains soient un peu vieillots


Il y a tellement de pièges à touristes


Qu'on y attrape même des motards normands genre Camembert Angels


Et des Pokémon (sur la voie Poképompiers)


Certaines terrasses ont des goûts douteux pour leurs fauteuils mais au moins il y a de l'ombre pour les petits chiens


Pour les gros chiens, il y a des sorcières aux ongles terribles. Attention !


Heureusement il y a de quoi manger, du sucré


Et du salé


Sans oublier les livreurs locaux


Gaffe au objets d'art douteux, à base de chien (si,si)


De chat


Ou de fleurs


Le pharmacien du coin a les chevilles très enflées


Et il y a les pêcheurs. Morts ou


Vivants et en catamaran


Le vieux port s'ouvre sur l'estuaire


Le Pont de Normandie


Et les jolies raffineries du Havre (au loin)


Avec heureusement quelques Pokémon d'eau

Pour ceux qui ne connaissent pas, une photo touristique, iconique et normale de Honfleur. Il en faut aussi, n'est-ce pas ?