dimanche 14 juin 2015

Du temps de cerveau pour... une nouvelle nuit entre six

Le congrès des animaux était réuni en ce beau jour de printemps
Comme à chaque million d’années depuis l’apparition de la vie sur la Terre.

C’était un congrès assez rare donc; mais tous les rois des animaux tenaient à faire le déplacement,
car c’était un très bon moyen pour reprendre contact avec des espèces éloignées, déplorer les espèces disparues et se féliciter de l’apparition de nouvelles branches de la Vie.

Après avoir papoté pendant quelques heures et admiré leurs nouvelles peaux, les rois se réunirent pour passer aux choses sérieuses. Ce jour-là il avait été en effet décidé de transformer une espèce existante, encore jeune, pour en faire un doudou pour les enfants animaux. Depuis quelques millions d’années en effet, de plus en plus de bébés animaux se plaignaient de ne pas avoir de jouet tout doux avec qui s’amuser. Et les parents avaient commencé à se plaindre auprès des rois, qui étaient eux-mêmes des parents. C’est pourquoi ce sujet avait été choisi pour ce congrès. Et comme la convocation le mentionnait, chaque espèce avait déjà pu réfléchir au sujet avant le congrès.

La discussion fut assez rapide. Il fut d’abord convenu qu’aucune des espèces présentes ne pourrait fournir le modèle du futur doudou. C’aurait été infamant pour un poisson par exemple de devenir le doudou d’un oiseau - et dangereux par-dessus tout. Les animaux avaient déjà tous un vrai sentiment de fierté pour leur espèce et aucun n’aurait accepté de déchoir en devenant le doudou des autres.

Il s’agissait donc de trouver une espèce encore balbutiante, pas représentée ici, ou si peu. Il y aurait le temps, avant le prochain congrès dans un million d’années de la faire évoluer pour la transformer en un parfait doudou, sans aucune protestation. Ensuite, il serait trop tard pour eux de protester. Le vote fut unanime sur ce point.

Parmi les jeunes espèces, il fallait répondre à certains critères pour pouvoir devenir le doudou à la fois sur terre, dans l’eau, dans les airs, mais aussi dans le froid ou le chaud et quel que soit le climat. La situation se compliquait, mais heureusement le roi des singes prit la parole et proposa une espèce bâtarde de singes dégénérés, à peine capables de se nourrir. Il n’avait pas le sentiment de se sacrifier ou de se diminuer devant les autres animaux, car de toutes façons si on ne faisait rien, cette espèce aurait rapidement disparu. Ils commençaient tout juste à se tenir debout d’ailleurs. Debout ? Tous les animaux rigolèrent. Debout ? Mais à quoi donc ça pouvait servir ?

Le roi des singes d’esclaffa plus fort que les autres. C’était juste un signe de plus qui prouvait que c’était une espèce condamnée. Le congrès décida donc de choisir cette espèce comme doudou et le tour de table s’engagea. Chacun voulait ajouter une caractéristique utile afin d’obtenir le doudou idéal pour lui. La discussion dura toute la nuit, mais au petit matin le président de séance, le lion, le roi des fauves, annonça le bilan.

Le futur doudou devrait avoir deux petits yeux pour ne pas faire peur aux enfants de beaucoup d’espèces ; il devrait avoir des poils sur la tête pour qu’on puisse les colorer de plein de manières possibles et les sculpter à l’envi ; puisqu’il se tiendrait la plupart du temps debout, il faudrait des points où on pourrait accrocher des ficelles pour en faire une marionnette, donc des os avec des trous, des oreilles rondes, et des doigts aux pattes ; les poissons avaient exigé qu’il puisse aller dans l’eau mais sans pouvoir respirer dessous pour ne pas embêter les enfants-poissons qui dorment ; les oiseaux voulaient qu’ils ne soient pas trop lourds pour qu’on puisse les soulever facilement et les laisser retomber par terre pour voir comment ils se cassaient ; les fauves voulaient qu’ils soient bien musclés pour avoir des choses à manger, après que les enfants aient fini de jouer ; les gazelles exigèrent qu’ils courent moins vite qu’elles pour que les fauves puissent les attraper d’abord pendant que les enfants-gazelles s’échappaient ; les lézards avaient exigé que leur queue ne repousse pas et comme ils descendaient des dinosaures - une espèce respectée de tous et disparue trop tôt - on les écoutait avec attention ; c’est également à cause des reptiliens que les doudous devaient pouvoir changer de couleur de peau et avoir des yeux de toutes les nuances ; les ours polaires voulaient que les hommes soient grands mais comme les pandas voulaient qu’ils soient petits, on transigea sur une taille moyenne.

Le roi des singes insista pour que l’on ne puisse absolument pas comparer ces doudous avec les singes - une histoire de dignité simiesque, dit-il - et il les empêcha d’être trop habiles avec leurs membres, surtout dans les arbres. Les insectes de leur côté insistèrent sur les multiples trous et plis qui devaient être accessibles sur les corps des doudous pour le plus grand amusement de leurs bébés, comme dans de grands parcs d’amusement, des Insectlands. Les araignées posèrent un problème : elles voulaient pouvoir faire peur aux doudous car elles adoraient entendre les cris de joie de leurs bambins araignées, mais les autres animaux ne voulaient pas non plus qu’ils soient trop peureux. C’est pourquoi, les animaux décidèrent de diviser l’espèce en mâles et en femelles et de n’ajouter la peur des araignées que dans l’un des deux sexes. En plus c’était pratique pour la reproduction, car ils avaient également décidé que ces doudous s’abîmeraient facilement et qu’il fallait pouvoir en changer souvent, ce qui supposait un taux de natalité assez impressionnant. Mais pas autant que les lapins, car ils avaient protesté.

Devant cette liste édifiante de modifications à apporter aux futurs doudous, le congrès des animaux convint qu’il faudrait peut-être un peu plus de temps qu’un million d’années pour y arriver. Mais on avait le temps et comme cela, au prochain congrès, on pourrait juger du bon avancement des travaux. Les rats furent chargés de mettre en application ces transformations, car ils étaient les plus intelligents de toutes les espèces et avaient milité pour que ces doudous aient un peu d’intelligence - oh pas autant qu’eux évidemment, mais quand même, car cela permettrait à leurs enfants d’inventer des jeux et des labyrinthes toujours plus complexes.

La fête finale du congrès fut une vraie réussite et le banquet également, sauf pour les quelques espèces qui avaient été tirées au sort pour fournir de la nourriture aux autres. Tout le monde se quitta avec de grandes accolades - dont certaines finirent mal, comme celle entre le python et l’hypertaupe, une espèce aujourd’hui disparue.

Et tous les animaux se frottaient les pattes ou leurs équivalents en regagnant leurs foyers. Cela avait été un congrès vraiment remarquable.

Malheureusement, ce fut le dernier congrès des animaux. Car un million d’années après, l’homme-doudou avait détruit la planète, éradiqué toutes les espèces sauvages d’animaux et complètement oublié son rôle dans l’affaire. Une planète peuplée de doudous, c’est absurde, non ?

Il ne suffit pas d’empiler des qualités pour avoir un être parfait.


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