dimanche 21 juin 2015

Du temps de cerveau pour... Une nouvelle nuit de tant de nuits

Hermopolis Parva, samedi 10h

J'aime bien revenir ici. On est plus tranquille que sur les grands chantiers archéologiques prês des sites importants. Ici c'est un village pas très différent de ce qu'il devait être à l'époque des derniers pharaons, avec juste quelques bâtiments modernes à la gloire de l'Egypte nouvelle, et qui tombent en ruines plus vite que les bâtiments anciens. Il ne s'est jamais rien passé d'important dans ce village, pourtant bien placé, à la limite du delta du Nil et du désert, sur la branche qui relie Alexandrie à Memphis. Pas d'invasion violente, pas de guerre brutale, pas de tombeau à piller, pas de temple précieux. 

Mon ami Moustapha est l'un des meilleurs spécialistes de l'Egypte ancienne que je connaisse. Il est à la retraite maintenant mais sa propriété est belle et grande et c'est toujours un grand plaisir de venir le voir et de discuter des jours entiers avec lui. Comme moi, il connaît beaucoup de langues anciennes et nous avonS le sentiment de faire partie d'un club très prové en parlant araméen ou grec ancien entre nous. Son jardin est extraordinaire. Avec le temps il a même réussi à l'agrandir et , par privilège spécial, à y intégrer une petite maison ancienne encore debout. Nous aimons à y prendre un thé, au frais. Il a même aménagé à côté un petit carré de fouilles pour moi. J'adore fouiller, il le sait, et même sans espoir et pendant mes vacances, je ne conçois pas de jour sans mettre mes mains dans le sable a la recherche de tout et n'importe quoi. Ici, dans ce jardin perdu, je ne cherche rien de spécial. Je creuse juste pour le plaisir de creuser. Moustapha me regarde avec un air paternel. Je n'ai jamais réussi à deviner son âge. Lui n'aime pas creuser, il préfère les livres et les manuscrits anciens. Il a une petite bibliothèque mais toujours pleine de manuscrits fascinants.

Il est 10 heures du matin, donc. Je termine de creuser car il commence à faire très chaud et je rejoins Moustapha dans la pièce unique de la petite maison ancienne. Il est assis à la table. Le thé est prêt. Il connaît bien mes habitudes. Mais ce matin, Moustapha me regarde bizarrement. Il est en nage et se yeux sont plus ouverts que d'habitude, comme hallucinés. Je le regarde un instant et lui demande s'il va bien, s'il ne veut pas rentrer au frais dans la grande maison. A-t-il besoin d'un docteur ? Moustapha me regarde fixement, comme s'il m'évaluait. Puis il sourit et dit : "Oui, ça ira. Il est temps. A toi maintenant". Il vient de parler en araméen. Je le regarde sans comprendre. Il lève les deux mains et détache le pendentif qu'il porte toujours autour du cou. Puis il me le tend et dit : "Prends. Pour Alexandrie".

Je prends le pendentif. Je ne l'avais jamais vu d'aussi prês ni touché. Il est très ancien. On dirait une statuette ancienne sculptée dans une clé. Je suis en train de l'examiner quand j'entends un bruit. Je lève les yeux. Moustapha s'est écroulé sur la table. Je crie, je suis sur mes pieds en une seconde. Mais nous sommes seuls ici. Je ne sais pas combien de temps je mets à comprendre que Moustapha est mort, mais c'est très court. 

Mécaniquement j'enfile le pendentif autour de mon cou, puis je sors de la petite maison. En arrivant devant sa grande maison, je trouve son vieux serviteur sur le pas de la porte. Il me regarde, voit le pendentif et soupire. Il est encore plus vieux que Moistapha. Il s'incline devant moi et me salue comme je l'ai vu faire des dizaines de fois devant son maître. Puis il se dirige vers la petite maison. Je reste seul ici, perdu. Il vient de se passer quelque chose d'important mais je ne sais pas quoi. Pas encore.

Je m'assois sur le banc, sous le grand arbre, et j'attends. 

Le soleil est presque coiché lorsque je réalise que le vieux serviteur est devant moi. Il me tend un verre d'eau et m'invite à le suivre. J'entre dans la grande maison. Il me conduit dans la bibliothèque et me laisse. Je sais que Moustapha a été honoré comme il se doit. Je sais aussi que je n'ai jamais su sa religion. Ce ne sont pas des choses dont on parle ici, dans un endroit qui a vu passer tellement de civilisations. Je m'assois dans le siège de Moustapha, derrière son bureau. Il y a une enveloppe avec mon nom dessus. Je l'ouvre. Elle est en hiéroglyphes naturellement, comme la lettre qu'elle contient. Une lettre courte :

"Robert, utilise la clé avec parcimonie et n'abîme rien. La porte est dans la petite maison. Adieu, mon ami"

Je verse une larme. Il avait tout prévu semble-t-il. Je touche le pendentif. Il est froid. Beaucoup plus froid que tout à l'heure. Je regarde le soleil se coucher par la grande baie vitrée. Elle donne sur la petite maison, au loin. Une bougie brûle à travers l'unique fenêtre. Je me lève et sors. Le vieux serviteur est accroupi devant l'entrée. Il me sourit comme s'il m'encourageait. Je marche sour les étoiles naissantes et arrive devant la petite maison. La pièce unique est vide maintenant. Tout a été enlevé comme le veut la coutume dans la maison d'un mort. J'entre.

Je ne vois aucune porte. Je n'ai jamais d'ailleurs aucun souvenir de porte ici. Mais je vois un petit trou dans le mur. Il devait être caché par une tenture, auparavant. Je saisi le pendentif. Il est chaud. Oui, ça devrait aller. Je respire un grand coup et enfonce le pendentif dans ce qui ne peut être qu'une serrure, même si c'est au milieu d'un mur de torchis. Je tourne d'un quart de tour et une porte s'ouvre. Juste assez grande pour un homme. Je n'avais jamais réalisé que la petite maison comprenant un mur creux, une fausse cloison cachant un escalier qui descend en colimaçon. Une lampe torche moderne est accrochée à un clou. Je l'allume et je descends. La porte se referme derrière moi.

L'escalier est profond. Après ce qui me semble être plusieurs dizaines de mètres, j'arrive en bas devant une porte en bois, fermée par un simple loquet. Juste devant moi, une table et une chaise. Et une enveloppe avec mon nom dessus, en grec ancien cette fois. Je m'assois et lis la lettre. Elle est longue. Je reste un long moment assis là, la tête entre mes mains. Je relis la lettre. Je la relis encore. Puis je me lève et pousse la porte. J'entre. Je suis dans une salle immense, haute de plafond, et qui s'étend si loin que je n'en vois pas les bords. Elle est remplie d'étagères, elles-mêmes débordant de parchemins, de manuscrits, de rouleaux de papyrus. Ma lampe ne m'en montre à chaque fois qu'une infime partie. La bibliothèque d'Alexandrie a eu jusqu'à 700 000 volumes à son apogée. Moustapha me dit qu'il y en a ici plus d'un million. Cette bibliothèque secrète existe depuis plus de deux mille ans maintenant. Elle servait de réserve pour la bibliothèque d'Alexandrie, un peu plus bas sur le Nil. Personne n'en connaît son existence, sauf son gardien. Elle contient une copie exacte de la bibliothèque originale. Un trésor. Un rêve.

Un trésor, mais aussi un cauchemar et un danger effroyable pour toutes les civilisations actuelles, me dis-je. Comme tous les gardiens avant moi, je sais que l'Humanite n'est pas prête à accepter la vérité contenue dans ces documents anciens. Ils sont été déformés et trahis tellement de fois depuis leur création. Par toutes les religions, par tous les despotes au pouvoir. Il sera trop difficile pour eux d'être confrontés aux vrais paroles avant leur détournement par des fanatiques. Par leurs ancêtres et leurs maîtres.

Je viens de remonter. La nuit est noire maintenant, persillée d'étoiles. Je bois un thé devant la petite maisont. Un thé que le vieux serviteur m'a apporté avec déférence. Je suis le gardien dorénavant. Je comprends la responsabilité que cela représente. Le pendentif est tiède et calmant contre ma peau. Je vais devoir choisir quelques vérités contenues dans cette gigantesque source de savoir, pour les distiller a la face du monde. Mais si peu, si peu à la fois. Sans se faire remarquer. Comme depuis la création de cette bibliothèque miraculée, pendant que sa grande sœur était détruite et éliminée siècle après siècle. Un travail de fourmi. Un travail minutieux d'archéologue. 

Il faudra quand même que je trouve un remplaçant d'ici quelques siècles.

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    Dormir c'est toujours mourir un peu.
    Garder c'est toujours garder le mouvement.

    Cordialement

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