jeudi 11 juin 2015

Lobby viticole contre lobby hygiéniste

On est en France, pays historique du vin, où le lobby viticole est très puissant. Et le vote par la commission spéciale de l'Assemblée nationale de l'amendement issu du Sénat pour rétablir la possibilité de faire de l'information sur l'alcool ne va pas diminuer le poids de ce lobby. Lisez cet article de Challenges par exemple. Il est rigolo de voir que le lobby viticole ait défini son ennemi comme le lobby hygiéniste.

La santé publique est peu de choses quand elle s'oppose à un puissant lobby : alcool, tabac, OGM, pollution sont des sujets toujours délicats. Comme ces lobbys n'osent pas mettre des amendements dans les lois "santé" ils essayent de les glisser dans les textes plus économiques, comme la loi Macron en cours de nouvelle lecture à l'Assemblée par exemple. C'est une manière de jouer à cache-cache avec la morale publique. Les yeux dans les yeux et avec un grand sourire...

Cet amendement rend furieux la Ministre de la Santé, naturellement, mais aussi le gouvernement qui avait demandé à voter contre. Seulement, voilà, le lobby viticole traverse la droite et la gauche puisqu'il regroupe justement les élus des régions à vin. Et en cette époque de vaches maigres pour la majorité politique, il suffit de quelques voix déplacées pour faire basculer un texte. Sauf si cet amendement est dévoté ou contesté par le Conseil Constitutionnel comme n'ayant pas sa place dans un projet de loi généraliste, il sera donc permis de parler librement de l'alcool partout, dans les médias, les films, sans craindre de conséquences. C'était pourtant l'un des points forts de la loi Evin que d'interdire tout ce qui parlait en positif de l'alcool sous toutes ses formes. Le placement produit, comme on dit, est pourtant très fort dans beaucoup de médias qui jouent avec le feu et l'alcool pour placer des allusions à ces marchandises, contre rémunération évidemment.

Le problème principal est d'essayer de différencier pure publicité de communication "informationnelle". En continuant à interdire la première mais en permettant la deuxième, c'est une porte ouverte pour les formes modernes de publicité qui se déguisent en information : sur l'Internet par exemple, il y a les liens sponsorisés, les contenus éditoriaux mis en avant et payés en sous-main, les tests comparatifs et les nombreuses photos, genre selfie avec une bouteille bien visible... Les communicants sont autrement plus efficaces et rapides que les députés. En ouvrant cette porte, il ne reste plus beaucoup de messages qui ne passeront pas. Il serait temps que les vieux sénateurs et députés acceptent le fait que la publicité actuelle prend des formes bien différentes de la réclame de leur jeunesse, surtout en ligne. Il est loin le Dubo-Dubon-Dubonnet dans les tunnels du métro parisien.
Est-ce une publicité, une information, un dessin ou une étiquette de bouteille ?

Le problème également est de différencier le vin des autres alcools, sachant que les jeunes boivent plutôt d'autres alcools que le vin. Et les terroirs ne touchent pas que la production de vin parmi les boissons alcoolisées.

Au pays du vin, le débat fait surtout sourire. Dès qu'il sera publié on ajoutera ici des extraits du compte rendu officiel des débats de la nuit, histoire de mesurer ce que disent nos chers représentants élus. A suivre donc dans la journée. Les lobbies alcoolisés sont en forme en ce moment.

A suivre également dimanche, lors de l'inauguration par François de Vinexpo - à Bordeaux - la plus importante exposition au monde sur le vin... et lors du vote en séance publique à l'Assemblée, sauf si un 49-3 passe par là...

Article 62 ter (nouveau) après l'amendement incriminé :

L'article L. 3323-3 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Au début, sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« Est considérée comme propagande ou publicité, au sens du présent livre, une opération de communication effectuée en faveur d'un produit ou d'un service, relevant de l'activité d'une personne ayant un intérêt à la promotion dudit produit ou dudit service et susceptible d'être perçue comme un acte de promotion par un consommateur d'attention moyenne.
« Toute propagande ou publicité en faveur d'une boisson alcoolique ne doit pas inciter à un excès de consommation, en particulier chez les jeunes.
« La publicité ou la propagande est directe lorsqu'elle est effectuée en faveur d'une boisson alcoolique. » ;
2° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Après la seconde occurrence du mot : « publicité », il est inséré le mot : « effectuée » ;
b) Après le mot : « rappelle », sont insérés les mots : « effectivement ou a pour but de rappeler » ;
3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Seuls les éléments de la publicité consacrée à un organisme, un service, une activité, un article autre qu'une boisson alcoolique qui rappellent effectivement ou ont pour but de rappeler une boisson alcoolique doivent être conformes à l'article L. 3323-4 du présent code. »
Edifiant, non ? Sachant que l'article 62 initial parle de publicités lumineuses, numériques ou non ;)

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