mercredi 17 juin 2015

Une oeuvre d'art a-t-elle toujours un sens ? Un corrigé

Comme chaque année, essayons-nous à un sujet de philo du Bac. Section S cette année avec l’un des trois sujets. Comme l’année dernière sur l’art. Un exercice personnel, évidemment, comme toute copie. En trente minutes. A compléter par quelques citations qui apportent du sens, évidemment. Puisqu’on est en Bac scientifique, il faut du Kant, avec sa vision formaliste de l’Art, et de l’importance des formes. Peut-être un peu d’Aristote pour faire opposition en parlant d’imitation, puisque l’imitation ne peut alors qu’imiter le sens. Ou alors l’esthétisme d’Oscar Wilde, "La vie imite l’art, bien plus que l’art n’imite la vie », ce qui pose la question de « la vie a-t-elle toujours un sens ? ». Ne pas citer les Monty Python est peut-être un plus.

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On pourrait discuter de ce qu’est une oeuvre d’art ou de ce qu’elle n’est pas. Existe-t-elle en dehors de l’intention de l’artiste, du spectateur et de celui qui la met en scène ? L’histoire de l’Art est ponctuée d’oeuvres qui ne sont apparues que plus tard comme des oeuvres d’art, une fois discutées, commentées, intégrées ou rejetées, conceptualisées, sans même évoquer les oeuvres anonymes. Le réflexe de critiquer l’Art est vieux comme l’Art. On pourrait discuter du sens. Qu’est-ce que le sens que possède un objet. On ne parle pas du sens au sens physique du terme, quoique là également de nombreuses oeuvres ont fait perdre le sens de l’équilibre aux spectateurs : certaines ont été accrochées le bas en haut par des ignares, d’autres font exprès de détourner le sens physique pour que le spectateur s’interroge. Pour lui donner un sens en effet.

La question du sens se pose par rapport à la personne qui donne le sens. L’auteur, l’artiste, crée. Il a une intention. Cette intuition créatrice fait sens pour lui, par rapport à son histoire, aux tourments de son esprit créatif. Elle peut apparaitre comme déduite d’un sens passé, sa conséquence inévitable, ou au contraire comme une fulgurance qui ouvre une nouvelle porte et qui donne un sens à ce qui a été créé auparavant. Le sens que l’artiste donne à son oeuvre n’est pas toujours connu, ni par lui ni par les autres. Existe-t-il toujours ? Certains artistes ont prôné des démarches aléatoires pour créer leurs oeuvres, ou des approches surréalistes, comme l’écriture automatique, afin de dépasser la réalité, le monde des sens évidents, pour aller dans celui des sens interdits ou simplement des sens en tous sens. Même Raymond Devos disait que cela n’a pas de sens. Mais l’artiste n’est pas le seul à donner du sens. Le spectateur en donne aussi en fonction de son vécu. Et le spectateur est rarement seul devant l’oeuvre. Il est venu à l’oeuvre car elle a été mise en scène par d’autres qui ont ajouté du sens à l’oeuvre. Leur sens. Une exposition sur un peintre, par exemple, ne donnera pas le même sens aux oeuvres présentées suivant l’approche adoptée par le conservateur responsable, et donc le sens qu’il aura voulu donner à l’exposition, sans parler du sens de la visite, obligatoire pour comprendre l’intention du conservateur, cet intermédiaire, cet entremetteur, ce catalyseur entre le spectateur et l’oeuvre.

Qu’il y ait sens ou pas, et quel que soit l’auteur de ce sens, ou même des différents sens empilés sur cette pauvre oeuvre d’art, riche de tout le talent de son auteur, la question est de savoir si ce sens est visible. Avoir ou ne pas avoir du sens, telle est la question. Et le fait de parler d’une obligation - en utilisant le mot toujours - pose une vraie question. Il est possible de toujours chercher du sens à n’importe quoi. Et souvent possible d’en trouver a posteriori, par des raisonnements plus ou moins scientifiques ou fumeux. Mais la propriété intrinsèque pour une oeuvre d’art d’avoir du sens ne se mesure pas en fonction de ceux qui lui donnent ce sens. Finalement, c’est bien indépendamment de l’auteur du sens qu’on peut juger si un sens existe toujours. Or il semble que le sens ne peut pas exister dans l’absolu, mais qu’il est relatif, et que le poids de l’auteur du sens est incontournable. Le poids des auteurs des différents sens qui s’accumulent, donnent un sens global, de plus en plus riche à chaque couche. Les tableaux à énigmes, à sens caché sont nombreux. Ils ont donc plusieurs sens, suivant le type de public auxquels ils s’adressent. Inversement un recueil de poèmes comme les « cent mille milliards de poèmes » de Raymond Queneau est incontestablement une oeuvre d’art, de par sa construction rigoureuse et sa méthode « potentielle » qui permet de produire un nombre inhumain de poèmes. Chacun de ces poèmes a du sens, ou en tous cas on peut lui en trouver un, alors même qu’il y a de grandes chances pour que le lecteur soit le seul au monde à lire ce sonnet précis.

Alors, oui, une oeuvre d’art a toujours un sens. Qu’on le découvre ou pas, qu’on en ajoute d’autres, qu’on refuse de le voir ou qu’on décide qu’elle ne nous plaît pas, la conclusion est la même. Et pourtant. Est-ce pour cela qu’on aime une oeuvre d’art ? Qu’on est séduit par elle ? Que l’on réagit face à elle de manière irrationnelle face à sa beauté ou aux émotions qu’elle évoque en nous. Le coeur a ses raisons et n’a pas besoin de sens. Mais l’Homme recherche le sens. Peut-être est-ce pour cela qu’il a investi le domaine de l’Art et qu’il en a besoin. Pour lui apporter ce sens, caché ou non, dont l’Homme a besoin et qu’il recherche, toujours.

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