dimanche 2 août 2015

Du temps de cerveau pour... une nouvelle sonnante de Lermont - 3

Lermont était assis dans l’herbe en face d’elle. Et elle emplissait son champ de vision. Elle était pourtant si loin de lui. Leurs genoux ne se touchaient pas. Il ne s’effleuraient même pas, mais la distance entre ces genoux était si petite que l’écureuil n’aurait pu y glisser une noisette. Il ne s’y serait pas risqué d’ailleurs, ces deux-là dégageaient comme des étincelles, et la zone entre leurs genoux était si pleine de vibrations que l’écureuil n’était pas certain de pouvoir s’en tirer s’il se glissait par là.

Le temps stait suspendu autour de cette rencontre. Comme toutes les rencontres extraordinaires, toute notion du temps avait disparu et nos deux personnages étaient assis l’un en face de l’autre sans se rendre compte du temps qui passait et de l’angoisse qui montait chez l’écureuil et chez les lecteurs. L’écureuil fut le premier à s’ébrouer. Il regarda sa noisette. Ou plutôt l’absence de noisette. C’était bien la première fois qu’il finissait une noisette sans s’en rendre compte. Il devait en parler à sa compagne. Sa compagne ? Pourquoi pensait-il à elle ? Elle ne devait pas être loin, se dit-il. Il fallait la retrouver. Vite. Lui raconter et partager avec elle ce moment si étrange. Elle aurait certainement du mal à le croire et se moquerait de lui. A moins qu’elle ne remarque cet éclat dans ses yeux couleur noisette. Un éclat qu’il savait être là.

L’écureuil se retourna et partit rapidement dans la direction où il savait qu’elle se trouvait. Elle lui manquait tant, maintenant. C’est à ce moment qu’il écrasa, ô très légèrement, une feuille.

Et le temps se remit à s’écouler comme si ce léger craquement avait fissuré la bulle d’éternité qui s’était installée dans cette petite clairière au bord de l’eau. Les yeux de Lermont étaient rivés dans ceux de la femme. Elle sourit toujours, doucement et d’un air interrogatif comme si elle attendait de voir ce qu’il allait faire. Un sourire mutin aussi. Mais gentil et sans moquerie. Un sourire comme Lermont avait rêvé d’en voir sur les lèvres de sa femme idéale, sans savoir que c’était ce sourire là, justement, qu’il avait espéré toute sa vie.

Lermont était courageux, mine de rien. Il essaya de se reprendre et surtout de parler.

- Vous me connaissez ? coassa-t-il. Sa voix était étrange, comme cassée ou même comme si c’était la première fois qu’il parlait et comme s’il n’arrivait pas encore à contrôler sa gorge.
- Vous êtes Lermont, je le sais. Mais non, je ne vous connais pas... encore, dit-elle d’une voix qui n’avait pas changé d’une épaisseur de drap de satin depuis tout-à-l’heure.
- Et comment savez-vous que je suis Lermont ? réussit-il à articuler d’une voix un peu moins rauque.
- Vous me l’avez confirmé il y a quelques instants, lui sourit-elle de toutes ses dents. Son petit éclat de rire laissa entrevoir un bout de langue et des dents blanches. C’était un vrai petit rire. Ses yeux avaient pris un éclat intense et même de petites fossettes apparurent sur ses joues.

Lermont sentit brutalement que la situation lui échappait. Il savait qu’il vivait une rencontre, mais les choses ne se passaient pas comme d’habitude. Ce n’était pas lui qui avait le contrôle cette fois.

- Merci, dit-il en souriant aussi, avec un grand sourire franc et qu’il savait irrésistible, comme s’il voulait reprendre du terrain. Mais comment connaissiez-vous mon nom, Lermont, avant ?
- Mais chez nous, tout le monde connait Lermont, lui répondit-elle avec un haussement de sourcil, comme surprise par une évidence si énorme.
- Chez vous ? C’est où chez vous ?
- Chez nous ? C’est ici évidemment. Et elle pointa un doigt droit sur son coeur.

Lermont faillit reculer. Mais l’ongle était si beau qu’il resta paralysé. L’ongle et son vernis rouge sang était posé sur sa poitrine. Sa chemise aurait pu ne pas exister tellement il sentait cet ongle contre lui. Même sa peau semblait avoir disparu. Ce doigt semblait le pénétrer de part en part. Il regardait l’ongle. Le doigt vibrait doucement. Le doigt était fin et élancé. Comme les autres d’ailleurs. Comme sa main, comme son bras qu’il découvrait maintenant, nu et galbé, scintillant doucement. Il la vit soudain en entier. Elle était belle. Evidemment se dit-il, je rencontre toujours des femmes jolies. Mais elle était belle, cette femme-ci, surtout si proche de lui. Sa robe lui sembla fine comme un courant d’air, légère comme son souffle. Son souffle à elle, car le sien était subitement devenu très lourd. Il sentait une chaleur dans sa poitrine qui se diffusait lentement dans son corps. La chaleur d’enroula autour de son sexe. Naturellement, se dit-il. Il se connaissait bien. Mais à sa grande surprise la chaleur se répartit partout et son sexe ne fut plus qu’une île dans un archipel de plaisir. Et pas la plus grande des îles de toute évidence.

Lermont se sentait bien, mais il ne comprenait toujours pas. Il n’avait jamais rien compris d’ailleurs, mais il essayait toujours. Il essaya donc encore une fois.

- Et vous, vous vous appelez-comment ? demanda-t-il d’une voix enfin naturelle.
- Comment voudriez-vous que je m’appelle ? dit-elle en le fixant dans les yeux. Ses prunelles brillaient maintenant.
- Je ne sais pas. Votre vrai prénom, je suppose.
- Vous supposez ?
- Enfin oui, balbutia-t-il, pourquoi vous appellerais-je d’un autre nom que le vôtre ? Lermont se mordilla la lèvre. Ils se connaissaient à peine et déjà une dispute ? Que se passait-il ?

Elle rit aux éclats. Lermont la regarda, surpris. Mais son rire était communicatif. Il sourit. Puis il rit aussi. Et leurs deux rires combinés montèrent dans la nuit maintenant tombée. Au loin l’écureuil et sa compagne s’embrassèrent. L’eau du lac se rida comme si une (jolie) pierre était tombée dedans à l’endroits où ils se tenaient, pourtant en-dehors de l’eau. Le vent souleva légèrement le bas de sa robe et elle posa sa main dessus. La main qui avait touché son coeur, son âme même. Lermont riait toujours mais ce doigt qui l’empêchait de bouger ayant disparu il tomba littéralement vers elle. Et ses lèvres pleines d’éclats de bonheur touchèrent les siennes.

Instantanément la chaude douceur de sa bouche occupa tout son univers. Il s’embrassèrent si longtemps que l’Univers eut le temps de mourir et de renaître cinq fois. Leurs peaux étaient aimantées, leurs lèvres électrisées, leurs langues fondues.

Lermont avait déjà embrassé beaucoup de femmes. Il se souvenait de tous ses premiers baisers. Tous avaient été bouleversants, comme des rencontres intimes, plus intimes encore que ce qui viendrait après. Mais celui-ci lui fit perdre la tête. Il n’avait déjà plus beaucoup de logique depuis la première fois qu’il l’avait vue, sur ce banc. Mais là, tout s’envola. Il ne restait en Lermont plus de cerveau, plus de nerfs, plus de neurones. Juste une sensation totale de plaisir et d’infinie douceur.

Leur baiser ne dura pas longtemps, à peine une heure d’après l’écureuil, mais quand ils se levèrent d’un commun accord et sans un mot - pourquoi parler quand on vit un tel moment - elle reprit son bras et il l’emmena. Ils marchaient sur un tapis de velours et de feuilles. Dans leur monde, les seuls bruits étaient ceux de la respiration de l’autre et le frôlement de leurs habits sur leurs peaux. Particulièrement, pour Lermont, le battement de son coeur qui l’emplissait d’une vibration à la fois galopante et si lente qu’il se demandait comment son coeur pouvait battre ainsi. Mais pour le reste du monde, écureuils compris, ils faisaient un raffût d’enfer. Le bruit des feuilles, puis le claquement des talons de la femme sur le pavé des rues fit se retourner un grand nombre de passants. Tous entendaient ce bruit et pourraient plus tard le décrire à leur conjoint en rentrant chez eux, mais aucun ne se souviendrait de l’apparence de ce couple. Juste qu’il était beau et de toute évidemment follement amoureux.

Lermont ne la guidait pas, il se laissait conduire. Elle l’emmena directement chez lui, dans son hotel, comme s’ils avaient toujours vécu là. Il ne fit même pas semblant d’être surpris. Elle le connaissait, c’était évident. Savoir comment ou pourquoi était une question pour son cerveau, mais celui-ci n’était toujours pas revenu. Il ne pensait qu’au moment présent et à l’attente avant de faire l’amour ensemble. Rien d’autre ne comptait pour lui. Son corps était empli d’elle.

En marchant il lui prit la main, posée sur son bras, et la baisa doucement. Elle se tourna vers lui et lui sourit. Il faillit louper une marche. Une marche ? Oui, une marche. Ils étaient arrivés en bas de son escalier. Déjà ? se dit-il. Il garda sa main dans la sienne et gravit les marches. La porte de sa chambre fut soudain devant lui.

Ils entrèrent.

A suivre... Mais pas avant le dernier dimanche d’août ;)

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