dimanche 16 août 2015

Du temps de cerveau pour... Une nouvelle Ville

Elle marchait dans la Ville. Elle marchait depuis midi exactement, l'heure où elle était sortie de chez elle.

La Ville était beau. Gris comme d'habitude, indubitablement gris, mais la Ville était si beau qu'il fallait se pincer â chaque pas pour y croire, qu'il fallait aspirer de grandes goulées d'air pour résister à la pression de toute cette beauté. La Ville était ancien et des générations de bâtiments s'étaient accumulées en son sein. Une harmonie évidente se dégageait de la Ville, depuis une éternité. Mais la Ville était gris. Plein de nuance de gris, mais du gris quand même. Un hymne au gris et à la richesse de cette palette de tons. Rien n'était blanc dans la Ville, ni noir. Mais tous les gris y passaient. La Ville était si gris que toutes les autre couleurs étaient inutiles, dérisoires. Elles n'existaient même pas d'ailleurs.

Elle ? Elle était belle, transfigurée. Hier encore elle se sentait quelconque, une parmi des milliers d'habitantes de la Ville. Une femme grise, évidemment, mais une femme sans trait spécial, plutôt boulotte, un peu triste et sans énergie. Elle était à l'image de tous les habitants de la Ville. Ils semblaient tous écrasés par cette Ville somptueux, omniprésent. Ils se déplaçaient tous sur les trottoirs de la ville comme des zombies allant d'un point à un autre, de leur domicile à leur travail dans une Ville dépourvu d'intérêt. Même leur sexualité semblait grise, gris comme la Ville.

Elle marchait et se souvenait. Hier encore elle était une femme sans éclat, en tous cas qui se croyait sans éclat. Et puis elle avait été choisie. Élue même. Personne ne savait comment la prétendante était choisie. Mais tous savaient qui était choisi. Instantanément. Comme chaque année à la même date, une prétendante était choisie dans la Ville, peut-être même par la ville lui-même. Allez savoir. Il n'y avait pas de signe annonciateur. Juste quelques heures pour se préparer.

Ce matin, elle s'était donc levée puis préparée pour cette mission considérée comme la plus importante dans la Ville. Elle avait passé la matinée à se faire la plus belle possible. Elle avait sorti ses plus beaux atours, que chaque femme de la Ville gardait précieusement dans son coffre, au cas où la Ville l'appellerait. Elle avait ajouté les bijoux rituels qu'elle avait reçu la veille au soir comme toute prétendante. Elle devrait les rendre à Minuit comme Cendrillon la bien-nommée, couleur de cendre elle aussi, comme la Ville lui-même, cendré et beau dans son drap satiné.

A midi, comme de coutume, elle était sortie et avait commencé à marcher dans la Ville. C'était la tradition. Elle était millénaire comme la Ville était ancien. Chaque année une prétendante était choisie et parcourait les rues de la Ville de midi à minuit. Personne ne savait plus à quoi servait cette promenade, mais jamais, ô jamais, une femme élue n'avait manqué à son devoir. Elle, elle se sentait fière d'avoir été choisie. Elle ne comprenait pas pourquoi c'était tombé sur elle, mais elle était prête à honorer la Ville, sa beauté, sa force et la protection qu'il apportait à tous ses habitants. En se faisant la plus belle possible, elle croyait ne faire que son devoir, que rendre hommage à la Ville, le plus beau, le plus bel endroit imaginable.

Objectivement, elle était très belle. Elle avait été comme transfigurée par cet amour subit pour la Ville. Elle disposait de douze heures pour parcourir ses artères, ses places, ses lieux secrets et ses points névralgiques. Douze heures, c'était bien insuffisant car la Ville était très étendu. Chaque année, à minuit, la prétendante s'écroulait épuisée. Puis le lendemain matin elle se réveillait nue dans son lit et la vie reprenait son cours dans la Ville. Pendant ces douze heures, en effet, tous les habitants sortaient de la Ville, pour aller à la plage. C'était le plus beau jour de l'année, toujours. Le temps était idéal pour se promener dans la Ville. Mais seule la prétendante était autorisée à partager l'intimité de la Ville, durant ces douze heures.

Elle marchait donc, seule, dans les rues de la Ville. Il devait être presque vingt heures. Elle était comme transfigurée. La Ville était à elle, à elle seule. Et elle était à la Ville, à lui seul.  Demain elle retrouverait les bras de son amant du moment, mais aujourd'hui elle était à la Ville, dans ses bras puissants et si réconfortants.

Elle arriva au carrefour des vents. C'était l'un des principaux de la Ville et elle le connaissait très bien. Il y avait douze avenues qui en partaient. Elle devait choisir son chemin et elle hésita un instant. Le but n'était pas de parcourir toute la Ville, c'aurait été impossible de toute façons tellement il était grand. Le but était de marcher jusqu'à minuit. La tradition était si forte, même inexpliquée, qu'il ne serait venu a l'idée de personne de la transgresser. Elle hésita donc, mais elle continua à marcher. 

Puis elle tourna la tête sur sa droite. Aucune raison à cela, mais elle tourna la tête. Il y avait un reflet dans une vitre. Dans un petit immeuble coincé entre deux grandes avenues. Un joli reflet blanchâtre. Pas blanc, entendez-moi bien, mais blanchâtre. Une nuance rare dans la Ville. Elle n'hésita plus et changea l'allure de son pas. Elle avait de fines jambes galbées et une démarche si fluide que son changement de direction fut doux et imperceptible. Pourtant, quelques secondes après, elle se dirigeait vers ce petit immeuble. Elle-même eut conscience de cette nouvelle destination, mais sa démarche continua à être fermé et déterminée.

Lorsqu'elle arriva devant le petit immeuble, elle n'hésita pas une seconde. Elle poussa la porte vitrée, la porte au reflet si attirant, et elle entra. Après un petit passage sombre, elle se retrouva dans un patio très lumineux. Une fontaine en occupait le centre. Une fontaine en marbre, douce et ronde. Elle s'assit sur le bord. La pierre était fraîche mais pas froide. Elle eut néanmoins un frisson. Elle avait le droit de s'asseoir de temps en temps, mais de toutes façons cette fontaine était irrésistible. Elle plongea sa main dans le bassin, l'eau était fraîche. Puis elle eut envie de boire. Soudainement. Impulsivement. Elle glissa sa main sous le filet d'eau qui tombait. Et le soleil sortit des nuages perpétuels derrière lesquels il était caché. Il sortit juste un peu, mais juste assez pour envoyer un rayon sur la fontaine.

Sur sa main, elle vit apparaître un arc-en-ciel. Tout petit. A peine la longueur d'un doigt. Mais un arc-en-ciel quand même. Elle n'en avait jamai vu masi le reconnut tout de suite pour ce qu'il était. 

Jamais personne n'en avait vu d'ailleurs dans la Ville. Pourquoi, ce jour là, avait-il fallu que le soleil sorte un instant et qu'elle mette ses doigts sous le filet d'eau au même moment ? Quelle en était la probabilité ? Elle regardait le petit arc-en-ciel bouger entre ses doigts. Elle se demandait combien de prétendantes avaient vécu ce moment là avec la Ville. Comme un acte d'amour complet et magique. Nous, nous connaissons bien la réponse, n'est-ce pas ? Elle était la premiere. Elle fut la seule. La Ville n'avait besoin que d'un seul arc-en-ciel pour renaître.

Elle releva la tête et ses doigts bougèrent, les couleurs quittèrent ses doigts pour inonder les murs autour d'elle. La couleur, les couleurs se propageaient à grande vitesse. Elle n'avait jamais vu de couleur. Personne dans la Ville n'en avait jamais vu. Elle resta quelque instants, incrédule. Elle n'avait jamais imaginé une telle beauté. Même sa robe avait changé. Elle était maintenant d'un blanc éclatant, aveuglant. Un blanc pur. Et devant elle, une petite porte ouverte permettait d'apercevoir un couloir noir. Noir comme jamais. 

Alors elle se leva. Elle entra avec sa robe blanche dans le couloir noir et la Ville lui fit l'amour.

Quand elle ressortit, la nuit était noire. Il était bien aprés minuit. Quelque chose avait changé. Tout avait changé. Pour elle bien sûr et pour la Ville, séduit par elle. Mais elle ne voyait pas vraiment quoi. Elle marchait sur le monde avec une douceur inconnue. Elle ne voyait rien autour d'elle. Et c'était tant mieux. Elle rentra chez elle et commença à se déshabiller. Mais elle était déjà nue. Depuis ce petit couloir noir. Elle sourit et se coucha.

Le lendemain, personne n'alla travailler. Tous admiraient la Ville, paré de toute les couleurs du monde. Tous ouvraient grands leur yeux à la Couleur. Tous s'émerveillaient. Personne ne se demandait comment ils avaient pu vivre avant sans la Couleur. C'était tellement beau et émouvant que tous leurs souvenirs étaient emportés dans un océan de couleurs. Avant, la Ville était beau. Maintenant la Ville était magnifique.

Elle se réveilla comme les autres. Elle se regarda dans la glace. Sa peau rose était presque translucide. Mais elle était rose. Elle s'habilla. Tous ses vêtements étaient colorés maintenant. Elle sortit et alla retrouver la Ville son amant, près de leur petite fontaine. Elle ne quitta plus jamais ce petit immeuble. La Ville rayonnait. Les couleurs s'approfondissaient d'heure en heure. Même le ciel se dégageait. 

Elle était maintenant assise sur la fontaine. Elle souriait. Elle respirait. La Ville aussi était heureux. Tous ses habitants le sentaient au fond de leur cœur. Mais elle, Elle, elle était Heureuse.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire