dimanche 23 août 2015

Du temps de cerveau pour... Une nouvelle labyrinthique

Igor était devant l'entrée du labyrinthe. 

Il jeta un dernier regard derrière lui. Il pouvait distinguer au loin le campement de son clan, bien à l'abri du soleil brûlant et des éventuelles conséquences de son entrée dans le labyrinthe. Son peuple était prudent. Il valait mieux d'ailleurs dans cette région. Tout pouvait arriver si vite, et en général c'était plutôt des catastrophes. Ils avaient beaucoup souffert, et Igor en particulier, pour réussir à se maintenir en vie. Le soleil était de plus en plus brûlant et la nourriture difficile à trouver. Ils croisaient de temps en temps d'autres clans, mais s'evitaient soigneusement. Les guerres entre clans avaient disparu depuis une éternité car toute leur énergie était consacrée à se maintenir en vie.

Igor était face à la porte du labyrinthe. La seule. Les legendes affirmaient que le labyrinthe apparaissait et disparaissait au gré de son humeur, mais qu'il ne comportait jamais qu'une seule porte. Et que cette porte ne restait jamais ouverte bien longtemps. Certains croyaient que le labyrinthe était un énorme animal, se déplaçant sur la surface du désert et ouvrant sa gueule pour attirer des hommes et les gober, car jamais personne n'en était ressorti. D'autres pensaient que le labyrinthe représentait le seul avenir de l'Humanite, décimée comme elle était. C'est pourquoi chaque clan désignait un homme parmi les plus forts pour entrer dans le labyrinthe au cas où ils le croiseraient. Il arrivait en effet que plusieurs générations passent sans que le labyrinthe apparaisse. 

Igor avait été désigné la veille. Son prédécesseur venait de mourir de vieillesse. Igor avait été très fier. La veille. Mais ce matin, avec le soleil qui se levait, le labyrinthe était apparu non loin de leur grotte. On aurait dit que la moitié de la Terre était devenue verdoyante. Et la porte était là, juste en face d'eux, au loin. Igor avait été fasciné par cette rencontre. Et il avait marché vers cette porte, nu comme le voulait la tradition. Le chemin qu'il avait suivi était encore visible dans le sable, une ligne parfaitement droite, sans aucune déviation, comme si une corde tendue l'avait attiré directement dans la gueule de l'animal.

Igor respira un grand coup et franchit la porte. Celle-ci se referma immédiatement derrière lui, comme les traditions le rapportaient. Igor était environné de vert. Des feuilles partout, des murs végétaux qui lui donnèrent le tournis, lui qui n'avait jamais vu que quelques feuilles cassantes sur de rares buissons. L'air était frais, presque humide et la température douce le fit frissonner. Il ne savait pas ce qu'il fallait chercher dans le labyrinthe, mais il s'y sentit bien tout de suite. Il était dans une sorte de petite prairie entourées de futaies, dans laquelle débouchaient au moins une dizaine de couloirs de verdure. Au milieu de cet espace se trouvait une petite colonne de pierre, à la bonne hauteur pour s'asseoir. 

Igor regarda la colonne. Elle vibrait doucement comme si elle l'appelait. Mais Igor s'ébroua. Il était trop tôt, il n'était pas fatigué et il devait faire quelque chose, maintenant qu'il avait pénétré le labyrinthe.  Il se dirigea vers un couloir au hasard et y entra. Les odeurs de feuillage l'enivrèrent tout de suite. Il avança lentement, caressant les feuilles de ses doigts. Le passage tournait et d'autres couloirs s'ouvraient. Il décida de ne pas suivre les conseils du chef du clan qui lui avait recommandé de toujours tourner à droite, ce qui selon lui devait l'amener à voir tout le labyrinthe. Igor était trop impatient pour écouter de tels conseils de vieux. Il marchait d'un couloir à un autre sans réfléchir. 

Il se rendit pourtant bientôt compte que chaque passage avait une couleur, une odeur, une texture différente. Même les bruissements des feuilles semblaient différents. Il sut que chaque passage devait avoir un goût unique, même s'il n'osait pas mordre dans ces feuillages inconnus. 

Il arriva dans une salle ronde, presque comme la première. Un carrefour. Au centre était un coussin énorme et qui semblait si voluptueux qu'il résista avec peine à l'envie dévorante de s'y enfoncer. Il regarda longtemps cet objet, légèrement rosé, puis il secoua la tête. Quelque chose ne lui plaisait pas et il se remit à marcher et à parcourir le labyrinthe.

Il marcha longtemps mais la lumière ne changeait pas, comme si le labyrinthe ne dépendait pas du soleil. Aucune fatigue ne l'atteignait. Pourtant, à chaque fois qu'il arrivait dans une salle du labyrinthe, quelque chose était toujours placé au centre du carrefour. Et à chaque fois il ressentait une très forte envie de s'y asseoir. Car tous ces objets étaient visiblement conçus pour se reposer. Ils étaient de toutes les formes, de toutes les tailles imaginables. La plupart étaient complètement inconnus d'Igor, mais il en avait vu certains dans un des vieux livres conservés par le clan. Il reconnut ainsi un canapé rouge et doré, un grand lit rond, un banc avec des lattes de bois vert bien régulières. Il reconnut un tabouret si haut qu'il se demanda longuement comment monter dessus. Il y avait des sièges pour le confort, d'autres pour le luxe. Certains semblaient avoir été conçus pour des corps très grands, très larges, alors que d'autres étaient ridiculement petits.

Mais aucun des sièges ne l'attirait suffisamment. Alors Igor continuait à arpenter le labyrinthe. Plusieurs fois il rebroussa chemin pour voir, mais il n'était jamais retombé dans la même salle.

Il suivait un passage particulièrement parfumé quand il arriva dans une nouvelle salle. Il sut tout de suite que c'était elle. Sa salle. Tous ses sens buvaient cette salle. L'odeur lui convenait parfaitement et le doux bruit des feuilles lui rappelait des souvenirs d'enfance qu'il croyait ensevelis. Au centre trônait une chaise. Une simple chaise entièrement en bois, ni grande ni petite, juste à sa taille. Il compta les passages, il y en avait douze, et il s'assit sur la chaise. Le chemin qui l'avait conduit ici avait été bien long, mais il ne se sentait toujours pas fatigué. Pourtant, une fois assis, il ferma les yeux une seconde.

Quand il les rouvrit, Igor n'était plus seul. Un grand nombre de femmes, toutes nues comme lui, remplissait la salle tout autour de lui. Il y en avait tant qu'il ne sut les compter ni même imaginer combien elles pouvaient être. Igor les regarda. Il y en avait de toutes sortes, de toutes tailles. Comme si le labyrinthe produisait toutes les femmes possibles. Il les regarda une à une. Aucune ne bougeait. Elles le regardaient toutes en souriant. Igor était jeune encore et timide. Il dut mettre, a main sur son sexe pour cacher son émoi. Plus Igor les regardait plus elles étaient belles. Comme si, parmi leur infinité, celles qui lui plaisaient se plaçaient devant ses yeux. C'était impossible. Chaque femme semblait différente et pourtant elles le séduisaient de plus en plus.

Igor se rendit alors compte que fasciné comme il l'était, il n'avait pas encore regardé derrière lui. Pourtant chacune des femmes derrière lui était là, et il voulait les  voir. Il se retourna donc, et toutes les femmes disparurent instantanément. Sauf une. Une femme magnifique, avec un regard d'ange et des fossettes de sourire heureux. Igor était fasciné par elle. Elle éclipsait toutes les autres, elle les rendait même ridicules.

Il tendit la main vers elle sans se rendre compte que son sexe était maintenant pleinement visible. Elle avança vers lui et lui prit la main. Ils se regardèrent longuement, lui assis et elle debout. Igor savait qu'il avait trouvé sa femme, sa compagne pour la vie. Elle s'assit sur lui, il l'embrassa et le vent se mît à souffler. Le vent était caressant au début, mais devint très vite comme une tempête. Les feuilles bruissaient de plaisir, comme sa femme. Comme lui. Igor ne sentit plus rien que le tourbillon autour d'eux. Leur étreinte fut passionnée mais la chaise tint bon. Lorsqu'elle posa la tête sur son épaule, Igor ouvrit les yeux.

Le labyrinthe s'était transformé. De multiples ouvertures laissaient voir le désert autour comme si des centaines de portes s'étaient ouvertes en même temps. Toutes convergeaient vers leur chaise. Igor distinguait même son clan qui se rapprochait des murs de verdure. Car on ne pouvait plus parler de labyrinthe. Il aurait plutôt fallu dire une ville de verdure, avec ses rues et ses maisons. Des maisons oui, avec des toits. Comme celui au-dessus de la maison juste en face de lui.

Alors Igor resserra ses bras autour de la femme, se leva et l'emporta dans la maison de feuilles, sous le toit de lumière. Toutes sortes de sièges les y attendait. Il choisit le gros coussin rose pour l'aimer. Et il sut que chaque jour, pendant que son clan et les autres aménageaient dans la ville-forêt, chaque jour il pourrait lui faire l'amour dans un siège différent. Igor sourit et elle lui rendit son sourire.

La chaise frémit et disparut. Maintenant, personne n'avait plus besoin d'elle.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire