dimanche 24 avril 2016

Du temps de cerveau pour... Une nouvelle pomme

Le général avait fière allure. Son nouvel uniforme avait été fabriqué sur mesure comme il se doit et il scintillait de partout. Les couleurs d'or et de sang dominaient évidemment. Comment imaginer un général sans ces couleurs ? Les étoiles qui marquaient son grade étaient noires, elles. Un noir de jais très profond. Le petit filet d'or qui les entourait les faisait ressortir avec éclat. Il était impossible d'en discerner la forme tellement elles brillaient de cet éclat noir qui caractérisait la roche du pays. Il fallait les regarder de côté pour deviner leur forme. Et le général en avait sur les épaules, les manches, le col et le chapeau. 

Ah, le chapeau ! Le plus beau chapeau de général qu'on puisse imaginer. Sa visière noire donnait l'impression que le chapeau flottait au-dessus du visage du général dans y être rattaché, exactement comme le col noir séparait son visage du corps. Et le plumet ! Un gigantesque plumet d'un blanc immaculé, tellement grand et partant dans tous les sens qu'on aurait dit un plumeau. Le plumet était aussi grand que le général, imaginez. 

Le général n'était pas très grand et il avait opté pour ce grand plumet qui doublait sa taille. D'un peu loin, on avait l'impression que le général était composé de trois parties séparées par des bandes noires : le corps, la tête et le plumet. La tête était toute petite au milieu, comme une pomme. Une forme bizarre qui aurait pu ressembler à un ananas si le général avait été gros. Mais il était filiforme. En fait, de loin, le général ressemblait à un vrai plumeau dressé sur son manche. 

Il avait fière allure c'est vrai, mais ses hommes le trouvaient ridicule, il faut bien l'avouer. Ils n'osait rien dire devant lui car c'était un terrible général qui avait fait exécuter des hommes pour un rien. Mais tous ses hommes l'appelait "le plumeau". 

Le général était toujours en déplacement. Il y avait tellement de choses à faire pendant cette guerre qui durait depuis si longtemps, et il ne faisait confiance qu'à lui-même pour régler toutes les questions. Il gardait toujours son plumeau sur la tete. En fait il en avait toujours plusieurs avec lui, au cas où l'un serait sali par une poussière ennemie. Douze soldats le suivaient toujours avec la grande boîte qui contenait les plumeaux de rechange, prêts à intervenir à tout moment. Et douze autres soldats escortaient l'atelier roulant qui fabriquaient jour et nuit de nouveaux plumeaux. Vingt-quatre soldats conduisaient les grandes autruches blanches qui produisaient les plumes. Si on ajoutait les soldats qui nourrissaient les autruches, qui les protégeaient et ceux qui étaient chargés de recruter des couturières spécialisées, on arrivait vite à deux cents soldats qui ne s'occupaient que du plumeau du général.

Cela faisait une force assez conséquente et facilement repérable par l'ennemi. Les attaques étaient donc fréquentes et il fallait remplacer souvent les hommes tués. Un jour, un autre général avait fait remarquer à notre général qu'il mobilisait presque dix pour cent de l'armée rien que pour son plumeau. Feu ce général n'avait survécu que trente secondes à cette déclaration. 

Le haut état-major était bien conscient de ce problème, mais personne n'osait intervenir car le général les effrayait tous. Tous espéraient qu'il se ferait tuer un jour par l'ennemi, ce qui résoudrait la question. C'est pourquoi on l'envoyait dans les secteurs les plus dangereux. Mais notre général s'en tirait toujours. Les ennemis l'avaient surnommé "le panache" car il chargeait toujours avec bravoure. 

Ce matin-là, le général était content. La nuit précédente avait vu une victoire écrasante pour lui et ses soldats. Et en plus son plumeau était toujours immaculé. Un bon jour !

Mais il vit arriver du coin de l'œil le général en chef et tout son état-major. Ils avaient l'air sombre. Ils ne viennent pas me féliciter, pensa-t-il. Il se campa sur les pieds et vérifia ses armes cachées dans ses manches. Il était prêt à les accueillir de toutes les façons possibles. 

Le général en chef arriva devant lui et lui demanda d'ôter son chapeau. Mon chapeau ? dit-il en sursautant,  mais c'est impossible, un général doit avoir un chapeau ! Le général en chef le regarda un instant, puis brutalement, sans signe avant-coureur, il lui tira une balle dans le cœur. Le général fut surpris. Mon général, dit-il, cela ne fait pas !

Le général en chef n'eut pas l'air étonné de voir que le général était encore debout malgré le trou béant à la place de son cœur. Il s'y attendait visiblement. Il poussa un soupir, brandit son épée et trancha le plumet au ras du chapeau. Ce fut son dernier geste. Notre général désormais sans plumet le tua instantanément ainsi que tout l'état-major. Puis le général regarda le plumet tombé par terre et souillé. Ses soldats, habitués à la manœuvre, s'empressèrent de lui apporter un nouveau plumet immaculé. 

Mais les soldats s'arrêtèrent. Le sang coulait à flots de la poitrine du général qui s'affaissa brutalement. Il mourut en quelques secondes. Avant que les soldats ne parviennent à attacher le nouveau plumet. Le général se transforma alors sous leurs yeux en un manche de plumeau sans plumeau, avec une bague dorée cerclée de noir à l'extrémité. Les soldats le regardèrent longtemps, mais aucun n'eut envie de raccrocher le plumeau. Le général était parti et le plumeau n'existait plus. 

On enterra le général et l'état-major ensemble, sur un matelas de plumes, désormais inutile. Et l'armistice fut signée dans la journée. 

Seule une des autruches s'échappa. Elle était la plus grande de toutes. Elle avait l'air fâché et déterminé. Elle trouverait un autre porteur de plumeau, c'est sûr. Son peuple ne pouvait plus attendre pour coloniser cette planète ridicule. La prochaine fois elle choisirait pour porter son plumeau un humain plus solide. 

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