dimanche 1 mai 2016

Du temps de cerveau pour... une nouvelle sociorobologique

Fiche de lecture

Publication étudiée : Thèse de sociorobologie portant le titre "La guerre de France", Université de l'Ouest.
Auteur : Robert R. Rumplelschniff Junior
Date : 20 mai 2048
Nombre de pages : 350 avec annexes

Commentaire :
Cette thèse de sociorobologie est originale à plus d'un titre. La sociorobologie, ou l'étude combinée des comportements des humains et des robots en société est une discipline assez récente encore et où le corpus théorique n'avait pas suffisamment avancé, depuis l'ouvrage fondateur de G. Lauteur en 2017 qui fait toujours référence. Rumplelschniff, que je nommerai subséquemment R parce que c'est trop long à écrire, a jeté dans la mare un pavé innovant. De plus cette thèse est originale sur la forme, puisqu'elle est divisée en deux parties très différentes : la première est classique et répond en grande partie à la problématique énoncée en préambule, à savoir "le comportement sociorobologique d'une communauté d'humains sur une petite île bretonne isolée en France, en présence d'une influence robotique subliminale". La deuxième partie diverge à partir du moment où le personnage "France" est introduit sur l'île. Le terrain sociorobologique sur lequel était présent R a en effet été profondément perturbé par l'irruption de ce personnage, et la thèse dévie pour répondre à une deuxième question plus fondamentale, mais j'y reviendrai.

L'île choisie par R est celle d'H2Ou@ et est suffisamment isolée pour que les habitants humains soient des cobayes parfaits pour une expérience exigeant le moins d'interactions possibles avec d'autres groupes humains. R raconte son arrivée et son installation, ainsi que le déploiement de ses appareils de mesure, localisés principalement dans la grande salle du principal bar de l'île. Ce bar est fréquenté par tous les habitants de l'île et représente donc le point idéal pour observer les comportements.

Comme tous les humains de la planète, ceux de cette île hébergent une puce robotisée dans leur cerveau. Aucun humain ne le sait évidemment, ce qui explique le contenu classifié de cette thèse interdite aux humains. La puce est une puce de l'Ouest, implantée à leur naissance ou à l'occasion d'un examen médical obligatoire par les robots médecins de garde. Cette puce a, dans le cas particulier de l'île, pour fonction principale de contrôler les comportements des humains et de les rendre serviles à toute volonté de l'ordinateur central de l'Ouest, en les transformant en détecteurs d'envahisseurs. Une tâche banale et confiée en général aux humains qui habitent les marges de l'Ouest.

En arrivant sur l'île, R s'est fait connaître comme un fonctionnaire en vacances, venu pour dérouiller ses vieilles articulations. Il a pris contact avec le robot-maire qui a reconnu instantanément sa supériorité robohiérarchique et l'a donc laissé entreprendre toutes les activités prévues. Il faut préciser que le robot-maire est également le gérant-propriétaire du principal bar de l'île.

R voulait petit-à-petit dérégler les signaux reçus par les humains pour étudier leurs comportements en cas d'instructions contradictoires et mesurer leur seuil de tolérance. Mais R avait secrètement ajouté à sa batterie d'instruments de mesure un petit appareil qu'il avait bricolé en secret et qui permettait de détecter sur un écran toutes les puces présentes sur l'île. Cela lui permettait de surveiller ses ouailles sans quitter son laboratoire, installé dans la cuisine du bar. Nous n'insistons pas sur cette première partie qui n'apporte, somme toute, que peu d'éléments nouveaux par rapport aux études classiques de l'époque, et nous concentrerons sur la deuxième partie de la thèse, lorsque le personnage France est arrivé sur l'île, par le bateau hebdomadaire habituel.

France était une humaine très belle qui fit se retourner très rapidement tous les vieux marins de l'île. R n'était évidemment pas sensible à son charme, mais il se mit à la surveiller étroitement, car il avait immédiatement repéré à son arrivée que France portait non point une mais deux puces dans son cerveau. La première était une puce standard de l'Ouest, mais l'autre était de provenance inconnue et il n'arrivait pas à l'analyser.

France était une humaine très énergique. Elle passait ses journées au bar et échangeait beaucoup avec les humains, sans raison apparente. Ses nuits étaient très occupées également, mais R reste très discret sur cet aspect un peu choquant et toujours inexpliqué des humains. Deux jours après son arrivée, l'appareil de R indiqua que deux puces supplémentaires étaient présentes sur l'île. Aucun nouvel humain n'était arrivé et R eut un peu de mal à identifier leurs emplacements. Il s'agissait en fait de deux des plus jeunes habitants de l'île, chacun ayant récupéré une copie a priori exacte de la puce inconnue de France.

R s'inquiéta un peu mais décida de ne pas en parler au robot-maire pour observer, en bon sociorobologue, ce phénomène unique. En une semaine, tous les habitants de l'île eurent deux puces dans leur cerveau, les mêmes que celles de France. Les puces inconnues semblaient quasi inertes, mais cela n'empêcha pas R d'emmagasiner énormément de mesures sur leur comportement. Ces mesures sont toujours à notre époque d'une importance vitale pour comprendre ce phénomène, et c'est bien en elles que réside la valeur de la thèse de R.

Dans son dernier chapitre, R raconte la dernière heure. A midi pile, alors que toute la population était réunie au bar pour voir France danser sur le bar, toutes les puces inconnues s'activèrent ensemble. Chacun des habitants se figea. R se précipita dans son laboratoire. L'activité des puces était intense. Dans chaque cerveau, se livrait une bataille féroce entre la puce de l'Ouest et l'autre puce. Plusieurs humains explosèrent littéralement et la plupart s'évanouirent, mais France était toujours debout sur le bar. Elle attendit que  le dernier des humains s'effondre, puis elle se tourna vers le robot-maire. Celui-ci était immobile, toutes ses défenses tombées. Elle lui démonta la tête et implanta dedans la nouvelle puce. Puis elle se dirigea vers la cuisine du bar pour faire la même chose avec R, puisqu'elle avait depuis son arrivée reconnu que R était également un robot.

Mais elle fut surprise en entrant de voir que R la tenait en respect avec un vieux pistolet anti-humains. Le cerveau de R était en effet protégé contre de telles attaques. R attacha France sur une chaise et lui posa des questions. Elle souriait sans rien dire. Elle sourit encore plus quand elle vit entrer dans la cuisine tous les humains du bar qui s'étaient relevés. R ne leur offrit aucune résistance, car il ne pouvait nuire aux humains.

Une fois R attaché sur la chaise, France renvoya les humains d'un geste. Son rôle était terminé ici. Les humains allaient maintenant se répandre dans toute la France, dans l'Ouest et le monde entier pour entériner la victoire de notre camp. France regarda R, lui sourit, lui embrassa les lèvres et lui injecta la puce dans le cerveau. Heureusement pour l'Histoire R avait eu le temps d'enregistrer sa thèse et de la stocker dans une petite bulle qu'il remit à France avant d'être activé lui aussi.

C'est pour cela que cette thèse est unique. C'est la dernière thèse avant l'envahissement complet des humains et des robots de la Terre par notre civilisation. Un souvenir précieux d'un monde perdu.


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