vendredi 2 septembre 2016

Apple une compagnie plus américaine qu'européenne ? Ah, ben ça alors...

Revenons un peu sur l'affaire financière de la semaine. Il s'agit de la décision de l'Union européenne d'obliger Apple à payer des taxes en Europe (Irlande). L'affaire est simple mais est interprétée de diverses façons par les différentes parties prenantes.

Pour l'UE, les sociétés qui font des bénéfices dans l'UE doivent payer des impôts dans l'UE. C'est simple (130 pages de rapport quand même). Les mécanismes habituels des multinationales pour échapper légalement à l'impôt ne sont pas ici remis en cause, puisque toutes les compagnies le font. En obligeant l'Irlande à encaisser les milliards qu'elle aurait dû faire payer à Apple au lieu de lui laisser la liberté de les transférer vers des paradis fiscaux boites aux lettres, l'UE affirme et ré-affirme un droit fiscal supranational, que beaucoup dénoncent... mais pas dans ce cas précis bizarrement.
Un graphique de l'UE explique ce qui se passe avec Apple.


Pour Apple, et son patron Tim Cook (qui vient d'encaisser un tiers de sas actions, soit dit en passant), c'est un gros scandale et un tissu de mensonges. Si, si, ils payent des impôts en Irlande et seraient les plus gros contribuables de ce petit pays... Et ils ont le droit de faire de l'optimisation fiscale puisqu'elle n'est pas interdite aux USA (exemple du Delaware ou d'autres paradis américains). Le fait que cela puisse écorner l'image de la compagnie (l'une des plus belles images actuellement) ne semble pas l'émouvoir. L'histoire de l'optimisation fiscale était pourtant bien connue, ainsi que la "complicité" avec le gouvernement irlandais. Mais l'annonce est difficile à gérer en terme d'image. Comme le suggèrent certains, il vaudrait mieux pour Apple (qui engrangent des profits et une capitalisation énormes) dire qu'ils payent des impôts ici et là (Irlande, USA entre autres) et qu'il n'y a pas de débat. En voulant combattre l'UE, Apple se met dans la position du méchant contre le bon (Ô paradoxe).

Pour le gouvernement irlandais, la patate est très chaude. Réaction virulente d'ailleurs. L'Irlande est un petit pays et un petit paradis fiscal, dénoncé comme le Luxembourg en son temps. Apple y est devenu un symbole. L'Irlande, coincée entre le Royaume-Uni (dont l'Irlande du Nord) et l'UE cherche un positionnement pas évident. Le choix du moment par l'UE n'est pas anodin, car il interpelle évidemment les britanniques en plein Brexit. Le gouvernement a décidé de faire appel contre cette décision, après quelques palabres internes. Il ne reste plus qu'à obtenir l'approbation du Parlement...

Pour l'opposition irlandaise, la situation est caricaturale car l'argent qui aurait pu être perçu aurait permis d'améliorer la vie des irlandais, en fonctionnement et en investissement. 13 milliards (le montant fixé par l'UE) c'est le montant annuel de l'assurance maladie dans le pays. Admirez cette jolie farandole de pommes devant le siège du gouvernement irlandais... Une bonne occasion de marquer une différence politique, dans un pays très directement touché par le Brexit à venir (ou pas).


Pour les fans d'Apple, le message est complexe, entre fidélité (Apple forever) et aveuglement (l'UE nous emmerde) d'une part, et cynisme (Apple n'est pas le pire) ou oeillères (tant pis j'achète Apple quand même) d'autre part. Le message d'Apple à sa "communauté" est clair : Nous sommes bons et les autres sont méchants ! Le sites de fans et de spécialistes Apple sont très circonspects : ils sont "indépendants" mais reposent aussi sur de la pub, une perception positive de la part d'Apple et le soutien de deux lecteurs/abonnés. A la lecture des articles sur ces sites, on voit peu d'opinions affirmées pour défendre un point de vue de citoyen européen... Grandeur et décadence de la presse, même indépendante.

Pour les citoyens américains, vu de loin, c'est à la fois une attaque incompréhensible de lointains barbares contre un des symboles de la culture américaine qu'on le veuille ou non. Lisez cet article d'un chroniqueur Apple qui compare très justement les deux points de vue, de chaque côté du big pond. Les américains préfèreraient évidemment que les compagnies US payent des impôts aux USA, mais tant qu'à ne pas en payer, autant ne pas les donner à l'UE, non ? D'ailleurs cela pourrait accélérer le rapatriement de recettes d'Apple aux USA comme annoncé (pour le président suivant, qu'on espère être une présidente). Le New York Times ne soutient pas complètement Apple. d'ailleurs

Pour les citoyens européens, enfin, c'est une victoire de l'Europe. Un jour, les bénéfices réalisés par les entreprises dans un pays seront imposés dans ce pays, en évitant les transferts vers des structures fantômes. Mais en attendant, c'est un coup de semonce. En utilisant Apple comme étendard de cette politique, il s'agit d'emporter l'adhésion de la population : ceux qui sont pro-Apple et qui ne peuvent décemment pas protester (moi par exemple), ceux qui sont anti-Apple et qui se réjouissent goguenards, et les autres qui s'en foutent mais qui voient que l'UE sert à quelque chose.

Même si toute cette affaire risque de durer des mois ou des années, il s'agit d'une marche importante que vient de monter l'UE. Bravo à elle (et donc à nous).




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