dimanche 26 février 2017

Du temps de cerveau pour... une nouvelle de voyage

Ça a commencé dans le Tran. Ou juste avant ? J'ai du mal à remettre les choses dans l'ordre. Il faut dire que c'était la première fois pour moi. J'étais très impressionné. Laissez-moi vous raconter. Peut-être qu'en vous parlant, une forme de cohérence apparaîtra. Vous me direz, hein, si vous y comprenez quelque chose ? Ça m'aiderait vraiment. Merci d'avance. 

Je suis jeune. Enfin, j'étais jeune quand cette histoire a commencé. J'espère être encore jeune. Je n'ai aucun moyen de savoir. Mais je vais faire comme si. J'étais donc jeune et je devais quitter mon école pour aller à la Haute école. Il y a énormément d'écoles mais une seule Haute école. J'avais été sélectionné sans même savoir que mon école m'avait inscrit. Une sélection qui faisait rêver plus d'un écolier. Pas moi. J'avais appris tout ce qu'il y avait à savoir sur cette Haute école censée nous motiver et même nous faire rêver, mais je n'avais pas fantasmé. Je me trouvais très bien chez moi et n'imaginais pas un instant quitter ce nid douillet. Il y avait tellement de choses à faire ici ! Lorsque le directeur de l'école m'a convoqué avec mes parents, j'ai cru que j'avais fait une faute. Lorsqu'il nous a annoncé que j'avais été sélectionné pour la Haute école, j'ai cru qu'il avait fait une erreur. Lorsque mes parents m'ont regardé, j'ai vu qu'ils étaient fiers de moi, presque autant que le directeur qui se rengorgeait parce que je n'étais que le second élevé à être sélectionné depuis la fondation de l'école. 

Ils m'ont dit que je partais une heure après. Pas le temps de réfléchir, juste celui d'emballer quelques affaires et de filer à l'embarquement du Tran. 

Le Tran ! Je savais qu'il passait ce jour-là. Tout le monde connaissait les dates du Tran. Nous vivions dans un lieu éloigné de tout et les passages du Tran étaient rares. Deux ou trois fois par an. Je compris mieux l'urgence. La réponse de la Haute école venait juste d'arriver et le prochain Tran n'était que dans cinq mois. J'étais visiblement déjà en retard pour la rentrée mais cinq mois auraient été rédhibitoires. 

C'est ainsi que je me suis retrouvé dans la salle d'embarquement. Perdu. Seul. Avec mon petit sac pour tout bagage. Mes parents, le directeur et les quelques amis qui avaient pu être prévenus à temps étaient restés de l'autre côté du contrôle. La salle d'embarquement était en forme de cône et au centre de la base, il y avait un fauteuil. Tout était d'un blanc aveuglant. 

Je savais ce qu'il fallait faire : déposer mon sac sous le fauteuil dans le compartiment prévu à cet effet, m'asseoir, attacher la ceinture et attendre le décompte, puis fermer les yeux juste avant le transfert. 

Est-ce que je l'ai fait ? Qu'ai-je fait ? Est-ce à ce moment que quelque chose s'est passé ?

J'ai pensé au Tran, ça c'est sùr. Un moyen de transport merveilleux et qui a permis à l'Homme de voyager où il le voulait. Un moyen fiable. Presque jamais d'accident. Un moyen de relier même les coins les plus éloignés entre eux, aussi directement que s'il s'agissait d'aller à la Capitale. J'aurais dû regarder attentivement. Mais j'étais dans un état second, comme si je n'avais pas réalisé ce qui allait se passer. Je ne me souviens pas d'avoir lu les instructions de sécurité par exemple. J'aurais dû. Certainement. Je croyais connaître le principe du Tran, mais certains détails changent de temps en temps, avec les améliorations technologiques. Dans un coin reculé comme le mien, j'aurais dû me douter qu'il y avait eu des évolutions trop récentes pour qu'on les enseigne ici. 

Peut-être n'ai-je pas bien attaché ma ceinture ? Peut-être ai-je mal fermé le compartiment à bagages ? Peut-être le fauteuil n'était pas adapté à mon poids ? Peut-être ai-je déréglé quelque chose ? En tous cas, quand le décompte a commencé, je sais que j'ai fermé les yeux. J'ai serré très fort mes paupières. 

Le transfert à bord du Tran s'est réalisé sans problème. Instantanément. Quand le Tran est arrivé à la bonne distance, moi et mon fauteuil avons translaté. Une sensation brève d'écœurement puis j'ai ouvert les yeux. Je nétais plus dans la salle d'embarquement, mais dans le Tran lui-même. Une vaste salle circulaire, grise. Autour de moi, des fauteuils, des dizaines de fauteuils, tous alignés le long du mur. Tous vides. 

Vides ? J'ouvris les yeux en grand. Oui, j'étais seul. Le seul fauteuil occupé. Je savais que nous avions pris la place d'un fauteuil qui était donc maintenant dans la salle d'embarquement pour attendre un autre transfert. Je ne m'étais pas attendu à être seul, mais j'aurais dû m'en douter. Nous habitions vraiment un coin très isolé. 

Devant moi, par terre, un petit voyant rouge signalait que mon emplacement était occupé. Les autres sièges étaient tous avec des voyants éteints. Un petit écran flottait devant mes yeux. Je pouvais choisir ce que je voulais comme affichage : des films, des actualités locales ou galactiques, des informations sur le Tran et ce voyage. Je choisis de ne rien afficher. Tout le monde savait que le temps était différent dans le Tran. Les distances parcourues étaient gigantesques, en milliers d'années-lumières mais le temps subjectif était celui qu'on choisissait. Je crois que j'ai choisi un écoulement lent du temps. J'avais besoin de souffler. 

Un éclair rouge frappa mon œil. Un fauteuil venait d'arriver avec un occupant. Une occupante plutôt. Il y avait trois fauteuils vides entre nous. 

Je la regardai. Elle était parfaite. Évidemment. Jeune, belle, l'air intelligent et souriant. Elle me regarda et je tombai instantanément amoureux d'elle. Elle me sourit et je fus prêt à mourir pour elle. Ma mine devait être comique à voir, car elle prit une feuille dans l'accoudoir et me la montra avec un geste non équivoque. Je devais la lire ? Lire, me dis-je ?

Je pris la feuille qui était dans mon accoudoir. C'étaient les consignes de sécurité. Elles apparurent devant mes yeux quand je réussis avec peine à détacher mon regard de celle qui était la femme la plus séduisante que j'aie jamais rencontrée. En rouge, était écrit une seule phrase : "Ne tombez pas amoureux, changez le réglage chimique avec le bouton rouge."

Il y avait effectivement un bouton rouge sur mon accoudoir. Il était réglé au maximum. L'avais-je 
déréglé sans le voir ? Je le remis en position neutre. Puis je levai les yeux sur ma voisine. Elle était toujours aussi merveilleuse quoique moins blonde, mais ça lui allait encore mieux. Je me décidai et tournai le bouton au minimum. Ma voisine était encore plus somptueuse, et ses cheveux châtains étaient plein de reflets dorés. 

Je restai longtemps à la regarder. Longtemps ? Tout est relatif dans le Tran et le temps plus encore que l'espace. Elle était trop loin pour que je puisse lui parler. Elle me regardait aussi. 

Puis plusieurs lampes rouges s'allumèrent, presque simultanément si tant est que cela ait du sens dans le Tran. De nouveaux arrivants. Loin, en face. Une dizaine peut-être. Qui disparurent presqu'aussi vite pour être templacé par d'autres. Pendant quelques instants, quelle que soit leur durée, le Tran fut une guirlande de lampes rouges, clignotant, apparaissant et disparaissant tout autour de moi. De nous devrais-je dire. Elle et moi étions les seuls fauteuils stables. Elle avait dû régler son temps sur un rythme lent, comme moi. Les autres voyageurs allaient venaient dans un tourbillon incessant. A un moment, je sus que nous passions par la Capitale. Tous les fauteuils étaient allumés et clignotaient furieusement tellement le rythme des arrivées et des départs était rapide. Est-ce que c'était cela qu'ils appelaient l'heure de pointe ?

Je ralentis le cours du temps au maximum. Elle me souriait avec lenteur. Je devais agir. Qu'auriez-vous fait à ma place dans ce fauteuil ? Je ne connaissais pas sa destination et elle pouvait disparaître à tout instant sur une quelconque planète visitée par le Tran. Je devais agir ? Oui, me suis-je dit. Alors j'ai agi.

Je me suis levé. Je crois que je n'avais pas bouclé ma ceinture, finalement, sinon il y aurait eu une alarme. J'ai posé les deux pieds par terre (par terre ?) et j'ai avancé vers elle. C'est là que je n'ai plus rien compris. La lumière rouge devant mon ancien fauteuil s'était éteinte. Mon sac était par terre. Je me suis baissé pour le ramasser puis je l'ai regardée. Son fauteuil était vide. 

Je me suis avancé jusqu'au centre de la salle. Aucune lumière rouge, aucun fauteuil occupé. Juste un mot, clignotant par terre, devant mes pieds. "Alerte". 
J'ai bougé et le mot m'a suivi. Le sol du Tran est bizarre. Ni solide ni absent, c'est comme un trou impossible à pénétrer. 

Je me suis perdu évidemment. Impossible de retrouver mon fauteuil ou le sien. Le Tran semblait bloqué. Puis, après un temps indéfinissable (minutes ou années ?) la lumière s'est éteinte. 

Maintenant, je suis réveillé. Je suis attaché dans un fauteuil. Attaché confortablement, remarquez. Mon sac est à mes pieds. Il y a un écriteau sur mon ventre et un autre très grand au-dessus d'une porte fermée. Autour de moi, des objets étranges. 

L'écriteau sur mon ventre donne la date et le lieu. La date de mon voyage avec un code qui doit être un instant précis et le lieu "Le Tran". L'écriteau au-dessus de la porte indique "Objets trouvés". 

Dites-moi. Vous y comprenez quelque chose, vous ? Vous savez si elle va venir me rechercher ?

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