mercredi 15 mars 2017

Vie privée

Notre vie privée subit tous les jours de plus en d'attaques. Mais de quoi parle-t-on ?

Quand il s'agit d'une personnalité publique, il y a quelques difficultés à séparer les deux. Cela devrait rester le choix de la personne, mais dès qu'il y a une affaire publique (justice ou autre), la vie privée s'efface : une perquisition au domicile, une révélation sur une faute cachée sont des attaques légitimes. Une dénonciation anonyme ou diffamation, c'est autre chose, du même type qu'un paparazzi. Attaquer ce genre d'attaques (ou s'en défendre) est une question complexe car il faut penser les coûts : y aller ou pas ? Vaut-il mieux laisser passer, contre-attaquer, nier... ? Dans le cas des paparazzi, tout est question du montant demandé en cas de photo malveillante, c'est devenu un vrai business et un type de dépenses planifiées et budgétise par les journaux. La famille royale britannique, par exemple, est en ce moment très regardante sur les indemnités demandées, ce qui réduit d'autant les attaques dans la presse. L'euro ou la livre symbolique n'est plus de mise, sauf pour faire parler de soi pour ceux qui en ont besoin. Ceux qui invoquent la sacro-sainte vie privée pour les personnes publiques ont de plus en plus de difficultés, surtout quand, de leur propre aveu, elle se mélange chaque jour avec la vie publique, n'est-ce pas, Pénélope ?

Il est facile de dire "Et alors ?" comme Fillon dans le CostumeGate, pour invoquer des dons en argent liquide. Le soupçon s'installe forcément. Seule la transparence peut détruire le soupçon, mais justement la transparence n'est pas le fort de ceux qui invoquent cet argument. Cela induit l'idée que nous sommes dans un pays de triche généralisée, à tous niveaux et dans tous les domaines. Mais la transparence n'est pas soluble dans la loi (comme le communisme de l'époque dans l'alcool). Car qui dit Loi, dit interprétation de la loi, tout en restant dedans, détournement, contournement, exception, jurisprudence, procédure. Il s'agit plus d'un esprit et cet esprit ne fonctionne bien que s'il est partagé au sein de la société. C'est le cas de tous ces pays que l'on nous montre en modèle, en général au Nord de l'Europe où le moindre faux pas déclenche des démissions en chaîne chez les "responsables" politiques qui assument, eux, leurs responsabilité. Dernier exemple en date avec ces relations d'affaires entre Fillon et un de ces richissimes libanais, relations cachées jusqu'à présent, alors qu'en Angleterre une ministre a dû démissionner après la révélation de ses relations avec le même milliardaire.

Pourquoi la parole publique a-t-elle perdu autant de valeur ici en France ? Qu'est-ce qui fait que plus personne ne croit aux promesses et aux dénis ? Même ceux qui les font (surtout ceux-ci d'ailleurs). Peut-être est-ce justement à cause de cette hyper-protection de la vie privée des hommes publics (c'est-à-dire responsables devant le public de leurs actes). Le plaisir de cacher peut être un plaisir ou une nécessité, pourquoi pas, y compris l'invocation de principes détournés de leur usage, puisque la "séparation des pouvoirs" vise à protéger les pouvoirs dans le respect des autres, pas à les couvrir en cas de turpitude, non ? Le refus répandu de voir des "enquêtes" sur ces sujets est plus que préoccupant. Ceux qui se tiennent informés et qui raisonnent savent bien que beaucoup d'élus, par exemple, ne sont pas comme ça : ils suivent avec conviction des procédures simples de type "déontologie" avec leurs organismes (à la Mairie de Paris par exemple où on doit déclarer avec force détails même ses déjeuners de travail). Ils les suivent d'ailleurs non seulement parce que ces organismes ont imposées de telles procédures, mais aussi parce qu'ils y croient, comme un facteur essentiel de la vie publique.

Mais la vie privée ? La vraie ? Celle notamment de celles et ceux qui n'ont pas de vie publique "responsable" ? Elle, elle est menacée par d'autres intérêts, la plupart du temps des intérêts marchands, dans un pays comme la France, en supposant que les intérêts politiques n'existent que dans les non-démocraties où l'espionnage et la censure règnent, de la Russie à la Turquie par exemple, à la Syrie ou en Arabie Saoudite. Notre vie privée est à nous et pourtant nous l'offrons, avec ou sans notre consentement à des myriades de sociétés commerciales pour en faire un business juteux. J'ai souvent parlé ici de cet aspect vie privée sur l'Internet, mais cela n'est pas près de s'arrêter. Les grandes compagnies mobilisent des centaines d'avocats pour ralentir les procédures contre elles (pendant les procédures, la vente continue et chaque jour apporte ses millions de recettes de pub). Les petites compagnies innovantes inventent des techniques pour recueillir des informations toujours plus efficaces (pour elles) et plus intrusives (pour nous). Dernière en date, cette polémique sur une société canadienne qui vend des sextoys connectés... On en reste sans voix. Un exemple parmi d'autres, peut-être plus frappant, qui doit nous faire réfléchir au-delà du sourire goguenard et paillard initial. Ou, ici, un autre exemple, dans le monde du travail et dans la chair de nos mains.

Alors, une question.

Puisque la vie privée des humains standards est de plus en plus surveillée, en relation avec le monde marchand, pourquoi la vie publique des hommes publics ne le serait-elle pas plus, en relation avec le monde politique ? Qu'est-ce qui fait que certaines catégories se sentent au-dessus des autres et d'organisent pour le rester ? Est-ce le pouvoir ? La richesse ? A part "les deux, mon colonel", je ne vois pas beaucoup d'autre réponse possible. Car c'est bien en mélangeant les deux (comme dans le cas des situations d'enrichissement personnel grâce à son pouvoir) que l'effet devient ravageur : quand il n'y a que le pouvoir, sans la richesse (pour soi et ses proches), on est sur un terrain qui se discute et s'évalue, notamment grâce aux élections. Quand il n'y a que la richesse, on est dans un territoire balisé par des règles et il suffit d'éviter les détournements et contournements. Mais quand les deux se mélangent, il y a risque. Et puisqu'il n'est pas possible d'implanter une puce chez les hommes politiques pour mesurer leur honnêteté, il faut peut-être réfléchir à l'ordre des priorités et surtout à leur nécessaire lien indissoluble :
- la liberté avant tout, dans tous les registres, suppose des mécanismes d'évaluation et de contrôle, sinon elle devient un levier pour ôter de la liberté aux autres tout en augmentant la sienne.
- la fraternité, devenue aujourd'hui solidarité, est censée mettre tout le monde d'accord, c'est pour cela que si peu en parlent.
- l'égalité (des chances) qui aboutit à la méritocratie, lance les bases d'une course où, si on ne pense qu'à ça, oblige à battre les autres.

La vie privée est trop importante pour la laisser se faire détruire par des dictats prononcés par des ombres absolument pas transparentes. Et bien au-delà des systèmes de contrôle, il s'agit d'une philosophie. Cela pose le problème de la relation de l'individu à sa société, à l'Autre. Une question qui devrait être au coeur des débats politiques et des préoccupations des personnalités qui sont censés animer notre société. C'est en tout cas, pour moi, un critère de jugement premier, avant la couleur politique. Voter pour l'honnêteté ? Désolé, M. Fillon (mais remarquez bien que je n'aurais de toutes façons pas voté pour vous non plus avant).

PS : les mots sont importants
- la morale a une connotation absolue (souvent religieuse mais pas seulement) qui s'imposerait à tous
- l'éthique a une connotation relative, et est un terrain de discussion, d'évolutions et d'adaptations, qui est soit écrite dans la loi soit écrite dans nos "logiciels personnels" comme disent les cultures
- la déontologie est une éthique professionnelle, restreinte à une profession en général.
Il peut donc arriver, dans une société régie par une morale dominante et des déontologie corporatistes, que l'éthique ait du mal à trouver sa place. Aidons-là.

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