dimanche 1 septembre 2013

Les aventures de Monsieur Gentilliti à Paris - 5 et fin

Le plan de Monsieur Gentilliti est vraiment très bien trouvé.

Pendant quelques semaines, il mène une vie très intéressante dans le château de Versailles et dans ses jardins. Gustave Duchemol fait tout ou presque, comme un bon petit espion fidèle à Biti, gloire à lui. La journée type de Monsieur Gentilliti est la suivante : Il se lève en milieu de matinée et descend se mêler aux touristes (les japonais sont les plus nombreux le matin), prend un petit déjeuner à la cafétéria où il a ses habitudes et sa table, puis va se promener dans le parc. Il pique un plongeon dans le Grand Canal, malgré l'interdiction. Certains matins, il y a de jeunes et jolies touristes qui le regardent. Cela lui permet de tester quelques biglages, mais toujours sans succès. Il évite de se faire voir des gardiens, car même une administration aussi bornée que celle du domaine ne manquerait pas de remarquer le nombre important de gardiens disparus, suite à des biglages ratés. Monsieur Gentilliti est fort beau en short et tout le monde le remarque. Après un déjeuner rapide à côté des barques et une sieste dans sa chambre sous les combles, Monsieur Gentilliti s'apprête pour la soirée. C'est en effet à ce moment que Gustave lui amène une demoiselle (et d'autres dans les soirées fastes).

Au début Monsieur Gentilliti les a biglées tout de suite, mais c'était un peu frustrant. Ayant déjà trouvé un espion, il décida que sa mission était réussie et que tout le reste était du bonus. Autant en profiter un peu, s'était-il dit un matin, et depuis ce jour-là ses nuits avaient été plus... intéressantes. Les pratiques culturelles de la Terre étaient visiblement plus variées qu'il ne l'avait pensé en étudiant le Texas. De toutes façons, chaque lendemain matin, il biglait sa compagne en espérant que le résultat soit positif, sans aucun état d'âme.

Sur Biti, gloire à lui, personne n'avait d'âme d'ailleurs. Le fait que Monsieur Gentilliti connaisse même le mot âme était inexplicable. Il se demandait parfois si la Terre ne déteignait pas sur lui.

Ce dimanche matin, après son troisième biglage raté de la nuit, Monsieur Gentilliti se sent un peu fatigué. C'est un jour férié en France mais le Château est ouvert. En touchant machinalement sa carte, il réalise que cela fait exactement un mois qu'il est arrivé à Paris. C'est aujourd'hui que la porte se rouvrira pour le ramener sur Biti, gloire à lui.

Monsieur Gentilliti pèse les options qui s'offrent à lui : rester ici et continuer cette vie sur Terre qui offre quelques avantages, au risque de voir débarquer à tout moment un inspecteur envoyé par Monsieur Grositi13, ou alors rentrer sur Biti, gloire à lui, et y annoncer le succès de sa mission. Il n'a pas vraiment le choix en fait. Il connait la puissance de Biti, gloire à lui. Gloire à lui, gloire à lui...

Monsieur Gentilliti se lève et s'habille en parisien normal. Il laisse un petit mot sur la table pour Gustave Duchemol avec ses instructions : observer tout ce qui se passe et envoyer des rapports tous les mois à Biti, gloire à lui, à l'aide du lien spécial qu'il a tissé avec lui. Avec une pointe de sentimentalisme qui l'étonne un peu, Monsieur Gentilliti ajoute qu'il espère que Gustave sera un bon espion et qu'il pourra le rejoindre sur Biti, gloire à lui, au terme de son contrat. Il lui enjoint de changer de travail pour aller s'installer dans un endroit plus intéressant pour un espion, comme l'Elysée ou la buvette du Sénat.

Ensuite Monsieur Gentilliti descend, en mode automatique, à la cafétéria pour y prendre son dernier café. Au moment où la serveuse lui tend son breuvage matinal, le café est pris de vibrations erratiques et le liquide noir couleur de marcounet s'échappe de la tasse pour atterrir sur sa chemise. Soudainement sorti de sa torpeur, Monsieur Gentilliti lève les yeux vers la serveuse. Elle le regarde avec des yeux ronds, et fort jolis ma foi. Monsieur Gentilliti la reconnait. Il s'agit de la serveuse du Tabac de la Place de la Sorbonne, la première parisienne qu'il ait vue. Elle l'a visiblement reconnu également. Elle bredouille des excuses. Elle est désolée, c'est son premier jour ici, en extra, et elle a été tellement surprise de le revoir qu'elle en a eu des tremblements.

Leurs yeux ne se quittent pas. Même lorsque le patron de la cafèt commence à l'engueuler, elle garde son regard fixé sur Monsieur Gentilliti. La scène dure au moins trente secondes d'éternité.

Plus tard, Monsieur Gentilliti et Kitty, car c'est son nom, sont assis à une table et parlent. Elle vient de se faire virer mais semble complètement indifférente à tout ce qui n'est pas Monsieur Gentilliti. Quand à lui, il en a oublié ses résolutions du matin. Il croyait avoir acquis une certaine expérience des femmes terriennes, mais il est paralysé dans la bulle translucide des yeux de Kitty. Ils parlent de tout et de rien.

A un moment, Kitty lui explique qu'elle est originaire d'une petite ville de Sardaigne.

- Et comment s'appelle-t-elle ? demande Monsieur Gentilliti

- Bitti, répond Kitty

A ce moment précis, chacun des deux ouvre la bouche et dit en parfaite synchronisation : "Gloire à lui".

Ils se regardent. Monsieur Gentilliti sort sa carte et Kitty la sienne. Une étincelle jaillit entre les deux. Monsieur Gentilliti comprend en un éclair que Kitty s'appelle en fait Kiti, qu'elle est sur Terre depuis trois mois. N'ayant trouvé aucun espion en Sardaigne, elle a décidé de s'enfuir à Paris. Elle a peur d'une inspection surprise car elle a décidé de rester ici. Elle n'est pas intervenue quand Monsieur Gentilliti est apparu Place de la Sorbonne car elle a cru qu'il s'agissait d'un inspecteur, même si c'était un très bel inspecteur.

Le soir tombe et la cafétéria ferme. Kiti et Monsieur Gentilliti marchent dans les rues de Versailles en se tenant pas la main comme un couple de jeunes brusores à la prime saison. Monsieur Gentilliti a décidé de ne pas rentrer sur Biti, gloire à lui, non plus et de rester avec Kiti. Ils vivront heureux et cachés et ils bigleront tous ceux qui essayent des arrêter. Le plan est parfait.

Oui, le plan est parfait.

Sur Biti, gloire à lui, Monsieur Grositi13 vient en effet de se bigler lui-même par erreur en se rasant les poils de la moustache supérieure et tout son bureau est parti en fumée, avec les archives qui y étaient stockées. Monsieur Grositi14 qui le remplace a d'autres chats à fouetter et d'autres espions à coordonner.

Personne ne se rappelle plus de nos amoureux qui vivent maintenant dans les combles du Château. Gustave est devenu leur serviteur. Gustave aussi est heureux, car l'idée de la buvette du Sénat ne lui plaisait pas. Les touristes ne disparaissent plus au Château, ni les étudiants Place de la Sorbonne.

Un jour, il faudra quand même qu'ils essayent de ramener sur Terre tous les gens qu'ils ont biglés.

Mais c'est une autre histoire.

FIN

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