mercredi 2 septembre 2015

Le Roi est-il mort ? Twitter et l'uchronie

Hier, premier jour du mois de septembre, Versailles et son château commémoraient le 300ème anniversaire de la mort de Louis XIV, leur fondateur. Des fêtes et des grandes eaux sur place, un site internet ad hoc et surtout une campagne de live tweets "en direct" comme si on pouvait revivre en direct cette mort et tout ce qu'il y a autour. Le hashtag est #leroiestmort et les tweets officiels sont signés du Château. Tout ça a engendré chez moi quelques réflexions.

Une campagne de live tweets est un moyen de plus en plus utilisé pour magnifier un événement mais c'est un moyen encore peu utilisé de manière aussi intensive dans le milieu très traditionnel de la Culture. On les voit se multiplier, ces campagnes, pour les événements politiques ou marketing, sportifs ou sociaux. L'irruption violente de ce média dans la Culture symbolique au plus haut niveau en France est intéressant. Les français sont friands d'Histoire, on le sait.

Dans une telle campagne, il y a les tweets officiels, assez nombreux dans ce cas précis puisque nous permettant de suivre les jours qui encadrent la mort du Roi Soleil, mais aussi les relais médiatiques par des journalistes pas encore très réveillés après les vacances. Il est bien connu que Twitter est avant tout un outil largement utilisé par les journalistes et autres professionnels pour leurs veilles et la transmission de leurs messages. C'est donc un très bon moyen de faire connaître sa campagne, avec une remarquable économie de moyens. Dans une telle campagne, si on élimine les trolls et ceux qui en profitent pour vendre leur soupe en ajoutant indûment un hashtag à leurs messages publicitaires, il y a aussi les anonymes, ceux qui réagissent en direct et à chaud. En l'occurence, peu de telles réactions, même si la campagne est en français et en anglais simultanément. Les amateurs d'Histoire et de Culture sont-ils moins présents que ceux qui tweetent pour des matchs de foot ou l'Eurovision ?

Cette campagne suppose donc que Twitter (et l'Internet et les ordinateurs et l'électricité et la démocratie) existait à l'époque de l'Etat royal français dans toute sa splendeur autocratique, avant les Lumières naissantes. Comme la photo ou la video n'existaient pas encore, les initiateurs de cette campagne ont intelligemment remplacé les photos par des tableaux de l'époque comme dans ce tweet par exemple





Ils ont été obligés cependant de faire des impasses car le facteur temps est très différent aujourd'hui du XVIII° siècle. L'accélération que nous apporte l'Internet et l'immédiateté liée entre autres à Twitter est peu compatible avec des transmissions par coursier à cheval - même rapide. Si le Roi est mort à 8h05, à quelle heure ont sonné les cloches de Notre-Dame ? Ralentir le temps pour le rendre identique à celui de l'époque est aujourd'hui inconcevable. Nos mentalités ont changé. Cette campagne, et d'autres du même type, feront certainement l'objet d'analyses détaillées par des universitaires cons pétants plus tard. Ce qu'on sent aujourd'hui, c'est que ce décalage artificiel introduit quand même une dimension apaisante. On est loin des directs de BFM TV si vulgaires ou de ceux d'iTélé qui essayent de l'être autant. On cauchemarde d'ailleurs à la seule idée qu'un tel projet puisse naître un jour dans la tête de ces télés poubelles.

Quand j'étais petit je me souviens de cette collection de fausses Unes de journaux retraçant l'Histoire du monde depuis les premiers hommes. Cette idée a fait florès et de nombreux ouvrages s'inspirent de cette "revisitation" de l'Histoire selon un media moderne, journal, télé ou maintenant Twitter. Cela donne toujours un angle nouveau. Mais le nouveau ne suffit pas. Regardez ces fausses Unes compilées par Slate par exemple, censées raconter comment "nos journaux" auraient couvert le règne de ce roi symbole de la royauté française. Ce n'est pas de la compilation que naît l'analyse. C'st bien d'une Histoire racontée avec ses différentes facettes que peut naître la rencontre entre le présent et le passé. Twitter en ce sens introduit une nouvelle dimension, contradictoire avec son propre caractère éphémère et pourtant plus juste que des histoires revissées après coup à la Stéphane Bern.

En revisitant l'Histoire, il est facile de la déformer, de la transformer en une uchronie, comme dans 1984 ou dans le Maître du Haut Château de Philip K. Dick. Pourquoi ne pas aller plus loin et inventer un monde imaginaire créé par un Twitter omnipotent qui sculpterait nos mémoires et nos vies à partir d'un matériau brut ré-interprété ? Pourquoi ne pas poser une canette de Coca Cola sur la table de nuit du Roi, qui aurait pu le sauver s'il l'avait bue ? La déontologie, la morale, l'éthique, la conscience des limites nous protège encore un peu de ce type de déviation, mais rien n'est impossible, à l'heure de la réalité virtuelle qui risque de devenir une réalité alternative.

Enfin, imaginons un peu. Imaginons la vie d'aujourd'hui sans Twitter et tous les autres moyens de communication rapide. Imaginons un monde où les messages, qu'ils soient d'une importance politique majeure ou une simple et jolie lettre d'amour, mettraient du temps à arriver. Ce temps n'est pas loin de nous quand on y pense. Comment réagirions-nous si le facteur temps était si différent de ce vertige actuel ? Il suffit de retourner l'Histoire. A vos plumes !

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