dimanche 31 juillet 2016

Du temps de cerveau pour... une nouvelle ferme

Don regarda ses trois derniers épi de maïs. C’était bien les derniers. Il avait cherché partout dans les réserves mais tout était vide. Hier encore il en avait eu des centaines et la semaine dernière des milliers.

Sa ferme avait été l’une des plus grandes sur cette planète.  La plus grande du voisinage en tous cas, et la plus prospère. La dernière aussi vraisemblablement.

Cette planète était pourtant si parfaite... au début, se dit Don. On aurait dit qu’elle avait été créée pour être un gigantesque terrain fertile capable de tout faire pousser. L’atmosphère, la température, l’ensoleillement, l’eau... tout était tellement adapté à l’agriculture. Lorsqu’ils y étaient arrivés, personne n’avait été là pour les combattre. Les quelques espèces locales étaient frêles et peureuses, et en plus elles n’avaient aucune arme pour se défendre. Ils les avaient naturellement exterminés pour leur faire peur et depuis tout avait été tranquille depuis, les quelques survivants se cachant dans des coins reculés et le reste étant reconverti en nourriture. Ayant vite compris les avantages du climat de la planète, ils avaient décidé de la transformer en un gigantesque grenier pour satisfaire les besoins de leur immense empire. Cette planète, à elle seule, nourrissait maintenant presque la moitié de leur population dans toute la galaxie.

Ils avaient investi beaucoup pour y créer les fermes, pour les mécaniser et pour mettre au point un système de transport automatique capable d’acheminer les différentes productions partout dans la galaxie. Au début l’effort avait paru disproportionné à certains, notamment ceux qui tenaient les cordons de la bourse, mais ils avaient vite compris les avantages énormes liés à l’existence et à l’exploitation intensive de cette planète. Tout cela fonctionnait depuis des dizaines d’années sans anicroche. Fonctionnait, oui, se dit Don. Jusqu’à la semaine dernière.

Vu le degré de mécanisation des fermes, il y avait très peu de résidents permanents sur la planète. La vie n’y était pas difficile, mais pas drôle du tout et même très ennuyeuse. Les personnels chargés de la surveillance était si peu nombreux et si éloignés les uns des autres qu’ils ne se voyaient presque jamais. C’est pour cela qu’ils ne restaient que trois mois chacun sur place avant d’être remplacés. C’était déjà trop long, se dit Don. Il faut dire que Don attendait d’être relevé incessamment. Il se regarda dans le miroir et grogna : jamais il n’y arriverait.

Ils avaient commencé à être trop confiants. La planète était protégée contre tous les dangers extérieurs possibles, venus de l’espace, même le plus profond, car son commerce était vital pour la galaxie. Mais personne n’avait pensé à se protéger contre un danger venu de la planète elle-même. Pourquoi l’auraient-ils fait, d’ailleurs ? Les seules armes qui se trouvaient sur la planète étaient à l’astroport avec les robots de combat, mais tout avait été détruit là-bas dès le premier jour de l’attaque. Les robots fermiers et les fermiers eux-mêmes n’étaient pas armés.

Don se souvenait de ce premier jour. Il regardait son programme favori au télévisio et tout avait été coupé brutalement. A la radio il n’avait pu joindre que les fermes voisines. Tout le reste était muet. Il leur avait fallu 24 heures pour comprendre ce qui s’était passé, en rebondissant de ferme en ferme avec les radios à faible portée. Les nouvelles de l’attaque sur l’astroport étaient floues car elles étaient venues de la seule ferme qui en avait été proche, quelques heures avant sa destruction. L’astroport avait été attaqué par une espèce locale, pourtant si fragile et lymphatique que personne ne s’y était préparé. Ils avaient projeté un gaz qui avait endormi tout le monde, visiblement, puis ils avaient détruit méthodiquement toute la base.

Il avait ensuite suivi impuissant l’avancée de l’attaque, chaque ferme attaquée tour à tour. La technique était toujours la même : les assaillants arrivaient en nombre, s’approchaient suffisamment pour lancer leurs gaz, tuaient le ou les fermiers puis détruisaient tout. Don avait pu voir quelques images floues transmises par radio. C’était impressionnant. Au début, aucun fermier n’avait pu ou su réagir. Et puis, un fermier plus créatif avait réussi à tenir une heure en éloignant suffisamment les envahisseurs. Il avait réussi à bricoler une espèce de canon à eau qui les tenait suffisamment à l’écart pour ne pas pouvoir lancer leurs gaz. Mais ses réserves d’eau s’étaient épuisées et il avait été anéanti comme les autres.

Sur son modèle, plusieurs fermiers avaient réussi à bricoler des armes artisanales, mais elles ne tenaient pas bien longtemps. Don avait été plus chanceux. Il faut dire que la ferme où était Don était spécialisé dans le maïs : maïs délicieux d’ailleurs, se dit-il en regardant avec envie ses trois derniers épis. Et les épis qui poussaient ici étaient si gros ! Disproportionnés, en fait. Les fermes spécialisées en salades n’avaient pas eu autant de chance. Car l’épi de maïs faisait un très bon projectile. Il pensait que les fermiers en pommes de terre avaient aussi de la chance, mais on ne pouvait être sûr de rien, maintenant que les communications radios étaient complètement coupées. Ce qui voulait dire que toutes les fermes à portée de radio avaient été détruites.

Il avait donc bricolé un canon à épis de maïs et bombardait depuis trois jours les hordes d’assaillants. Au début il avait eu du mal à régler la distance, car on ne s’improvisait pas canonnier en maïs du jour au lendemain. Il voulait surtout les tenir à l’écart suffisamment longtemps pour qu’ils ne puissent pas lui lancer de gaz et pour que les secours arrivent, avec la relève de la garde. La relève était prévue maintenant pour dans une heure ou moins. Si seulement il avait eu un peu plus de maïs !

Chaque épi lancé tuait plusieurs attaquants, car il était lancé avec force par son canon et éclatait en arrivant, chacun des grains pénétrant profondément dans le corps de ces êtres fragiles. Fragiles, oui, mais si nombreux...

Le jour allait bientôt se lever et Don savait qu’ils allaient recommencer à attaquer. Ils connaissait leurs tactiques maintenant. Elles étaient simplistes et auraient été faciles à déjouer avec plus d’épis.

Don prit ses jumelles et attendit que le premier groupe approche. Les trois épis étaient dans ses trois canons, pointés exactement où ils allaient attaquer encore une fois. Il espérait tant que la relève arrive un peu plus tôt.

Mais la relève arriva trop tard. Le commandant Piggyou avait eu beau déployer toutes ses armes et tous ses capteurs en sortant de l’hyperespace, plus aucun signal n’était visible nulle part sur la planète. Ils ne détectèrent qu’un tout petit éclair - le dernier tir d’épi de maïs de Don - puis plus rien. La planète était silencieuse. Ils ne purent même pas se poser sur l’astroport car l’air y était saturé de gaz mortels. Le commandant Piggyou conféra quelques instants avec le haut commandement. Ils allaient envoyer des vaisseaux militaires pour reconquérir la planète, mais cela prendrait du temps. Et pendant ce temps, la galaxie allait devoir se serrer la ceinture.

Piggyou se tourna vers son second : « Comment cette espèce a-t-elle pu prospérer sans qu’on ne se rende compte de rien, Piggylon ? »
- C’est incroyable, commandant. On n’en avait laissé survivre que quelques milliers et les autres étaient en élevage. Ils ont dû se reproduire comme des humains.
- Comme des humains ? Quelle horreur ! On n’avait pas besoin d’une autre espèce aussi abjecte !
- Oui commandant. Il va falloir les éradiquer tous, ici, une bonne fois pour toutes.
- Oui, Piggylon, c’est certain. Après tout ce n’est qu’une espèce inférieure, comme les fourmis. Nous devons les éliminer tous, même si leur chair est délicieuse, foi de cochon !


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire