jeudi 25 octobre 2018

Le poids des mots, le choc des enregistrements audio et vidéo, en Arabie Saoudite

Vous êtes au courant de la mort du journaliste saoudien dans l'ambassade d'Arabie saoudite en Turquie. Grand sujet dans les médias et dans les cabinets ministériels et politiques. Faut-il réagir et comment ? Chacun y va de ses mots (ou de ses absences de mots, comme Macron qui a pris le temps de réfléchir aux conséquences industrielles et financières d'une brouille avec ce royaume religieux et pétrolier, ou comme Trump qui pense avant tout aux élections locales dans deux semaines). Nombreux sont ceux qui se déclarent choqués, comme si c'était le pire acte jamais commis par des services secrets (Haha). Peu nombreux sont ceux qui proposent des actions.

En lisant cet article je m'interroge sur les mots : incident haineux ou crime (ou les deux mon colonel) ? Si MBS, le prince en vogue et héritier possible d'un roi vieillissant a dû prononcer de tels mots, il faut les décrypter.

Rien ne doit conduire à lui, évidemment, et tout doit s'arrêter à des fusibles intermédiaires qui auraient outrepassé leurs droits ou mal compris les ordres. MBS n'aurait pas été informé de l'opération contre Khashoggi. Dans un régime, quel qu'il soit, les plus hautes autorités sont toujours protégées par des fusibles. C'est vrai partout ou presque et notamment dans les régimes autoritaires, ou les dictatures, ou les royaumes. Rien de surprenant là-dedans. Comme par ailleurs ce royaume ultra conservateur a d'autres caractéristiques bien connues, il est délicat pour les hommes publics de prendre position de manière brutale et entière.

On peut citer en vrac : la guerre au Yemen contre les rebelles soutenus par l'Iran, les relations religieuses ente les diverses branches de l'Islam, le pétrole, les pétrodollars, les ventes d'armes de toutes parts, les libertés (ou l'absence de) dans un pays considéré par beaucoup comme rétrograde, la vitesse (ou la lenteur) des réformes dans un monde immobilisé, la complexité d'une famille royale et d'une noblesse qui aime à se jauger en permanence, la situation au Moyen-Orient et au Proche-Orient avec les grandes puissances internationales qui y jouent comme à un jeu de rôle... J'ajouterais le pas de côté de l'Arabie pour adhérer à la Francophonie (j'y vais, j'y vais pas) au dernier Sommet de la Francophonie, demande finalement repoussée au prochain Sommet, à la demande expresse du Canada qui a ainsi en partie monnayé le retrait de son soutien à Michaëlle Jean. Vive la politique internationale, ne soyons pas dupes, c'est un mal nécessaire mais très au-dessus de nous.

Revenons à ces mots : un incident haineux ou un crime haineux ? La presse mélange les deux, mais en diplomatie les mots sont importants. Ils doivent contrebalancer les preuves matérielles, comme ces enregistrements audio réalisés illégalement par la Turquie dans une ambassade étrangère et que personne ne doit entendre, puisqu'ils n'existent pas. Enfin, presque personne, puisqu'une diplomate américaine (cheffe CIA) les a entendus et qu'elle devra témoigner devant une commission parlementaire. Il y a plein d'autres preuves, puisque les membres du commando ont été arrêtés.

Mais les mots sont encore plus importants. Un incident ? Réellement ? Un incident comme quand vous vous cassez un ongle dans une porte ou comme quand vous laissez tomber un verre sur le tapis et qu'à la fin, non seulement votre tapis est sali mais en plus le verre s'est cassé et que vous devez ramasser un à un les morceaux, le plus discrètement possible ? Un incident dans un long parcours, la vie étant un long fleuve tranquille dans lequel seuls quelques incidents surnagent ?

Même pas un accident, mais un incident. Rien, en définitive. Une poussière sur l'épaule de mon costume Dior. Un crime oui, incontestablement, et non une rixe qui a dégénéré, mais un crime seulement au niveau intermédiaire des boucs-émissaires. Plus haut, c'est quoi, au niveau de la famille royale ? Un incident. Rien de plus. L'adjectif haineux est ici presque synonyme de bête. Il aurait été tellement plus facile de faire autrement...

Juste un incident, vite oublié.

PS : vous vous souvenez de cette citation de l'abbé Pierre ?
La responsabilité de chacun implique deux actes : vouloir savoir et oser dire.

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