mercredi 24 octobre 2018

Métonymies de l'Internet : Halte !

Vous connaissez ces expressions ? "Comment internet a réagi" "Les réseaux sociaux se sont emparés de cette histoire" "la haine des réseaux sociaux" "Quand Internet s'est emparé de" "Twitter s'enflamme"...

Naturellement, ni Internet, ni internet, ni les internet, ni Twitter, ni les réseaux sociaux ne sont des êtres et ils ne peuvent donc réagir ou s'enflammer.  Pourtant ces ellipses, ces métonymies sont courantes dans notre langage, dans les médias.

On devrait parler des personnes (anonymes, cachées ou non) qui utilisent ces outils pour réagir ou s'enflammer. La métonymie est pourtant une pratique de plus en plus courante, dans une société où l'on aime passer rapidement sur chaque chose et y passer le moins de temps possible. C'est une figure de style classique. Elle a une valeur certaine quand on la maîtrise, bien que je préfère le zeugme, moi qui aime les bêtises d'internet et de Cambrai.

Mais en l'occurrence, appliqué à l'Internet et à ses utilisateurs, la métonymie prend une autre ampleur. Car en confondant le media, les mots et les auteurs on fait le lit d'un extrémisme simplificateur comme si on se couchait devant quelques connards à l'ego surdimensionné. Lorsque l'on buvait un verre au comptoir d'un bar et qu'on écoutait le mec d'à côté dire ses conneries matinales comme on ferait son jogging, on se sentait humain, cela ne sortait pas de ce bar. Conversations et bruits quotidiens dans des endroits neutres et sans écho. Mais lorsqu'on lit la même connerie diffusée anonymement ou presque sur un réseau social, devenue virale et reprise en boucle par d'autres connards, on découvre une autre réalité. L'internet et ses avatars est un lieu réel, mais dont les pièces sont bien plus grandes que votre bar du matin, avec beaucoup plus de monde et donc plus de connards.

Les vieux briscards de l'Internet savent bien faire la différence, en tous cas pour certains d'entre eux. Les jeunes moins. Et en cas de problème (il y en a tous les jours) nombreux sont ceux qui décident de quitter ce lieu virtuel pour ne pas se trouver confrontés à ces délires. Fuir plutôt que combattre...

Alors cette métonymie n'est pas neutre. Dire que Twitter s'est enflammé sur un sujet, c'est faire comme si un consensus mondial s'était établi autour de ce sujet (avec plus de contre que de pour, en général), et comme s'il faisait autorité. Souvent, en faisant de l'archéologie internettienne on découvre à la source un seul tweet. Les décodeurs et autres explorateurs de la bêtise humaine arrivent de temps en temps à identifier l'origine de telle ou telle polémique. On tombe alors sur des auteurs anonymes (au sens de non connu des médias, d'un membre d'une foule sans caractéristique spéciale) ou anonymes (qui se cachent derrière un pseudo cryptique ou cynique). Comme si le caractère d'anonyme procurait un sentiment de représentativité du Peuple. Comme si les manipulations étaient obligatoires, chacun pouvant espérer manipuler l'autre, sans aucun risque de sanction.

Il est vrai que dans une foule de gens normaux et divers, il suffit souvent d'un seul connard pour changer l'atmosphère, alors qu'un mec bien ne sera même pas remarqué, sauf si un incident violent se produit et que les deux sont en face l'un de l'autre. Sur l'Internet, c'est toujours le connard, le hater, qui a raison et qui a le plus d'impact. Toujours.

Alors oui, confondre les individus et les lieux où ils s'expriment est néfaste. C'est un amalgame détonnant. Sur l'Internet, chacun avec nos multiples identités, ce mélange est explosif, encore plus qu'au comptoir de votre bar favori. Et cela va beaucoup plus loin que les fake news, pour lesquelles j'ai appris récemment que la commission française de terminologie proposait une traduction créative : infox. Infos ou Infox ? Une seule lettre de différence. Il est si facile de ne pas la voir cette différence : entre vrai et faux, virtuel et réel. Comme quoi, il est important de voir et de reconnaître le langage qu'on utilise, ainsi que ses effets pervers. C'est pourquoi je m'exclame :

Non à la métonymie !

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