mardi 5 mars 2019

Petite analyse de la Grande tribune de Macron sur l'Europe

Bonjour, ou plutôt BonGrandJour. Macron a officiellement lancé son plaidoyer pour l'Europe ce mardi, avec une tribune en 22 langues (officielles en Europe). On la trouve dans les grands titres de la presse européenne, mais aussi sur le site de l'Élysée, évidemment, et dans toutes les langues : bienvenue aux centres de langues qui ont ainsi un bel exercice de traduction et d'adaptation.

Quelques commentaires, sur la forme d'abord :

- Un usage remarqué des majuscules puisqu'il parle de Renaissance européenne, donc en référence à la seule et à l'unique Renaissance (celle autour de laquelle l'Italie et la France se battent pour les oeuvres de Leonard de Vinci ?) et pas simplement d'une renaissance banale et même annuelle. Un moment clé, donc. Un appel à l'urgence, à l'Urgence. Vous remarquerez que dans la version anglaise, il ne parle que de "renewal"...
- Il parle aux citoyens. Le masculin emporte le féminin, comme on dit souvent, non ? C'est un raccourci commode, semble-t-il...
- Il n'utilise que six fois le pronom "je", ce qui est une amélioration par rapport à ses discours habituels. De là à identifier un changement de ton, il ne faut pas rêver non plus.
- En mettant en avant le Brexit comme le contre exemple parfait de ce qu'il faudrait faire (yaka) Macron pointe du doigt certains populistes, exploiteurs de colères et manipulateurs. Il ne parle pas des autres pays qui sont aussi assez anti-européens, pas la peine de mettre de l'huile sur le feu.
- En vantant la méthode des "grandes conférences" il cherche à remettre l'Europe au travail et autour de tables où discuter. Une méthode qu'il avait un peu oubliée en France avant les Gilets jaunes.

Sur le fond, il propose un plan en trois parties : défendre notre liberté, protéger notre continent, retrouver l'esprit de progrès.

- S'occuper du financement des parties et du bannissement de la violence sur Internet est un voeu d'impuissance. La liberté de l'homme, comme il dit sans majuscule, passe-t-elle vraiment par un bannissement de la haine, par une Europe sans critiques ? La haine et la violence sont inhérentes à l'homme depuis un certain temps déjà, je crois savoir. Bannir de tels discours, c'est fermer la porte, mais quid des fenêtres, des cheminées et des tuyauteries nombreuses sur l'Internet, qu'il soit mondialisé ou très localisé ? Le respect est-il possible en interdisant la violence ou en lui coupant la langue (et les doigts sur le clavier) ? Un beau sujet de philo, mais au plan politique, un combat étrange : échanger une liberté contre une autre ? Définir soi-même les limites de certaines libertés ?

- Pour la protection de l'Europe à l'intérieur de ses frontières, Macron mentionne les droits et les devoirs pour faire partie d'un espace Schengen remis à plat, ce qui inclut des règles communes pour le droit d'asile. Des règles communes ? Ne risque-t-on pas alors d'avoir le plus petit dénominateur commun, c'est à dire pas loin de zéro ?

- Il prône une défense européenne coordonnée (en incluant quand même l'OTAN, les autres pays européens et le Royaume-Uni déjà Brexité dans sa tête.. quoique... lire la fin). Il milite pour une clause de défense mutuelle rendue opérationnelle, histoire d'embêter les russes pour la partie Europe de l'Est. On dirait un discours des années 30 avant la deuxième Guerre mondiale.

- Il prône un marché commercial européen qui se protège et se choisit en priorité comme fournisseur : oui au protectionnisme de l'Europe en entier, non aux protectionnismes nationaux. Une ligne délicate, non ? Car qui définit alors les règles de la concurrence saine ? Chacun ou tous ensemble ? Une manière quasi subliminale de mettre l'Europe au coeur des grandes puissances, un endroit qu'elle a quitté il y a bien longtemps, aux côtés des USA, de la Chine et de la Russie, en attendant d'autres puissances émergentes à venir.

- Le progrès pour Macron, c'est un bouclier social européen. En souhaitant privilégier la convergence (pas la coïncidence) plus que la concurrence, il suppose que l'état du marché est actuellement favorable à un tel mouvement. Lorsqu'on voit les bases sur lesquelles le marché européen a été construit, on peut douter de la capacité de l'Europe à s'auto-réguler en ce sens. Pourtant, il a raison. On ne peut faire autrement. Tout dépend du curseur, du niveau de bouclier, entre des pays ultra-libéraux et des mouvements égalitaires un peu partout. Ou au moins équitables !

- Le climat pour mandat ? Une jolie expression, mais tellement différente de la réalité actuelle. Le Parlement européen, que nous allons élire fin mai est déjà très favorable à beaucoup de mesures écologiques, mais cela ne suffit pas puisque les chefs d'Etat et la Commission européenne traînent ensuite des pieds, compte tenu des pressions subies à la fois par les lobbies collectifs et par des citoyens apeurés.

- L'innovation pour créer du travail ? Oui, certainement. Banal et dans tous les discours. Pas de contenu réel ici pourtant au-delà d'une augmentation du budget. Bizarre, non ? Une grande clarté pour réguler les géants du numérique, mais pas d'appel à la création de géants européens... 

- Je cite : "Une Europe qui se projette dans le monde doit être tournée vers l’Afrique, avec laquelle nous devons nouer un pacte d’avenir. En assumant un destin commun, en soutenant son développement de manière ambitieuse et non défensive : investissement, partenariats universitaires, éducation des jeunes filles…" L'Afrique ! Le seul continent cité ici, en assumant un destin commun qu'on espère de nature différente de notre passé commun, si tant est qu'on puisse utiliser le mot "commun" ici. On notera quand même les priorités : l'investissement qui suppose une rentabilité (pour qui ?), le rôle des universités au service d'un développement co-construit, et la place des femmes à travers leur niveau d'éducation. Intéressant. On connait le tropisme de Macron pour ces sujets. En voici une autre preuve, qui parlera pourtant moins à beaucoup d'autres pays européens.

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Dans ce contexte, il cherche clairement à ancrer dans les têtes l'idée d'une Europe à plusieurs vitesses, chacun à son rythme, en incluant même le Royaume-Uni dans une nouvelle configuration. En ayant ainsi encadré son discours par le Brexit (avant et après) il a choisi son bouc-émissaire, tout en laissant "en même temps" la porte ouverte pour un retour. Une tribune dans l'actualité, donc.

Finalement, qu'en retenez-vous ? Une envie d'aller voter pour la liste LREM en France ? Pour des listes partenaires en Europe ? Un besoin pressant de ne pas aller voter ou d'exprimer une colère pour des petites listes qui ne seront pas représentées ? Une envie, de droite, de gauche ou d'uppercut ?

Les réactions seront nombreuses et forcément crispées. Macron est en campagne. C'est ce qu'il aime faire le plus, et peut-être ce qu'il fait le mieux.

PS : Un dernier conseil ; Allez voter le 26 mai (en France) ou du 23 au 26 mai dans les autres pays.


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