dimanche 19 janvier 2014

Du temps de cerveau pour une … nouvelles dix huîtres

Il était une fois un petit royaume, ancien et respecté de tous, le Rians. Tout y était enchanteur. La reine était belle et sa fille, la princesse héritière, encore plus. Le pays était riche et ses terres fertiles. Les royaumes voisins commerçaient agréablement avec lui. Les habitants semblaient heureux et souriants et l’armée ne comportait que dix-huit militaires, tous joliment habillés et qui n’avaient rien d’autre à faire que de garder le palais et la porte d’entrée dans le pays.

Car le petit royaume était bien isolé, entouré de montagnes infranchissables qu’il était. Seule une passe étroite lui permettait d’avoir accès au royaume voisin, au-delà des montagnes. Cela pourrait vous sembler gênant et source de conflits, mais tout se passait bien depuis des siècles. Le royaume voisin avait tout à gagner à profiter des produits de Rians et les échanges étaient fréquents. Les mariages aussi, car les jeunes habitants des deux royaumes, nobliaux ou paysans, étaient fort beaux.

Mais je m’aperçois que je ne vous ai pas parlé du Roi de Rians. Il s’appelait, au moment où débute notre histoire, Dumette. Et ce roi avait commencé par régner paisiblement, sans souci, avec sa très belle femme et son encore plus belle fille. Tout avait basculé le jour où un baladin était arrivé, chantant des chansons et distribuant des cadeaux aux belles jeunes filles. Somble était un chanteur très doué et il eut tôt fait de séduire la belle princesse. La reine mère était aussi sous le charme et commençait à se dire qu’un peu de sang frais dans la vallée ne serait pas de trop. "Dommage qu’il ne soit pas noble", soupirait-elle. Car elle connaissait bien son mari Dumette Rians et savait qu’il serait intransigeant sur ce point. Le roi avait pourtant reçu également un cadeau de Somble : une bourriche d’huîtres venues de loin, fraîches et gouleyantes. Le roi avait beaucoup apprécié les huîtres qu’il n’avait jamais mangées auparavant et ce fut pour lui une vraie découverte.

Mais malgré les coquillages, le roi n’avait pas été séduit par le baladin et il décida de chasser le jeune homme au bout d’une semaine, en lui interdisant de revenir au pays, ce qui serait d’ailleurs facile à contrôler puisqu’il n’y avait qu’une seule porte. Somble n’était pas content, mais il dut se plier à la volonté du roi et n’eut même pas le temps de faire ses adieux à la princesse.

Satisfait de lui, le roi venait donc de rentrer en son palais et appela son cuisinier : « il me faut des huîtres dès demain sur ma table, ainsi que d’autres coquillages, et tous les jours ! A n’importe quel prix ! ». Le cuisinier n’avait jamais vu d’huîtres non plus auparavant mais il répondit le « Oui Sire » d’usage et se mit en marche vers le pays voisin pour y acheter des huîtres. Il franchit sans encombre les deux portes - une dans chaque royaume - et se retrouva au marché de l’autre côté. Même s’il n’était pas très sûr de reconnaitre ces coquillages et surtout leur qualité, il arpenta le marché pendant une heure avant de se rendre à l’évidence : aucun coquillage !

Il décida d’aller rencontrer le cuisinier en chef du palais, avec qui il commerçait parfois. Entre chefs on se rend des services ! Le cuisinier d’outremontagne lui avoua qu’il n’avait jamais vu d’huîtres non plus, jusqu’à la semaine précédente où un baladin en avait apporté au roi. Mais le roi n’avait pas aimé et l’avait renvoyé. Le cuisinier de Rians était bien embêté. Il semblait que ces huîtres venaient de très loin et qu’il n’y en avait pas du tout dans la région, il est vrai très montagneuse et très, très loin de la mer où « grandissaient » ces huîtres étranges. Le baladin avait disparu et personne ne savait comment il avait pu apporter des produits frais d’aussi loin jusqu’ici.

Le cuisinier rentra donc à Rians, prêt à se faire enguirlander par le roi. C’est ce qui se produisit d’ailleurs et le roi fit proclamer partout dans le royaume qu’il donnerait une forte récompense à celui qui lui apporterait des huîtres et qu’il l’anoblirait. La nouvelle se répandit également dans le royaume voisin et son roi vit là une opportunité. Il fit rechercher partout le baladin, mais celui-ci semblait déjà avoir disparu. Il fit alors passer le mot, de proche en proche, à tous les autres royaumes, jusqu’à la lointaine mer dont ils avaient entendu parler. En attendant il bloqua la porte vers le royaume de Rians et annonça à Dumette qu’il ne la rouvrirait que lorsque ce dernier lui donnerait sa très jolie fille en mariage, et qu’il apporterait ce jour là des huîtres pour le banquet.

Dumette fut surpris de cette tension subite, mais il ne pouvait pas faire grand chose. Sa reine et sa fille étaient effondrées, car le roi voisin était très moche. Dumette Rians essaya d’envoyer des militaires et des bergers au-delà des montagnes par des chemins détournés, mais aucun ne revint : le passage était trop difficile.

Au bout de quelques semaines, la population commença à gronder. La fermeture des portes empêchait tout commerce et toute relation avec les royaumes voisins. La tension montait chaque jour et même la reine s’en rendait compte. Un matin, la princesse et sa mère vinrent voir le roi et le supplièrent de céder. Elles avaient trop le sens du devoir pour laisser tout ce temps souffrir leur peuple. Il devait tout faire pour rouvrir les portes et empêcher la guerre et la famine. Après tout c’était un beau parti et ce mariage aiderait certainement Rians à consolider les liens pour longtemps. La princesse pleurait.

Devant un tel sens du sacrifice - et aussi une envie de plus en plus forte d’huîtres - le roi se décida à céder et le mariage fut fixé au lendemain midi.

Pendant ce temps le roi d’outremontagne avait envoyé plusieurs messagers avec l’espoir de rapporter des coquillages et il avait eu le plaisir d’en voir un revenir, juste quelques jours auparavant avec un sac plein d’huîtres. Il était donc prêt à honorer sa part du marché et quand il reçut l’invitation de Rians, il partit d’un grand rire. Sa victoire avait été si facile !
Il décida, dans un grand geste de magnanimité d’envoyer les huîtres dès le lendemain matin, pour que les deux cuisiniers réunis aient le temps de les préparer et se mit en route en fin de matinée, précédé de sa garde d’honneur. Il était tout sourire mais celui-ci s’effaça quand il trouva la porte fermée, du côté Rians. Dumette était de l’autre côté, furieux et écumant. Les huîtres étaient renversées devant la porte et elles dégageaient une odeur épouvantable. Dumette ne décolérait pas, on allait voir ce qu’on allait voir, ce serait la guerre, il s’était senti insulté de recevoir des coquillages pourris, on voulait l’empoisonner et il exigeait des excuses.

Lers deux rois se toisèrent un long moment et chacun repartit de son côté. La princesse et sa mère étaient effondrées et les militaires avaient du mal à retenir une foule très agitée. Il va sans dire que les portes étaient maintenant fermées à double tour de chaque côté et que la situation empirait de jour en jour.

Cela dura une semaine exactement.

Puis à midi le dimanche suivant, à midi exactement, alors que le roi de Rians et sa famille déjeunaient, maussades, sur la haute terrasse de leur château, un étrange oiseau apparut dans le ciel. Cet oiseau était passé au-dessus des montagnes et l’on entendait un chant mélodieux. Il volait vite. Plus il se rapprochait, plus il ressemblait à un cerf-volant, mais en plus grand, et visiblement sans ficelle pour le tenir. Ce n’est que lorsqu’il atterrit en douceur sur la terrasse qu’ils reconnurent le baladin.

Celui-ci se dégagea souplement de son engin, offrit une rose à la princesse, un bouquet à la reine et une bourriche au roi. Cette dernière fleurait bon la mer et les huîtres semblaient très fraîches.



La suite de l’histoire est sans intérêt : le roi de Rians anoblit le baladin, le maria à sa fille et entreprit la construction de centaines d’engins volants avec lesquels il conquit le royaume voisin, bannit son méchant roi et installa sa fille et son mari à la tête de ce royaume. Depuis ce jour, le royaume connait une nouvelle activité très florissante, Rians Express, de transport rapide de produits frais au-delà des montagnes et jusqu’à la mer. Et les huîtres sont devenues le plat national.





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