lundi 2 juin 2014

A qui appartiennent les archives ?

Bonne question. Pas à Google même s'il a fait le choix de les stocker pendant longtemps sur ses serveurs et que le droit à l'oubli est encore tout neuf, on en parlait ici samedi. Pas à ces multitudes de serveurs regroupés dans des "data centers" géants qui archivent plein de choses à votre insu. Pas à "The Internet Archive" qui permet de voyager dans le temps et de voir certains sites internet comme ils étaient il y a plusieurs années pour le plaisir des yeux.

Prenons un exemple dans l'actualité :

Ce cher Monsieur Guéant a plaidé une drôle de cause à propos de son rôle (et de celui de l'Elysée de Sarkozy, dans l'affaire Tapie - Crédit Lyonnais. Il accuse l'Elysée de François d'avoir livré à la justice des documents issus des archives de l'Elysée, du temps de Sarkozy. Il dit que ces archives appartiennent soit à leurs auteurs soit aux archive nationales.

L'Elysée a répondu par un communiqué en rouge (énervé ?) sur son site : "A la suite des déclarations de M. Claude Guéant de ce jour, la présidence de la République rappelle que, dans le cadre de l’instruction suivie par le juge Tournaire et sur la demande expresse de ce dernier, elle lui a communiqué les seuls éléments d’information requis qui se trouvaient disponibles dans les services de l’Élysée. La présidence de la République a ainsi agi dans le strict respect de la loi et des réquisitions de l’autorité judiciaire."

L'argumentaire de M. Guéant, haut fonctionnaire et ancien patron de l'Elysée, est pour le moins étrange. En accusant l'Elysée actuel d'avoir livré des archives, il dénie tout droit à la justice d'enquêter sauf à perquisitionner chez les différents auteurs (et il y en a beaucoup dans une telle administration) ou sauf à faire des demandes complexes aux archives nationales qui reçoivent de tout. Comme si les documents publics appartenaient à leurs auteurs et non au domaine public, avec des degrés plus ou moins grands de confidentialité.

Chacun a des attitudes différentes face aux archives. M. Guéant avait vidé les armoires de l'Elysée en partant, mais visiblement certains documents avaient été oubliés. Est-il furieux pour cette "trahison de l'Elysée actuel" ou parce qu'ils avaient laissé malgré eux quelques documents ? Dans un autre registre vous vous souvenez peut-être que lorsque Giscard a quitté l'Elysée pour laisser la place à un certain François Mitterrand, il avait tout versé aux archives nationales, y compris des notes personnelles, des listes de courses et des mots griffonnés, avec un grand sens de son ego. On a le sens de l'Histoire qu'on peut, mais entre ne rien laisser et tout laisser il y a certainement un équilibre à trouver.

Au-delà du travail futur des historiens qui auront du mal à travailler sans archives, dans un monde de plus en plus numérisé et avec une durée de conservation très courte, il y a la continuité du service public : qu'on parle de justice comme dans le cas Guéant, ou de suivi administratif de dossiers cruciaux, la notion d'archive semble en perte de vitesse. On entend de plus en plus de dirigeants faire comme si c'était la première fois que ceci ou cela arrive. On entend les journalistes vanter les mérites de Twitter pour capter l'instant immédiat (dans ce qu'il a de plus instantané). On entend même les analystes ressasser à chaque fois quelques faits issus d'analyses antérieures, au risque de bâtir des pyramides invraisemblables qui risquent de dévier à tout moment de la réalité. Le succès des décodeurs et autres comparateurs entre ce qui a été dit et ce qui a été réalisé, ou entre info et intox, ne se démord pas. Les archives jouent finalement un rôle très faible là-dedans.

La réalité n'est pourtant pas travestissable comme une vulgaire image Photoshoppée afin d'enlever quelques points noirs sur le visage d'un mannequin ou un individu gênant dans le fond qui a perdu sa place dans la Cour du Monarque. Il est indigne de se plaindre de l'usage d'archives. Ceux qui détiennent le pouvoir, et plus particulièrement le pouvoir public, doivent respecter les archives et leurs usages a posteriori. Quand on parle de redevabilité et de responsabilité, il faut se faire humble.

Nous avons besoin d'une justice indépendante des autres pouvoirs.

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