Mario finissait de siroter son verre de pastis et se demandait s’il allait s’en servir un autre quand il entendit la sirène. Il se demandait toujours s’il allait s'en resservir un nouveau quand il finissait un verre et c’était devenu un petit jeu privé entre lui et lui seul. Il se resservait toujours. En fait il avait toujours devant lui un verre de pastis, sauf quand il dormait et quand il travaillait. Il dormait peu, le pastis remplissant tous ses besoins, et il travaillait encore moins.
Mario avait fait des études quand il était plus jeune. Malgré son addiction au pastis, il avait réussi brillamment à obtenir son diplôme de chimiste, poussé par une motivation exceptionnelle disaient ses professeurs. En fait il avait toujours voulu être capable de fabriquer du pastis pour être certain de ne jamais en manquer. Depuis, avec les années, il avait mis au point plusieurs formules - ou recettes si vous préférez - qui lui permettaient d’en fabriquer quel que soit l’endroit où il se trouvait. Evidemment il fallait toujours trouver de l’anis ou quelque chose d’équivalent, mais jusqu’ici il s’était toujours bien débrouillé. Pour l’alcool c’était un jeu d’enfant.
Depuis le début de la guerre avec les Zoomby il avait été évidemment enrôlé dans les forces militaires et comme on avait toujours besoin de chimistes à bord quand on arrivait sur une nouvelle planète, il avait été affecté à un vaisseau d’exploration, censé repérer de nouvelles planètes et voir si les terriens pouvaient en profiter dans leur lutte à mort contre les Zoomby. Mario trouvait ce métier parfait pour lui. La plupart du temps il n’avait rien à faire : pendant les longs voyages entre deux planètes, personne n’avait besoin d’un chimiste ; et une fois arrivé sur une nouvelle planète, il n’avait qu’à lancer quelques tests simples pour indiquer au capitaine si tout allait bien, puis il pouvait tranquillement se mettre à la recherche d’une plante anisée pour réassortir son stock. La vraie guerre semblait toujours se dérouler loin d’eux et Mario était très satisfait de la situation.
Il se resservit un autre verre de pastis, bien tassé, parce qu’il savait qu’il allait devoir passer un peu de temps sans avoir de verre devant lui. Il eut juste le temps de le terminer avant la deuxième sirène et se dirigea de son pas chaloupé habituel vers le sas de sortie. Il savait que ses camarades soldats avaient déjà disposé tout son matériel de test dans le sas, ainsi que sa combinaison. Cela ne le gênait pas de ne quasiment jamais voir les autres membres de l’équipage. Tout le monde semblait l’éviter, sauf le capitaine qui était bien obligé de le convoquer de temps en temps. Mario pensait que c’était à cause de l’odeur du pastis qu’il dégageait.
Arrivé dans le sas, Mario trouva ses affaires et s’habilla. Comme d’habitude, il y avait un petit mot écrit à la main et scotché sur sa visière. Celui-ci disait :
« Sergent Mario, Nous sommes sur la planète KZ32-3. Elle ressemble à la Terre. Je compte sur vous pour nous indiquer son statut. Capitaine Bros ».
Mario regarda par le hublot du sas pendant que celui-ci équilibrait les atmosphères et trouva que cette planète était très prometteuse. Elle ressemblait effectivement beaucoup à la Terre et même à sa région natale, à côté de Marseille au bord de la Méditerranée. La terre natale du pastis, songea-t-il. Un très bon signe !
Une fois sorti, Mario appuya sur le bouton unique de son appareil de test. Celui-ci réalisait des opérations très compliquées dont Mario avait oublié la plupart des mécanismes. Pendant qu’il attendait le résultat, Mario regarda autour de lui. Le paysage semblait prometteur. Tout-à-fait le climat propice à l’anis. Mario se pourléchait déjà les babines lorsque le voyant sur l’appareil s’alluma. Il était doré. D’un doré très appétissant même pensa-t-il. C’était la première fois qu’il voyait le voyant de cette couleur. D’habitude, quand la planète était adaptée aux humains, le voyant devenait vert. Vert avec des nuances plus ou moins soutenues suivant la capacité de l’atmosphère à assurer la survie des humains. Quand la lumière était plutôt rouge, il y avait danger. Mais Mario n’avait jamais vu le voyant briller d’une si belle couleur dorée, avec des reflets verts et jaunes qui lui rappelaient quelque chose.
Mario ouvrit sa poche et consulta le guide de l’expérimentateur pour y chercher la signification de cette couleur. Il n’y avait rien. Aucune couleur ne se rapprochait de ce qu’il voyait. En fait la seule couleur qui se rapprochait du voyant était… celle du pastis (avant qu’on ne le trouble avec de l’eau et des glaçons).
Mario, regarda un peu autour de lui et décida que quelque chose clochait. Est-ce que cela pouvait être un piège des Zoomby ? Ou pire, une de leurs planètes ? Les humains n’avaient jamais réussi à trouver leur planète et il ne savaient pas à quoi pouvait ressembler leur mode de vie. La guerre était une guerre impersonnelle à distance et aucune information ne transpirait. Mario frémit et décida de faire quelques pas pour aller voir un peu plus loin. Peut-être ses équipements étaient-ils perturbés par le vaisseau spatial ?
Mario s’éloigna donc du vaisseau de quelques dizaines de mètres, sans le perdre de vue toutefois. Il arriva au bord d’une belle étendue d’eau et appuya de nouveau sur le bouton. Au bout de quelques secondes, le voyant redevint doré, de la même couleur exactement. Mario n’en pouvait plus. Cela faisait au moins cinq minutes sinon six qu’il travaillait et qu’il ne pouvait pas boire de pastis. Il décida d’écourter sa mission et de laisser le capitaine décider quoi faire. Mais quand il essaya de le contacter par radio, rien ne se passa. Comme si tous les systèmes étaient morts.
Mario revint vers le vaisseau. Le sas était complètement ouvert, ce qui n’était pas du tout normal. En entrant dans le vaisseau il découvrit tous ses camarades morts, même le capitaine. Aucune zone du navire n’avait été épargnée. Tous arboraient des grimaces affreuses sur leurs visages. Leur morts avaient dû être violentes et rapides.
Mario n’était pas un guerrier. Il eut très peur et se dirigea rapidement vers sa cabine. Il avait besoin d’un pastis. De plusieurs en fait ! En quelques secondes, il avait enlevé son casque et s’était enfilé trois pastis. « Ouf, se dit-il. Ca va mieux ! »
Puis Mario regarda autour de lui. Il n’était pas mort et allait même très bien. L’air était chargé de petites particules brillantes et Mario reconnut des spores. Il en écrasa quelques uns entre son pouce et son index et se mit à les renifler. De l’anis pur. Un anis si pur qu’il n’en avait jamais goûté. Des millions de spores d’anis partout dans l’air !
Mario eut un grand sourire puis il sortit son nécessaire de chimie et se mit à fabriquer du pastis à partir de ces spores qui étaient partout autour de lui. Mario était un expert et cela ne lui prit que quelques minutes.
Mario tint devant ses yeux le verre de pastis nouvellement fabriqué. Il n’avait pas encore versé l’eau ni les glaçons. Et la couleur du pastis était exactement celle du voyant lumineux sur son appareil. Mario renifla et fut enthousiasmé par l’odeur. Ce pastis promettait d’être l’un des meilleurs qu’il eut jamais goûté, sinon le meilleur.
Mario versa un glaçon et de l’eau dans le verre, avec le geste souple d'un professionnel aguerri. C’était de l’eau de sa réserve personnelle. De la bonne eau de Marseille ! Le liquide dans le verre se troubla, comme tout bon pastis sait se troubler. Et Mario entendit un « pop ». Pas le « pop » du glaçon qui pète au moment où il touche le pastis, mais un « pop » qui venait de partout à la fois. Et tout d’un coup Mario vit tomber tous les spores qui étaient dans l’air. En une seconde, tous étaient par terre. Le verre de pastis contenait maintenant un liquide opaque couleur sang. La même couleur que sur le sol de sa cabine. Et ce liquide dégageait une odeur infecte. Mario lâcha le verre, interloqué.
A ce moment précis il entendit dans ses écouteurs des messages à la fois paniqués et euphoriques. Le second vaisseau d’exploration qui était resté en orbite essayait frénétiquement de joindre le vaisseau où se trouvait Mario, seul survivant maintenant. Et d’autres messages venaient du reste de la flotte expliquant que tous les vaisseaux Zoomby venaient d’exploser, partout. Mario ne comprenait pas tout mais il semblait que la guerre était terminée. Il comprit quand même que le deuxième vaisseau allait venir le chercher. Mais cela prendrait au moins une heure.
Alors Mario se déshabilla complètement et enfila un short. Quand les secours arrivèrent, il était installé au bord de l’eau, avec table et chaise (et même un parasol publicitaire venu d’on ne sait où) en train de siroter une bouteille de pastis. Une ancienne bouteille évidemment. Il était très détendu et regardait au loin. Vous connaissez cette pose. C’est celle de la statue du Libérateur sur la grand place de la capitale. Peu de gens se souviennent encore de la signification du 51 qui orne le parasol, mais tous nous célébrons celui qui a mis fin à la guerre et éliminé tous les Zoomby, directement sur leur planète natale.
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