Ce matin-là Firli se demanda brutalement si elle avait eu raison. Elle avait choisi une vie aventureuse au lieu de rester tranquillement chez elle avec ses soeurs, mais pour le moment on ne pouvait pas dire que tout se passait merveilleusement bien.
Evidemment elle était partie pour de bonnes raisons. Du moins s’en était-elle persuadée au début. Elle en était beaucoup moins sûre aujourd’hui. La nourriture commençait à manquer dans la vallée où ils étaient installés depuis des générations et elle était de moins en moins bonne qualité. Une invasion d’insectes rampants avaient visiblement détruit une bonne partie de leurs animaux favoris et rien ne semblait se profiler pour renverser la situation. Firli en avait longuement parlé avec sa famille mais personne ne voulait partir. Elle avait vite compris qu’elle s’en irait seule, si elle en avait l’opportunité.
Cette opportunité s’était présentée un jour en plein coeur de l’été. Un jeune garçon était passé en vélo sur la route dans la vallée, non loin de Firli. Elle avait projeté dans sa tête une furieuse envie de se rapprocher d’elle et cela avait marché. Il s’était arrêté et avait commencé à marcher vers elle. Plus il s’était avancé et plus elle avait pu le contrôler. En arrivant près d’elle il était complètement subjugué et elle n’eut pas à forcer son talent pour se retrouver quelques minutes plus tard, confortablement installée sur son vélo, avec tout ce qui lui était nécessaire pour voyager dans de très bonnes conditions. Le garçon n’avait pas dit un mot, mais Firli avait reçu des centaines de messages télépathiques de ses soeurs et de ses voisines : certains l’encourageaient mais la plupart essayaient de la conserver près d’elles. Sans effet car Firli avait pris sa décision et rien ne pouvait plus la détourner de cette aventure.
Le garçon l’avait conduite dans une très belle maison et l’avait installée là. Il était devenu son esclave et l’avait nourrie régulièrement. Mais au bout de quelques jours Firli avait senti que quelque chose clochait. Bien sûr le garçon lui était entièrement dévoué, mais l’environnement était triste. Il n’y avait rien à faire de toute la journée. Une fois le garçon avait amené un homme, beaucoup plus vieux. Il avait attentivement regardé Firli mais elle n’avait pas réussi à prendre le contrôle de son esprit. Il devait être beaucoup plus fort que le garçon. Firli avait eu ce jour-là sa première déconvenue. Elle qui croyait pouvoir voyager dans le monde entier et contrôler tous ceux qui passaient près d’elle se rendait compte que ce serait plus compliqué que cela.
L’homme était revenu quelques jours après et avait décidé de l’emmener. Firli avait laissé faire et son garçon n’avait pas protesté, à sa demande expresse. Elle s’était retrouvée dans une maison gigantesque, des dizaines de fois plus grande que celle du garçon. On l’avait installé dans une pièce très claire et on lui avait consciencieusement donné à boire et à manger. Plusieurs personnes différentes fréquentaient cette maison, mais toutes étaient aussi fortes et résistantes que l’homme. Firli n’avait jamais pu déclencher chez aucun d’entre eux un quelconque intérêt. Tout se passait comme si son pouvoir de contrôle était inopérant sur ces gens-là. Elle avait pourtant tout essayé. Et son moral avait baissé jour après jour.
Ce matin-là donc, Firli venait de décider qu’elle devait agir. Elle ne voulait pas rester dans ce lieu qu’elle avait appris à détester. Elle voulait absolument se prouver à elle-même et au monde entier qu’elle avait eu raison de se lancer. Elle prit un bon petit déjeuner, une double ration, et se prépara pour affronter la première personne qu’elle verrait en y mettant plus de puissance qu’auparavant.
C’est ce matin-là aussi que Flora décida de venir dans le magasin. Elle voulait acheter un cadeau pour sa mère et avait cassé sa tirelire. Elle n’avait pas choisi la boutique par hasard car elle connaissait les goûts de sa maman. Goûts qu’elle partageait d’ailleurs. Dès qu’elle franchit la porte, Firli sut qu’elle avait enfin trouvée une cible. Le premier regard de Flora pour Firli fut décisif. Firli contrôla instantanément Flora et lui indiqua quel était le meilleur cadeau possible pour sa maman chérie dans la boutique. Firli était heureuse d’avoir enfin trouvé quelqu’un qu’elle pouvait contrôler et Flora était émerveillée par le cadeau qu’elle ramènerait à sa mère avec Firli. En quelques minutes le cadeau fut emballé et Flora et Firli repartirent ensemble vers la maison de Flora. Personne ne les empêcha de sortir et Firli fut soulagée de quitter ce lieu décidément trop triste.
Quand les deux amies arrivèrent chez Flora, la mère de la petite fille l’embrassa sur le front et la remercia chaleureusement pour ce cadeau, en cette fête des mères. Puis toutes deux installèrent Firli dans la plus belle chambre de la maison, à côté de la fenêtre. Tous les matins et tous les soirs c’était Flora qui apportait son repas à Firli car, vous l’avez compris, Firli ne pouvait se déplacer seule. C’était une tare de naissance, mais cela ne l’avait jamais empêchée de s’épanouir. Firli pensait même que cette incapacité à se déplacer seule était ce qui l’avait amenée, elle et ses soeurs, à développer cette capacité à contrôler les autres. En tous cas c’est ce qui lui permettrait de faire venir à elle les animaux qu’elle mangeait. Leurs cerveaux étaient trop minuscules pour lui résister.
Flora avait un petit frère que Firli n’aimait pas. Il faisait trop de bruit et déplaçait trop d’air. Comme tous les mâles semblait-il. En particulier ce petit garçon avait un pistolet à plomb avec lequel il tirait sur n’importe quoi. Firli le contrôlait également, bien sûr, mais ce garçon ne l’intéressait pas. Il était décidément trop bête. Firli lui avait demandé de lui rapporter à manger, mais le garçon ne savait pas bien viser et les animaux étaient difficiles à tuer pour lui. Heureusement Flora était très douée et cela suffisait à Firli.
Jusqu’à ce jour où le petit garçon, inhabituellement rapide, blessa Firli en lui tirant un plomb. Sans faire exprès évidemment. Tout ça parce que Firli était trop occupée à mâchouiller son repas pour le contrôler totalement. La blessure n’était pas trop grave, mais elle allait laisser une cicatrice à Firli et celle-ci eut un soudain accès de colère. Elle força le petit garçon à sauter par la fenêtre. On était assez haut pour qu’il meure.
Firli fut satisfaite et continua tranquillement son repas. Il y avait bien quelques cris en bas, mais cela ne concernait pas Firli. Elle allait leur apprendre, non mais ! On ne devait pas se comporter n’importe comment avec une fleur carnivore !
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