dimanche 28 décembre 2014

Du temps de cerveau pour... une nouvelle fois sans garde

Prosper était né le 25 décembre et c’était bien embêtant. Pendant toute son enfance le mélange entre Noël et son anniversaire l’avait beaucoup perturbé. Il recevait évidemment moins de cadeaux que les autres enfants, du moins le croyait-il. En tous cas il n’en recevait qu’une fois par an et c’était bien embêtant. Ses parents étaient gentils mais en plus ils avaient choisi de l’appeler Prosper ce qui ne lui plaisait pas du tout. Un jour ils lui avaient expliqué qu’ils étaient conscients de la coïncidence entre Noël et sa naissance et que c’est pour cela qu’ils l’avaient appelé ainsi. Car la Saint Prosper est le 25 juin, soit le jour le plus éloigné de Noël dans l’année, ce qui leur permettait de fêter sa fête comme un anniversaire.

Prosper avait mis un peu de temps à comprendre mais avait trouvé ça sympa. Le seul problème était que ses parents, tous deux enseignants, oubliaient régulièrement de lui fêter sa fête, coincés entre les examens, les corrections et le bouclage de la fin d’année scolaire. En plus, à l’école puis au collège et au lycée, Prosper avait toujours eu un franc succès auprès de ses copains... et surtout des filles. Tout le monde se moquait en effet de ce vieux prénom. Et il n’en avait même pas un deuxième.

Prosper n’avait jamais cru au Père Noël, malgré le fait que les cadeaux du 25 décembre étaient emballés avec trois papiers différents : un censé être du père Noël, un pour Noël de la part de ses parents et enfin un pour son anniversaire. Très tôt il avait découvert la réserve de papier cadeau... avec les trois papiers... Mais Prosper était intelligent et pour ne pas détromper ses parents (et accessoirement continuer à avoir plus de cadeaux) il leur laissait penser qu’il croyait encore au Père Noël. Chaque année il écrivait sa liste et la confiait à sa mère pour qu’elle la poste, en essayant de ne pas faire trop de fautes car sa mère était prof de français. Il avait arrêté d’écrire au Père Noël à 8 ans, en tirant un peu sur la corde. Et puis il avait oublié tout ça.

C’est quelques semaines avant le Noël de ses dix-huit ans qu’il lut un article sur le web qui expliquait le fonctionnement des services qui traitaient les lettres adressées au Père Noël. C’était très impressionnant et il y avait une quantité énorme de lettres à traiter par la Poste en un temps record puisque chacune recevait une réponse, dès lors qu’elle avait une adresse de retour. Cela donna une idée à Prosper qui se décida à en envoyer une dernière au Père Noël cette année là.

Voici ce que Prosper écrivit :

Cher Père Noël,
Je ne t’ai pas écrit depuis dix ans et je ne le ferai plus après cette lettre.
Je proteste.
Au fond de moi, je sais bien que tu n’existes pas et pourtant je t’écris car je ne puis croire que tu te résumes à quelques chansons et à un service de la Poste qui lit tes lettres et répond des messages standardisés (quel message vont-ils me renvoyer, à moi ?). J’ai toujours su que tu m’en voulais. Mes parents sont gentils et ont essayé de me faire croire que tu m’apportais des cadeaux mais c’était bien eux qui les achetaient. Tu n’a d'ailleurs jamais répondu à mes lettres, ni toi ni la Poste...
Donc je voudrais, pour ce Noël que tu m’envoies un signe non ambigu de ton existence. Que tu aies trop de choses à faire pour t’être occupé de moi quand j’étais petit, je te le pardonne, tout en protestant. Mais tu devrais choisir : soit arrêter d’exister soit être plus présent. Le compromis ne sert à rien.
Alors pour ce Noël je souhaite la paix dans le monde et la fin de tous les racismes sur la Terre. Si tu es capable de m’apporter cela, je t’en remercie. Sinon, je saurai que personne d’intéressant ne lit ces lettres. Et que tu aies existé ou pas avant cette lettre, je saurai que tu n’existes pas à partir du 25 décembre, mon anniversaire.
Dans l’attente, respectueusement
Prosper

Prosper relut et corrigea plusieurs fois sa lettre, puis il la posta en écrivant sur l’enveloppe « Pour le Père Noël (le vrai pas celui de la Poste) - Confidentiel ». Il la posta dans une boite aux lettres banale de son quartier, et attendit. Et attendit.

C’est le 25 décembre au matin, dans sa chambre d’étudiant, qu’il reçut la réponse. Il était tôt - pour un étudiant surtout après le festin de la veille chez ses parents - c’est à dire exactement midi. Il dut se lever et enfiler un peignoir avant d’aller ouvrir. Il pensa que c’était peut-être un bouquet de la part de ses parents, comme à presque tous ses anniversaires précédents.

Prosper ouvrit la porte et se trouva face à un vieux monsieur barbu et tout en blanc. Mais alors tout ! Les cheveux et la barbe, les vêtements, les chaussures, même la peau. Prosper resserra son peignoir et déglutit

- Prosper ? demanda le vieux monsieur
- Gargggl ? réussit à bredouiller sur un ton interrogatif Prosper
- Ah, c’est bien ça ! dit d’un air satisfait son visiteur tout en se glissant avec souplesse dans la minuscule chambre. Il s’assit sur l’unique chaise, à califourchon et invita Prosper à s’asseoir en face de lui sur le lit. Prosper referma rapidement le lit et s’assit. Ces quelques secondes lui avaient suffi à reprendre un peu ses esprits.
- A qui ai-je l’honneur ? demanda-t-il à son visiteur blanc qui lui répondit du tac au tac
- Mais au Père Noël évidemment, qui d’autre ?

Prosper respira un grand coup.

 (Suite et fin dimanche prochain ;)

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