samedi 13 février 2016

Duel de crocodiles dans un marigot circonflexe

Les problèmes de simplification de l’orthographe sont éternels comme les immortels de la Coupole de l’Institut. Après les annonces fracassantes, qui n’en sont pas, de « réforme » de l’orthographe, voici que l’Académie française se réveille. Sa secrétaire perpétuelle (qui n’est pas plus perpétuelle que l’odeur du camembert le soir sur la plage, et qui n’était pas en place en 1990 lorsque cette proposition d’évolution a été avalisée par son prédécesseur, Maurice Druon, alors secrétaire aussi perpétuel que le bruit de la biscotte que mangeait Marcel Proust avant de la biffer d’un trait et de la remplacer par une madeleine), sa secrétaire perpétuelle, disai-je donc, vient de se placer violemment
contre toute réforme institutionnelle de l’orthographe, alors même que son institution y avait été associée.

Le temple du conservatisme de la langue française de France est en effet en pleine ébullition. Devant les multiples réactions contre (et un peu pour) ces évolutions, il fallait réagir avec force. C’est fait. On peut passer à autre chose... quoique...

L’Académie gère le dictionnaire de l’Académie. Jusque là, tout est normal. Les autres dictionnaires sont libres d’évoluer indépendamment de celui de l’Académie. Les pratiques aussi. En ayant été dépassée par cette vieille proposition de réforme d’il y a un quart de siècle, l’Académie avait alors prouvé son immobilisme, même si formellement le comité chargé de la simplification était présidé par Maurice Druon. Mme Carrère d’Encausse, la secrétaire perpétuelle comme le gazouillis d’un tweet sur la toile numérique du monde, dit « Je n’ai pas compris les raisons qui expliquent l’exhumation d’une réforme de l’orthographe élaborée il y a un quart de siècle » car « le problème n’est donc plus d’offrir des facilités aux élèves, de conserver ou non l’accent circonflexe, mais de revoir totalement notre système éducatif ». Elle se pose non seulement comme gardienne du temple mais aussi comme gardienne de la jeunesse et de l’éducation, voire de la société dans son ensemble. Cette réforme n’a pourtant rien à voir avec l’école. Oh les beaux gardiens...

Les propositions de simplification ne sont pas contraignantes et ne le seront jamais, c’est l’usage qui décidera. Petit problème alors si l’usage est celui des vieux académiciens ou celui des gens normaux. Qui détermine l’usage ? L’académie évidemment. La boucle est bouclée.

Les propositions de 1990 ont fait beaucoup jaser à l’époque et il a fallu attendre 2008 (Sarkozy) pour les remettre en selle, puis cette année, lenteur obligée des programmes scolaires et des manuels, pour que les éditeurs de ces manuels incluent les deux orthographes dans leurs éditions 2016-2017. Comment ? Quoi ? La langue serait définie par les éditeurs de manuels scolaires et pas par l’Académie ??? Quel scandale pour ces jeunes académiciens anti-marchandisation de la langue. S’ils pouvaient mettre un droit d’auteur sur les mots et leur orthographe, peut-être même le feraient-ils...


Un autre fait a son importance. La commission chargée à l’époque des ces propositions de simplification a simplement cherché, sur quelque 2400 mots à mettre de la cohérence, sans généraliser aucun principe. L’accent circonflexe, puisque c’est de lui qu’on parle le plus, ne disparait pas. Il se transforme en point quand il n’apporte rien. Une forêt par exemple reste une forêt et pas un foret à bois. Il y a eu beaucoup de mauvaise foi dans la présentation de cette soi-disant réforme, ce qui a accentué le bal des vierges effarouchées que vient maintenant de rejoindre Madame la secrétaire aussi perpétuelle que l’odeur d’un pet sur une toile cirée (quoique).

Et cette commission était composée de linguistes et de professionnels de la langue (pas d’académicien donc, car une tradition orale et secrète veut qu’aucun linguiste ou professionnel de la langue ne soit recruté à l’Académie qui pourtant en aurait bien besoin... Allez comprendre. Alors dirigée par Bernard Cerquiglini qui s’y connait en langue française (ancienne) et en OuLiPo, cette commission a, selon ses propres termes, erré sur certains points, dont l’accent circonflexe qui pourtant était (est) porteur de mémoire. Et les polémiques d’hier sont les mêmes aujourd’hui, avec les mêmes luttes entre linguistes et rois du langage. Juste un signe, en effet, que la langue est au coeur de notre culture. Et de la francophonie aussi, puisque ce débat a fasciné également au Québec ou en Belgique par exemple.

Quand aux oignons, la raison de l’orthographe sans i était à l’époque d’éviter la prononciation ouagnon... ce qui prouve qu’il n’y avait pas de vrai gens du Sud dedans, puisque dans le midi on dit bien des oignes (ouagnes). La juxtaposition de plusieurs orthographes troublera certains et réjouira d’autres. Ceux qui aiment jouer avec les mots. Dans la rue évidemment. Pas sous la Coupole des immortels, aussi perpétuels que le spot de publicité pour un nettoyeur de WC diffusé à 20h35.




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