dimanche 8 mai 2016

Du temps de cerveau pour... Un box

"Box 727". 

C'est tout ce qui est écrit sur le petit bout de papier qu'on vient de me remettre. Un peu laconique pour le plus grand concours mondial d'écrivains, je trouve. Je suis arrivé un peu à l'avance et la charmante hôtesse qui a pris mon nom et qui m'a donné le papier en échange avait encore le sourire. J'imagine dans quel état elles seront toutes à la fin de la journée. Épuisées certainement. Je ne suis pas particulièrement attendri par cette hôtesse. C'est son métier et moi je suis écrivain. Enfin... Je veux devenir écrivain et ce concours va me servir de tremplin. Si je réussis à aller en finale une belle carrière se profile devant moi. Et je suis optimiste. Je suis toujours optimiste ! Le temps de déposer mon manteau, car il fait froid dehors, entre les mains de la jeune fille du vestiaire, avec le numéro 727 évidemment, et je me dirige vers l'entrée du hall des écrivains.

Devant moi, il y a un grand plan et une petite foule de candidats qui se pressent pour localiser l'emplacement de leur box. Le plan est complexe mais bien organisé. Je ne mets qu'une minute à trouver le 727. C'est au septième étage comme je m'en doutais. L'immeuble est impressionnant avec ses 300 étages, j'ai de la chance d'être si bas. Je me dirige vers les ascenseurs et ai la chance de rentrer dans celui qui allait partir. Un bon signe. Mon sourire s'élargit.

En sortant de l'ascenseur, une hôtesse est devant moi. Elle prend d'autorité mon bout de papier et me demande de la suivre. Je lui souris. Un hôte s'occupe de la jeune femme qui est sortie en même temps que moi. Une candidate, de toute évidence. Nous entrons dans le même couloir. Mon hôtesse s'arrête devant une porte marquée 727. Les deux autres s'arrêtent devant la porte voisine, la 728. Un hasard intéressant. Un signe. Je décide que c'est un bon signe. Je salue d'une petite inclinaison de la tête l'autre candidate et entre dans mon box. Il y a une table, une chaise, une pendule, une pile de feuilles blanches, quelques stylos dans un pot et une enveloppe fermée posée sur la table devant la chaise.

Je regarde la pièce. La lumière est douce. Tout est calme. Rien ne vient déranger le regard. Une ambiance parfaite pour écrire. J'aime passer un peu de temps avant d'écrire, histoire de humer l'atmosphère d'un lieu. Je m'apprête à m'asseoir lorsque j'entends un petit grincement à côté. Puis un bruit mou et un autre grincement. La candidate du 728 vient de s'asseoir. J'écoute. La cloison est fine, très fine. J'attends un peu et je l'entends déchirer un papier. L'enveloppe certainement. Puis un petit sifflement. Elle vient de lire le sujet, je pense. Je l'imagine surprise. Tous les sujets de ce concours sont toujours très surprenants. Personne n'a le même sujet car chacun est choisi en fonction de la personnalité et de l'histoire du candidat. Un sujet pour nous mettre le plus possible en défaut. J'essaye d'imaginer le sujet qu'elle a eu. C'est une jeune femme très jolie, simple et élégante, avec des lunettes fines et une belle silhouette. Je me souviens avoir pensé qu'elle était très appétissante quand je marchais derrière elle dans le couloir. Mon hôtesse et son hôte, par contre, étaient tellement quelconques que je les ai déjà oubliés.

Je suis assis. Bizarre, je ne me souviens pas m'être assis. Il faut que je me reprenne. Je ne suis pas ici pour penser à la femme d'à côté mais pour remporter un prix dans ce concours. Si je me laisse distraire avant même d'avoir commencé, je suis mal parti. Je dois rester concentré. Je prends l'enveloppe dans ma main gauche et je m'apprête à l'ouvrir avec la main droite. Quand j'entends un frôlement à côté. C'est un bruit que je connais bien et qui m'a toujours fasciné. Le frôlement de deux jambes qui se décroisent puis se recroisent lorsque des bas les enserrent. C'est bien ma veine, me dis-je. Si en plus elle passe son temps à changer de position, je vais vraiment avoir du mal à me concentrer. Je pousse un soupir que j'arrête précipitamment en plein milieu. Puisque j'entends le frottement de ses bas l'un contre l'autre, elle entend forcément mes bruits. Ce soupir aussi, donc. Je suis tétanisé.

Il faut que je respire calmement. Je ferme les yeux et me mets en position de méditation. Cela ne me prend que quelques instants mais je me sens mieux. Je n'entends plus rien. Je suis dans ma bulle. Je suis prêt.

J'ouvre les yeux et déchire l'enveloppe. Sur la feuille qu'elle contient ne sont écrits que ces trois mots "cloison, hérisson, manteau". Je sais que je dois écrire une nouvelle avec ces trois mots, puisque la règle est identique pour tous, même si chaque candidat à des mots différents. Je prends une feuille blanche et la pose devant moi, ainsi qu'un stylo au hasard dans le pot. La pendule se met en marche toute seule. J'ai une heure.

Je me demande quels sont les trois mots de la candidate d'à côté. C'est ridicule, je sais, mais je ne peux pas m'en empêcher. Je n'ai pas eu des mots faciles - hérisson ??? - et je me prends à souhaiter qu'elle en ait eu de plus inspirants. Je ne l'ai vue que quelques secondes, mais je me mets à rêver d'une finale entre nous deux. Je souris. 

Encore faut-il que tu arrives en finale, gros bêta, me dis-je. Mets-toi vite au boulot. Tu n'as qu'une heure !

Je commence par évacuer les idées évidentes et trop courtes comme "La cloison etait immense et fixée par autant de clous qu'on trouve d'épines sur le manteau d'un hérisson" (5000 de mémoire, me dis-je). Il faut que je me décide pour un genre, aussi. Avant d'arriver, je m'étais promis d'écrire une nouvelle de science-fiction, mais le hérisson m'a refroidi. Pas un personnage très adapté, sauf à imaginer une planète pleine de hérissons géants écrasant des voitures pour venger tous leurs congénères de la galaxie. Nul !

Je me rends compte qu'un bruit me dérange. J'ai un peu de mal à l'identifier, et puis je reconnais le bruit d'une plume sur une feuille de papier. Elle écrit, la mystérieuse candidate d'à côté. Déjà ? Je me sens un peu inquiet. Elle a déjà trouvé une idée ? Il est vrai qu'elle a commencé quelques instants avant moi, mais quand même ! Elle est jolie et en plus intelligente et rapide ??? Je me sens mal parti. Pour me venger de ce sentiment idiot, j'envisage d'écrire une nouvelle érotique où elle serait l'héroïne, nue sous son manteau, attachée à une cloison verticale, pendant que je lui lancerais des piquants de hérsson que j'enlèverais un à un de son animal familier. Elle me regarderait les yeux implorants.

Non. Ce serait une histoire idiote et cruelle en plus. Je ne suis pas cruel. Il me faut une autre histoire. A côté, j'entends toujours sa plume crisser sur le papier. Elle écrit beaucoup, mais ma page est toujours vierge.

Vierge ? Je tiens mon histoire ! Une histoire réelle, ni érotique, ni de SF. une histoire merveilleuse pleine de rêve, de magie et d'étoiles dans les yeux. L'histoire la plus belle que j'ai jamais écrite. Une histoire autour d'une héroïne fascinante. Et de moi aussi évidemment, piisqu'un bon auteur se met toujours en scène. 

L'horloge me dit qu'il reste encore cinq minutes. J'ai fini, lu et relu. Mon histoire est parfaite. Je souris et reste là, assis sur ma chaise, sans bruit. Je me rends compte qu'il n'y a pas de bruit non plus à côté. Je savoure ce moment de partage silencieux entre nous deux. Puis je me lève. Ma chaise fait un tout petit bruit. A côté, j'entends tout de suite le bruit de sa chaise, puis le frottement de ses bas. En trois pas nous sommes à notre porte. J'ouvre la mienne en même temps qu'elle ouvre la sienne. Nous sortons. Elle est si belle. Je la regarde dans les yeux. Elle aussi. Elle me prend le bras. Nous nous dirigeons vers l'accueil en face des ascenseurs. Nous donnons machinalement nos feuilles de papier aux personnes communes qui y sont, puis nous entrons d'un même pas dans l'ascenseur vide qui s'ouvre devant nous, comme un avenir infini pour le couple modèle d'écrivains que nous formerons à coup sûr.

En bas, nous reprenons nos manteaux et nous sortons. Un plan de la ville est accroché sur une cloison près de la porte. Elle m'attire à elle. Notre premier baiser a lieu contre ce plan. Un petit hérisson traverse la rue. Il a de la chance, car il n'y a pas beaucoup de voitures à cette heure dans ce quartier. Il se retourne vers nous. Je lui retourne son clin d'œil. Elle aussi. Elle est si belle !


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